XXII
ème conférence de consensus en réanimation et médecine d'urgence : CIVD en
réanimation
Avec la participation
de :
La
Société Française d 'Anesthésie et de Réanimation
La
Société Française d 'Hématologie - Groupe d'Etude sur l 'Hémostase et la
Thrombose
Le
Groupe Francophone de Réanimation et Urgences Pédiatriques
Jeudi 10 octobre 2002
Faculté de Médecine de Lille
1.
Quelle définition et quelle classification doivent être utilisées en pratique
clinique ?
2.
Quelles sont les situations cliniques à risque de CIVD ?
3.
Quels sont les moyens cliniques et biologiques du diagnostic ?
4.
Quels sont les moyens thérapeutiques et leurs indications spécifiques ?
5.
Quelle stratégie adopter en pratique en fonction des situations
cliniques ?
1. Quelle définition et quelle
classification doivent être utilisées en pratique clinique ?
La coagulation intravasculaire
disséminée (CIVD) est un syndrome acquis secondaire à une activation systémique
et excessive de la coagulation, rencontré dans de nombreuses situations
cliniques en réanimation. Ce syndrome se définit par l'association d'anomalies
biologiques avec ou sans signes cliniques témoins de la formation exagérée de
thrombine et de fibrine, et de la consommation excessive de plaquettes et de
facteurs de la coagulation. La CIVD s'inclut dans un processus complexe qui
commence par un syndrome d'activation systémique de la coagulation (SASC)
difficile à mettre en évidence. Il se poursuit par l'apparition de troubles
patents biologiques puis cliniques de l'hémostase qui peuvent engager le pronostic
vital. Par souci de clarification, les termes de CIVD compensée/décompensée,
latente/patente, subclinique/symptomatique doivent être abandonnés. Le jury
décide de réserver le terme de CIVD à l'association d'un SASC et d'un syndrome
de consommation excessive de plaquettes et de facteurs de la coagulation. Il
retient les termes de CIVD biologique lorsqu'il n'existe pas de manifestations
cliniques et de CIVD clinique lorsqu'il existe des manifestations hémorragiques
ou ischémiques. La CIVD est dite compliquée lorsque ces manifestations engagent
le pronostic fonctionnel ou vital ou si elle s'associe à une ou plusieurs
défaillances d'organe.
Implications pour la pratique :
Le jury retient :
comme témoin indirect de la formation
excessive de thrombine : l'élévation des D-dimères ;
comme
témoin de la consommation excessive de plaquettes : le purpura, un
saignement diffus et la baisse du nombre de plaquettes ;
comme
témoin de la consommation excessive de facteurs de la coagulation : un
syndrome hémorragique, une baisse du taux de prothrombine et de la
concentration plasmatique du fibrinogène.
2. Quelles sont les situations
cliniques à risque de CIVD ?
a.Quelles situations cliniques à
risque d 'urgence et/ou de réanimation sont les plus à même de conduire à une
activation anormale de la coagulation ?
Le contact entre le facteur
tissulaire (FT) et le facteur VII activé (FVIIa) est l'événement-clé qui peut
résulter de trois mécanismes en réalité souvent intriqués :
1. l'induction de la synthèse et de
l'expression membranaire de FT par des cellules au contact du sang, en réponse
à des stimuli inflammatoires : le sepsis est la principale cause, mais
d'autres situations peuvent aboutir à une réaction inflammatoire systémique et
à une activation de la coagulation (telles qu'hypothermie et hyperthermies
malignes ou le choc hémorragique) (c). 2. le contact entre le FT constitutif
extra-vasculaire et le FVIIa lié à une effraction vasculaire survient dans de
nombreuses situations dont les traumatismes (crâniens en particulier), les
complications obstétricales (hématome rétroplacentaire, mort in utero,
rétention intra-utérine), les brûlures, les pancréatites, les complications
transfusionnelles et les hémolyses (c). 3. le contact entre le FT et le FVIIa
exprimé à la surface de cellules anormales : il s'agit des cancers
métastasés et des hémopathies malignes (c). Il existe quelques situations pour
lesquelles le mécanisme d'activation de la coagulation est mal élucidé ou
apparaît indépendant du facteur tissulaire (substances
"thrombin-like" des venins de serpents). Chez l'enfant, le purpura
fulminans post-infectieux relève d'une intrication de mécanismes complexes (génétiques
et auto-immuns).
b.Existe-t-il une prédisposition
génétique et celle-ci doit-elle être recherchée ?
L'association de polymorphismes
génétiques avec la CIVD reste du domaine de la recherche (c). Le purpura
fulminans néonatal est une situation exceptionnelle qui doit faire évoquer un
déficit constitutionnel en protéine C ou S.
3. Quels sont les moyens cliniques
et biologiques du diagnostic ?
Par définition la CIVD comporte des
anomalies biologiques non associées (CIVD biologique) ou associées à des signes
cliniques (CIVD clinique) et des complications (CIVD compliquée). Le diagnostic
de CIVD biologique est retenu si les D-dimères sont augmentés et s'il existe un
critère majeur ou deux critères mineurs de consommation (c, 2). Il convient de
choisir une technique de mesure des D-dimères dont l'utilisation au cours des
CIVD a été rapportée, comme un test d'agglutination de particules de latex avec
lecture automatisée, pour lequel le seuil est à 500 µg/L. L'élévation des
D-dimères n'est pas spécifique de CIVD.
Les critères de consommation
sont :
|
Le diagnostic de CIVD clinique est
retenu en présence de signes hémorragiques ou thrombotiques, qui peuvent la révéler.
Ils n'ont pas de caractères spécifiques en dehors de quelques situations
particulières : le purpura fulminans (PF) et certaines CIVD obstétricales.
Les manifestations thrombotiques prédominent dans le PF. Le syndrome
hémorragique prédomine dans les CIVD obstétricales. Le diagnostic de CIVD
compliquée repose sur des manifestations cliniques hémorragiques et
thrombotiques mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel. La nature et
l'intensité de ces manifestations varient selon l'étiologie et le terrain. Une
association entre syndrome de défaillance multiviscérale, mortalité et CIVD a
été constatée mais la notion d'imputabilité directe de la CIVD dans les
défaillances d'organe n'est pas démontrée (b). Le diagnostic formel de CIVD au
cours de l'insuffisance hépatocellulaire n'est pas possible. Chez le
nouveau-né, le taux de prothrombine n'est pas utilisable et les seuils de
numération plaquettaire et de fibrinogène sont différents.
4. Quels sont les moyens
thérapeutiques et leurs indications spécifiques ?
Le traitement étiologique de la CIVD
est fondamental. Les autres moyens thérapeutiques peuvent être de nature
"substitutive" ou "spécifique".
Traitements substitutifs :
La transfusion plaquettaire : le choix
entre le mélange de concentrés plaquettaires standard et le concentré
plaquettaire d'aphérèse dépend de la disponibilité des produits. La transfusion
plaquettaire n'est indiquée qu'en cas d'association d'une thrombopénie
inférieure à 50 G/L et de facteurs de risque hémorragique (acte invasif,
thrombopathie associée) ou d'hémorragie grave (CIVD compliquée) (d).
Le
plasma frais congelé (PFC) : le choix entre le plasma sécurisé et le
plasma viro-atténué (PVA) dont l'efficacité est identique, se fait sur la
disponibilité et le coût, favorables au PVA. La transfusion de PFC (10 à 15
ml/kg) est indiquée dans les CIVD avec effondrement des facteurs de la
coagulation (TP inférieur à 35-40 %), associées à une hémorragie active ou
potentielle (acte invasif) (d).
Il
n'y a pas d'indication démontrée à l'utilisation du fibrinogène dans la CIVD
(d).
Le
complexe prothrombique (PPSB), potentiellement thrombogène, est contre-indiqué
au cours des CIVD (d).
Traitements spécifiques :
Les inhibiteurs de la voie du facteur
tissulaire n'ont pas été testés dans le traitement de la CIVD.
L'administration
de concentrés de proteine C (PC) n'est pas validée dans le traitement de la
CIVD (c).
Il
n'y a pas d'information sur l'efficacité du recombinant activé de la PC
(drotrecogine a) dans le traitement de la CIVD (d).
L'antithrombine
(AT) améliore la CIVD au cours du sepsis (a). La puissance insuffisante de ces
études ne permet pas de conclure à un effet sur les défaillances d'organes et
la mortalité.
L'efficacité
des héparines dans le traitement de la CIVD n'est pas démontrée (c).
L'efficacité
des modulateurs de la fibrinolyse dans le traitement de la CIVD n'est pas
démontrée (c).
5. Quelle stratégie adopter en
pratique en fonction des situations cliniques ? La stratégie dépend du stade de la
CIVD (biologique, clinique, compliquée), de la prédominance du syndrome
hémorragique ou thrombotique, de l'étiologie de la CIVD et de la nécessité d'un
acte invasif. Le traitement optimal de la cause est la condition sine qua non
de l'efficacité du traitement de la CIVD, de même que le traitement
symptomatique des défaillances d'organes. Dans la CIVD compliquée d'une
hémorragie grave, l'objectif thérapeutique est de limiter le saignement. Les
moyens sont la transfusion de concentrés plaquettaires et de PFC jusqu'à arrêt
du saignement (c, 2). En cas de procédure invasive ces produits doivent être
transfusés immédiatement avant sa réalisation (c, 2). La stratégie
thérapeutique immédiate repose sur la symptomatologie clinique dans le purpura
fulminans ou certaines CIVD obstétricales (c, 3). Quelle que soit l'étiologie,
aucun traitement spécifique de la CIVD n'existe. Héparines, fibrinolytiques,
antifibrinolytiques, AT, PC, PCa ne sont pas recommandés (c, 2). Dans les
hémorragies de la délivrance, l'utilisation de l'aprotinine est fréquente en
cas de défibrination ; cependant, aucune étude n'a démontré son efficacité
et son utilisation n'est pas recommandée (c, 3). Dans l'embolie amniotique,
l'héparinothérapie est habituellement utilisée ; cependant, aucune étude
n'a démontré son efficacité et son utilisation n'est pas recommandée (c, 3).
Dans les purpura fulminans post-infectieux, l'héparinothérapie est souvent
utilisée ; cependant, aucune étude n'a démontré son efficacité et son
utilisation n'est pas recommandée (c, 3).
|
a) études prospectives, contrôlées
et randomisées ; b) études non randomisées, comparaisons simultanées ou
historiques de cohortes ; c) mises au point, revues générales, éditoriaux
et études substantielles de cas en série publiés dans des revues avec comité de
lecture et révisés par des experts extérieurs ; d) publications d'opinions
telles que monographies ou publications d'organisations officielles dans des
journaux ou des livres sans comité de lecture et sans révision par des experts
extérieurs.
Le score pour les recommandations se
composait de trois niveaux :
niveau 1 : recommandation justifiée en
elle-même par des preuves scientifiques indiscutables ;
niveau
2 : recommandation justifiée par des preuves scientifiques et le soutien
consensuel des experts ;
niveau
3 : recommandation ne reposant pas sur des preuves scientifiques adéquates
mais soutenue par les données disponibles et l'opinion des experts.
Société de Réanimation de Langue
Française
Jury du Consensus Président :
P.E. Bollaert (Nancy) D. Annane (Garches) H. Aube (Dijon) J.P. Bedos
(Versailles) A. Cariou (Paris) D. du Cheyron (Caen) M. Gaignier
(Marseille) B. Guillois (Caen) G. Hilbert (Bordeaux) T. Lecompte (Nancy) A.
Legras (Tours) P. Lutun (Strasbourg)
Conseillers scientifiques F.
Fourrier (Lille) L. Drouet (Paris)
Recherche bibliographique E. Robin
(Lille) M. Rossignol (Paris)
Organisateur local B. Vallet (Lille)
Commission des Référentiels
Secrétaire : P. Charbonneau (Caen) T. Boulain (Orléans) J.L. Diehl (Paris)
B. Guidet (Paris) O. Jonquet (Montpellier) F. Joye (Carcassonne) S. Leteurtre
(Lille) J. Levraut (Nice) R. Robert (Poitiers) M. Thuong Guyot
(Saint-Denis) B. Vallet (Lille) M. Wolff (Paris)
Cette conférence est organisée avec l'aide des
laboratoires : Aventis, Bayer-Pharma, Bristol-Myers Squibb, Chiesi SA,
Fresenius France Pharma, GSK, LFB, Pfizer, Roche, Tyco Healthcare et Wyeth. La
SRLF remercie vivement la Société Générale pour son aide généreuse.