Décembre
1995
Recommandations
du jury - Texte court
Cette
conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles
méthodologiques préconisées par l'Agence nationale pour le développement de
l'évaluation médicale (ANDEM).
Les
conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par
le Jury de la Conférence, en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune
manière la responsabilité de l'ANDEM.
Les
solutions d'albumine humaines sont encore prescrites comme solutés de
remplissage. Elles restent des produits de référence, mais sont concurrencées
très largement par d'autres solutés, dont le coût est très nettement inférieur.
Il apparaît donc que leurs indications respectives doivent être réévaluées. Une
deuxième indication de prescription des solutions d'albumine est le maintien de
la pression colloïdo-osmotique, ou oncotique, évitant les phénomènes
pathologiques secondaires à un déséquilibre des échanges liquidiens au niveau
des capillaires de différents territoires. Dans cette situation, une
détermination des seuils justifiant une action thérapeutique est donc
souhaitable compte tenu du coût et des risques éventuels d'utilisation de ces
solutions. La Société française d'anesthésie et de réanimation s'est donc
portée promoteur de cette conférence de consensus dont le Jury devait répondre
aux cinq questions suivantes visant à définir les indications d'utilisation des
solutions d'albumine humaine en anesthésie-réanimation chirurgicale chez
l'adulte.
Déterminer
des valeurs seuil de pression oncotique, d'albuminémie et de protidémie relève
d'une interrogation clinique et d'un souci thérapeutique principalement axés
sur le risque de survenue d'un œdème pulmonaire.
L'albumine
est synthétisée exclusivement par le foie. Son poids moléculaire élevé explique
sa difficulté à traverser la membrane capillaire, et sa très forte
concentration dans le plasma explique qu'elle joue un rôle prépondérant dans
l'établissement de la pression oncotique du plasma.
Les
échanges transcapillaires régis par la loi de Starling font intervenir les
pressions hydrostatique et colloïdo-osmotique (PCO) plasmatique. Environ 70 %
de la valeur de cette dernière est assurée par l'albumine. Toute augmentation
de la pression veineuse et toute baisse de PCO tendent à augmenter le volume
d'eau interstitielle. Au niveau pulmonaire, les valeurs seuil de ces deux
paramètres ont été démontrées expérimentalement par Guyton. Au niveau des
secteurs périphérique et splanchnique celles-ci ne sont pas définies. Au niveau
cérébral les déterminations ne sont pas pertinentes en raison des propriétés
physiologiques de la membrane des capillaires.
Seuls les
travaux de Guyton permettent raisonnablement de fixer la valeur seuil de PCO à
12 mmHg et par commodité celle de l'albuminémie à 20 g×L-1 et celle de
protidémie à 35 g×L-1 à condition que la membrane capillaire soit intacte. La
mesure de la PCO par oncométrie est recommandée pour évaluer le pouvoir
colloïdo-osmotique après perfusion de colloïdes artificiels, quand
l'albuminémie et la protidémie sont inférieures aux seuils fixés.
En
situation d'altération de la membrane, la pression hydrostatique devient
l'élément déterminant des mouvements transmembranaires. La détermination d'une
valeur seuil de PCO n'est pas fondée. Néanmoins, le jury propose de respecter
les valeurs seuil définies qui s'appliquent aux capillaires non lésés.
Dans le
cadre du remplissage vasculaire, il n'y a pas d'arguments privilégiant
l'albumine par rapport aux autres solutés. Compte tenu de son coût, celle-ci ne
peut être recommandée que lorsqu'il y a contre-indication aux autres solutés
(cristalloïdes, colloïdes artificiels). Dans les urgences préhospitalières et
hospitalières, les cristalloïdes sont indiqués en l'absence d'insuffisance
circulatoire. En cas d'insuffisance circulatoire aiguë, les colloïdes
artificiels sont plus fréquemment utilisés en Europe bien que leur supériorité,
par rapport aux cristalloïdes, ne soit pas démontrée. Dans la période opératoire
il n'y a pas d'indication de l'albumine que ce soit dans le cadre d'une
hémodilution intentionnelle, d'une vasoplégie induite par l'anesthésie, de la
compensation des pertes non hémorragiques ou hémorragiques, ou dans la
composition d'un liquide d'amorçage d'une circulation extracorporelle. Les
modalités de remplissage vasculaire n'offrent pas de particularité dans la
période postopératoire.
Chez la
femme enceinte seuls l'albumine et les cristalloïdes sont actuellement
autorisés. Il n'y a pas d'indication de l'albumine dans une hypovolémie non
spécifique ou au cours d'une anesthésie locorégionale pour césarienne.
L'albumine est actuellement utilisée dans la toxémie gravidique et dans la
prévention du syndrome de stimulation ovarienne. Cette indication "par
défaut" mériterait d'être évaluée de façon plus précise.
Les seules
indications de l'albumine sont les pertes protidiques massives et prolongées
associées à un défaut de synthèse. Cette situation, qui peut éventuellement
être associée à un trouble de la perméabilité capillaire, entraîne un
déséquilibre de la balance entrée-sortie d'albumine. L'apport d'albumine est
alors licite pour maintenir la PCO ou l'albuminémie au-dessus des valeurs seuil
définies quand le caractère durable de la situation empêche l'utilisation des
colloïdes artificiels.
La seule
justification à l'apport d'albumine durant la période initiale est la
limitation du phénomène œdémateux en zone non brûlée. Cet apport ne se justifie
que passé le délai de l'hyperperméabilité transitoire d'une durée de 8 heures
et seulement chez les brûlés les plus graves : atteints sur plus de 30 % de la
surface corporelle et/ou avec une albuminémie inférieure à 20 g.L-1 ou une
protidémie inférieure à 35 g.L-1. Durant la phase secondaire de cicatrisation,
l'hypoalbuminémie est le reflet d'une difficulté hépatique à compenser une
exsudation cutanée majeure : la correction de l'hypoalbuminémie ne s'impose
qu'au-dessous d'une concentration de 20 g.L-1.
Au cours
de la chirurgie hépatique sur foie sain, les indications de l'albumine ne
persistent que dans des situations extrêmes avec défaut de synthèse par insuffisance
hépatique aiguë transitoire postopératoire observé après une résection
hépatique ³ 70 % et/ou une ischémie hépatique ³ une heure)
Au cours
de la chirurgie hépatique sur foie pathologique et de la chirurgie digestive
chez le cirrhotique, des indications de l'albumine persistent. Ces situations
se caractérisent par un défaut de synthèse en albumine associé à une
hypertension portale d'intensité variable. La prescription d'albumine est
indiscutable en cas de déséquilibre persistant entre les pertes par l'ascite et
la synthèse hépatique. La place respective de l'albumine et des colloïdes
artificels pour le traitement de ces déséquilibres transitoires ou pour leur
prévention, n'est pas établie.
En cas de
sepsis grave, ou d'autres phénomènes pathologiques, associés à des troubles de
la perméabilité capillaire, il n'y a pas d'indication à l'utilisation
d'albumine, sauf en situation de déséquilibre persistant entre les pertes et la
synthèse d'albumine, aboutissant à des concentrations plasmatiques inférieures
aux valeurs seuil définies.
La
fonction de transport (hormones, oligoéléments, médicaments) et donc
d'épuration (radicaux libres oxygénés, médiateurs de l'inflammation) est une
fonction essentielle de l'albumine. La répercussion d'une hypoalbuminémie
profonde sur le maintien de cette fonction est mal connue. Des dysrégulations
sont observées à partir de valeurs inférieures au seuil de 20 g.L-1.
Deux
solutions d'albumine sont disponibles : l'une concentrée à 20 %, hyperoncotique
et l'autre diluée à 4 % légèrement hypooncotique par rapport au plasma. Toutes
deux sont isoosmolaires par rapport au plasma. Ainsi pour une même quantité d'albumine,
la solution à 4 % apporte 5 fois plus de chlorure de sodium et d'eau. Le coût,
élevé, était identique pour les deux solutions jusqu'en 1994. Actuellement le
statut de médicament de l'albumine la fait entrer parmi les médicaments, dont
le prix est négociable avec les établissements hospitaliers.
En
conséquence le choix de la concentration à utiliser repose avant tout sur la
recherche de la meilleure adéquation possible entre les objectifs de la
perfusion d'albumine (remplissage vasculaire, augmentation de l'albuminémie ou
les deux associés), et les particularités de la solution (caractère
hyperoncotique ou légèrement hypooncotique, valeur de l'apport sodé rapporté au
gramme d'albumine).
Les
risques liés à l'administration de l'albumine, à court ou à long terme,
apparaissent extrêmement réduits.
Les
risques immédiats peuvent être des accidents anaphylactiques, des incidents à
type de réactions anaphylactoïdes ou de type frissons-hyperthermie. L'incidence
des réactions anaphylactoïdes est faible (0,099 % des patients recevant de
l'albumine) et à rapprocher de celle observée avec les autres colloïdes (0,345
% des patients recevant une gélatine et 0,058 % de ceux recevant un amidon).
Les réactions frissons-hyperthermie liées à la présence d'endotoxines non
décelée par les tests pyrogènes s'observent dans un contexte de perfusion
massive en particulier au cours d'échanges plasmatiques, mais n'ont pas de
conséquences cliniques notables.
Les
risques retardés, sont essentiellement les surcharges en métaux ou les risques
de transmission d'agents pathogènes. Les surcharges en métaux, et tout
particulièrement en aluminium sont en voie de diminution par l'introduction de
nouveaux matériaux et par l'optimisation du fractionnement, permettant de
réduire les teneurs résiduelles dans le produit fini. L'hypothèse du risque de
transmission d'agents pathogènes ne peut être formellement exclue, compte tenu
de l'origine humaine de l'albumine. Pour le risque de transmission virale,
l'ensemble des mesures de sécurité (sélection des donneurs, tests viraux sur
chaque don, étapes d'élimination ou d'inactivation virale dans le procédé)
explique que l'albumine n'ait jamais été impliquée dans un accident de
transmission de virus pathogènes connus aujourd'hui.
En ce qui
concerne les agents transmissibles non conventionnels (ATNC), et en particulier
l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le risque de transmission par
l'albumine, dans les conditions normales d'utilisation, apparaît comme
théorique.
L'albumine
étant un dérivé d'origine humaine, le risque biologique ne peut pas être
considéré comme étant égal à zéro. En conséquence, le risque résiduel, aussi
minime soit-il, doit être pris en compte dans le rapport bénéfice/risque.