Utilisation des solutions d'albumine humaine en anesthésie-réanimation chirurgicale de l'adulte

 

CONFÉRENCE DE CONSENSUS

Décembre 1995

Recommandations du jury - Texte court

 

 

Le Jury a répondu à cinq questions

  1. Peut-on définir des valeurs seuil de pression oncotique, d'albuminémie et de protidémie en période périopératoire ? 
  2. Quelles sont les indications et quelle est la place de l'albumine dans le cadre du remplissage vasculaire ?
  3. Quelles sont les indications et quelle est la place de l'albumine à l'exclusion du remplissage vasculaire ?
  4. À quelle concentation l'albumine doit-elle être prescrite ?
  5. Quels sont les risques à court et à long terme liés à l'administration de l'albumine ?

 

Cette conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM).

Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le Jury de la Conférence, en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité de l'ANDEM.

 

Les solutions d'albumine humaines sont encore prescrites comme solutés de remplissage. Elles restent des produits de référence, mais sont concurrencées très largement par d'autres solutés, dont le coût est très nettement inférieur. Il apparaît donc que leurs indications respectives doivent être réévaluées. Une deuxième indication de prescription des solutions d'albumine est le maintien de la pression colloïdo-osmotique, ou oncotique, évitant les phénomènes pathologiques secondaires à un déséquilibre des échanges liquidiens au niveau des capillaires de différents territoires. Dans cette situation, une détermination des seuils justifiant une action thérapeutique est donc souhaitable compte tenu du coût et des risques éventuels d'utilisation de ces solutions. La Société française d'anesthésie et de réanimation s'est donc portée promoteur de cette conférence de consensus dont le Jury devait répondre aux cinq questions suivantes visant à définir les indications d'utilisation des solutions d'albumine humaine en anesthésie-réanimation chirurgicale chez l'adulte.

QUESTION 1 : Peut-on définir des valeurs seuil de pression oncotique, d'albuminémie et de protidémie en période périopératoire ?

Déterminer des valeurs seuil de pression oncotique, d'albuminémie et de protidémie relève d'une interrogation clinique et d'un souci thérapeutique principalement axés sur le risque de survenue d'un œdème pulmonaire.

L'albumine est synthétisée exclusivement par le foie. Son poids moléculaire élevé explique sa difficulté à traverser la membrane capillaire, et sa très forte concentration dans le plasma explique qu'elle joue un rôle prépondérant dans l'établissement de la pression oncotique du plasma.

Les échanges transcapillaires régis par la loi de Starling font intervenir les pressions hydrostatique et colloïdo-osmotique (PCO) plasmatique. Environ 70 % de la valeur de cette dernière est assurée par l'albumine. Toute augmentation de la pression veineuse et toute baisse de PCO tendent à augmenter le volume d'eau interstitielle. Au niveau pulmonaire, les valeurs seuil de ces deux paramètres ont été démontrées expérimentalement par Guyton. Au niveau des secteurs périphérique et splanchnique celles-ci ne sont pas définies. Au niveau cérébral les déterminations ne sont pas pertinentes en raison des propriétés physiologiques de la membrane des capillaires.

Seuls les travaux de Guyton permettent raisonnablement de fixer la valeur seuil de PCO à 12 mmHg et par commodité celle de l'albuminémie à 20 g×L-1 et celle de protidémie à 35 g×L-1 à condition que la membrane capillaire soit intacte. La mesure de la PCO par oncométrie est recommandée pour évaluer le pouvoir colloïdo-osmotique après perfusion de colloïdes artificiels, quand l'albuminémie et la protidémie sont inférieures aux seuils fixés.

En situation d'altération de la membrane, la pression hydrostatique devient l'élément déterminant des mouvements transmembranaires. La détermination d'une valeur seuil de PCO n'est pas fondée. Néanmoins, le jury propose de respecter les valeurs seuil définies qui s'appliquent aux capillaires non lésés.

QUESTION 2 : Quelles sont les indications et quelle est la place de l'albumine dans le cadre du remplissage vasculaire ?

Dans le cadre du remplissage vasculaire, il n'y a pas d'arguments privilégiant l'albumine par rapport aux autres solutés. Compte tenu de son coût, celle-ci ne peut être recommandée que lorsqu'il y a contre-indication aux autres solutés (cristalloïdes, colloïdes artificiels). Dans les urgences préhospitalières et hospitalières, les cristalloïdes sont indiqués en l'absence d'insuffisance circulatoire. En cas d'insuffisance circulatoire aiguë, les colloïdes artificiels sont plus fréquemment utilisés en Europe bien que leur supériorité, par rapport aux cristalloïdes, ne soit pas démontrée. Dans la période opératoire il n'y a pas d'indication de l'albumine que ce soit dans le cadre d'une hémodilution intentionnelle, d'une vasoplégie induite par l'anesthésie, de la compensation des pertes non hémorragiques ou hémorragiques, ou dans la composition d'un liquide d'amorçage d'une circulation extracorporelle. Les modalités de remplissage vasculaire n'offrent pas de particularité dans la période postopératoire.

Chez la femme enceinte seuls l'albumine et les cristalloïdes sont actuellement autorisés. Il n'y a pas d'indication de l'albumine dans une hypovolémie non spécifique ou au cours d'une anesthésie locorégionale pour césarienne. L'albumine est actuellement utilisée dans la toxémie gravidique et dans la prévention du syndrome de stimulation ovarienne. Cette indication "par défaut" mériterait d'être évaluée de façon plus précise.

QUESTION 3 : Quelles sont les indications et quelle est la place de l'albumine à l'exclusion du remplissage vasculaire ?

Les seules indications de l'albumine sont les pertes protidiques massives et prolongées associées à un défaut de synthèse. Cette situation, qui peut éventuellement être associée à un trouble de la perméabilité capillaire, entraîne un déséquilibre de la balance entrée-sortie d'albumine. L'apport d'albumine est alors licite pour maintenir la PCO ou l'albuminémie au-dessus des valeurs seuil définies quand le caractère durable de la situation empêche l'utilisation des colloïdes artificiels.

Brûlés

La seule justification à l'apport d'albumine durant la période initiale est la limitation du phénomène œdémateux en zone non brûlée. Cet apport ne se justifie que passé le délai de l'hyperperméabilité transitoire d'une durée de 8 heures et seulement chez les brûlés les plus graves : atteints sur plus de 30 % de la surface corporelle et/ou avec une albuminémie inférieure à 20 g.L-1 ou une protidémie inférieure à 35 g.L-1. Durant la phase secondaire de cicatrisation, l'hypoalbuminémie est le reflet d'une difficulté hépatique à compenser une exsudation cutanée majeure : la correction de l'hypoalbuminémie ne s'impose qu'au-dessous d'une concentration de 20 g.L-1.

Chirurgie hépatique

Au cours de la chirurgie hépatique sur foie sain, les indications de l'albumine ne persistent que dans des situations extrêmes avec défaut de synthèse par insuffisance hépatique aiguë transitoire postopératoire observé après une résection hépatique ³ 70 % et/ou une ischémie hépatique ³ une heure)

Au cours de la chirurgie hépatique sur foie pathologique et de la chirurgie digestive chez le cirrhotique, des indications de l'albumine persistent. Ces situations se caractérisent par un défaut de synthèse en albumine associé à une hypertension portale d'intensité variable. La prescription d'albumine est indiscutable en cas de déséquilibre persistant entre les pertes par l'ascite et la synthèse hépatique. La place respective de l'albumine et des colloïdes artificels pour le traitement de ces déséquilibres transitoires ou pour leur prévention, n'est pas établie.

Réanimation postopératoire

En cas de sepsis grave, ou d'autres phénomènes pathologiques, associés à des troubles de la perméabilité capillaire, il n'y a pas d'indication à l'utilisation d'albumine, sauf en situation de déséquilibre persistant entre les pertes et la synthèse d'albumine, aboutissant à des concentrations plasmatiques inférieures aux valeurs seuil définies.

Fonction de transport

La fonction de transport (hormones, oligoéléments, médicaments) et donc d'épuration (radicaux libres oxygénés, médiateurs de l'inflammation) est une fonction essentielle de l'albumine. La répercussion d'une hypoalbuminémie profonde sur le maintien de cette fonction est mal connue. Des dysrégulations sont observées à partir de valeurs inférieures au seuil de 20 g.L-1.

QUESTION 4 : À quelle concentration l'albumine doit-elle être prescrite ?

Deux solutions d'albumine sont disponibles : l'une concentrée à 20 %, hyperoncotique et l'autre diluée à 4 % légèrement hypooncotique par rapport au plasma. Toutes deux sont isoosmolaires par rapport au plasma. Ainsi pour une même quantité d'albumine, la solution à 4 % apporte 5 fois plus de chlorure de sodium et d'eau. Le coût, élevé, était identique pour les deux solutions jusqu'en 1994. Actuellement le statut de médicament de l'albumine la fait entrer parmi les médicaments, dont le prix est négociable avec les établissements hospitaliers.

En conséquence le choix de la concentration à utiliser repose avant tout sur la recherche de la meilleure adéquation possible entre les objectifs de la perfusion d'albumine (remplissage vasculaire, augmentation de l'albuminémie ou les deux associés), et les particularités de la solution (caractère hyperoncotique ou légèrement hypooncotique, valeur de l'apport sodé rapporté au gramme d'albumine).

QUESTION 5 : Quels sont les risques, à court et à long terme, liés à l'administration de l'albumine ?

Les risques liés à l'administration de l'albumine, à court ou à long terme, apparaissent extrêmement réduits.

Les risques immédiats peuvent être des accidents anaphylactiques, des incidents à type de réactions anaphylactoïdes ou de type frissons-hyperthermie. L'incidence des réactions anaphylactoïdes est faible (0,099 % des patients recevant de l'albumine) et à rapprocher de celle observée avec les autres colloïdes (0,345 % des patients recevant une gélatine et 0,058 % de ceux recevant un amidon). Les réactions frissons-hyperthermie liées à la présence d'endotoxines non décelée par les tests pyrogènes s'observent dans un contexte de perfusion massive en particulier au cours d'échanges plasmatiques, mais n'ont pas de conséquences cliniques notables.

Les risques retardés, sont essentiellement les surcharges en métaux ou les risques de transmission d'agents pathogènes. Les surcharges en métaux, et tout particulièrement en aluminium sont en voie de diminution par l'introduction de nouveaux matériaux et par l'optimisation du fractionnement, permettant de réduire les teneurs résiduelles dans le produit fini. L'hypothèse du risque de transmission d'agents pathogènes ne peut être formellement exclue, compte tenu de l'origine humaine de l'albumine. Pour le risque de transmission virale, l'ensemble des mesures de sécurité (sélection des donneurs, tests viraux sur chaque don, étapes d'élimination ou d'inactivation virale dans le procédé) explique que l'albumine n'ait jamais été impliquée dans un accident de transmission de virus pathogènes connus aujourd'hui.

En ce qui concerne les agents transmissibles non conventionnels (ATNC), et en particulier l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le risque de transmission par l'albumine, dans les conditions normales d'utilisation, apparaît comme théorique.

L'albumine étant un dérivé d'origine humaine, le risque biologique ne peut pas être considéré comme étant égal à zéro. En conséquence, le risque résiduel, aussi minime soit-il, doit être pris en compte dans le rapport bénéfice/risque.