Jeudi
12 octobre 2000
Président : F. Fourrier (Lille)
H. Bricard (Caen), P.F. Laterre (Bruxelles), Y. Cohen (Bobigny), C.H. Marquette
(Lille), P. Daoud (Montreuil), M.D. Schaller (Lausanne), B. Guidet (Paris),
J.P. Sollet (Argenteuil), F. Huet (Dijon), F. Tamion (Rouen)
Conseillers scientifiques : G.
Capellier (Besançon), P. Damas (Liège)
Recherche bibliographique : S.
Beague (Lille), C. Patry (Besançon)
Organisateur local : P. Charbonneau (Caen)
Bureau du Consensus
Coordonnateur : F. Saulnier (Lille)
G. Bonmarchand (Rouen),
F. Joye (Carcassonne), P.
Charbonneau (Caen), D. Robert
(Lyon), J.L. Diehl (Paris), R.
Robert (Poitiers), O. Jonquet (Montpellier), U. Simeoni (Strasbourg), P. Jouvet (Paris), B.
Vallet (Lille)
Cette
conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles
méthodologiques préconisées par l'Agence Nationale d'Accréditation et
d'Evaluation en Santé (ANAES) qui lui a attribué son label de qualité.
Les conclusions et recommandations
présentées dans ce document ont été rédigées par le Jury de la Conférence, en
toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité de
l'ANAES.
Les manifestations inflammatoires et vasculaires jouent
un rôle physiopathologique considérable au cours du choc septique et du
syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Leur traitement par les
glucocorticoïdes est discuté depuis trente ans. Les conclusions et
recommandations suivantes représentent l'avis unanime du jury de la XXe
conférence de consensus sur les justifications scientifiques, les indications
et les modalités de la corticothérapie dans les deux affections.
1 - Quelles sont les manifestations
cliniques du SDRA accessibles à la corticothérapie ?
2 - Quelles sont les
conséquences surrénaliennes et vasculaires du choc septique ?
3 - Quels sont les bénéfices
attendus et les risques de la corticothérapie lors du SDRA et du choc septique
?
4 - Quelles sont les indications
et les modalités d'administration de la corticothérapie lors du choc septique ?
5 - Quelles sont les indications
et les modalités d'administration de la corticothérapie lors du SDRA ?
Au cours
du SDRA, la phase fibroproliférative (phase 2) qui succède à la phase
exsudative (phase 1) est un processus de réparation physiologique aboutissant
habituellement à la restauration d'une architecture pulmonaire normale [b].
Dans certains cas, indépendamment du processus causal, on assiste à
l'installation d'une fibrose évoluée endo-alvéolaire et interstitielle (phase
3). Cette évolution péjorative semble en rapport avec la non-régression de la
phase fibro-proliférative, sous l'influence d'une réponse de l'hôte, inadaptée
dans son intensité et/ou dans sa durée.
La phase
aiguë exsudative prédomine dans la première semaine du SDRA. La phase
fibroproliférative débute vers le 7e jour et peut durer plusieurs semaines.
Cependant, le SDRA est un processus dynamique, hétérogène à la fois dans
l'espace et dans le temps. Le processus de réparation est initié de façon
concomitante au processus lésionnel [b].
Sur le plan systémique, on observe à la fois des taux élevés de médiateurs
pro-inflammatoires et anti-inflammatoires. L'activité biologique résultante est
variable. Elle est incriminée dans la survenue de la fièvre, de
l'hyperleucocytose et des défaillances d'organes.
Les cibles
théoriques de la corticothérapie sont à la fois systémiques et pulmonaires. Les
phénomènes des phases 1 et 3 ne justifient pas de corticothérapie [1a]. La
phase fibro-proliférative ne justifie d'un traitement que dans deux situations
[2a] :
Cliniquement,
la persistance ou la progression de la phase fibro-proliférative se traduit par
la dégradation de la compliance pulmonaire, un moindre recrutement alvéolaire
par l'adjonction d'une PEP, une augmentation de l'espace mort alvéolaire, une
altération de l'oxygénation (rapport PaO2/FiO2) et une hypertension artérielle
pulmonaire. L'ensemble de ces anomalies se traduit par l'aggravation ou la
non-amélioration du "lung injury score" (LIS) qui n'a pas de valeur
prédictive initiale [b].
Il n'existe aucun signe radiologique spécifique de la persistance ou de la
progression de la phase fibro-proliférative [b]. Néanmoins, l'absence
d'amélioration radiologique est évocatrice.
Sur le
plan systémique, la persistance ou la progression de la phase
fibro-proliférative peut s'accompagner d'une fièvre et d'une hyperleucocytose
simulant un sepsis, et peut être associée à une défaillance multiviscérale [c].
Certains
marqueurs biologiques sont mis en évidence dans le plasma et/ou le lavage
bronchoalvéolaire (LBA). Il s'agit de marqueurs témoignant de l'activité
pro-inflammatoire au niveau du compartiment alvéolaire, du dépôt d'une matrice
extra-cellulaire provisoire, de l'initiation du processus de réparation et du
remodelage de la matrice extra-cellulaire.
L'utilisation de ces marqueurs biologiques à des fins pronostiques ou de
surveillance est limitée par de nombreux facteurs [1b]. Ils sont surtout
intéressants pour la compréhension de la physiopathologie du SDRA. Cependant,
certains marqueurs encore en cours d'évaluation semblent avoir une valeur
péjorative [b].
Malgré certaines similitudes physiopathologiques et cliniques, il convient de
ne pas transposer le modèle de la dysplasie broncho-pulmonaire du prématuré et
son corollaire thérapeutique (corticothérapie) au SDRA du nourrisson [1b].
Le choc
septique peut avoir schématiquement trois conséquences surrénaliennes :
En
pratique, le jury recommande un dosage systématique de la cortisolémie avant le
début du traitement glucocorticoïde (GC) [2], pour détecter les rares IS absolues.
En l'absence de valeur seuil validée dans la littérature, chez des patients en
choc septique, le jury propose de retenir le seuil de cortisolémie de base à 10
µg/dl, soit environ 275 nmol/L, pour le diagnostic d'IS absolue.
Le test à
l'ACTH permet de détecter l'origine haute ou basse d'un hypocortisolisme. Il
permet l'identification des patients non répondeurs à haut risque de décès
lorsque la cortisolémie de base est haute. Néanmoins, le jury ne recommande pas
la réalisation systématique de ce test car la réponse normale n'est pas
clairement définie au cours du choc septique et son résultat n'influence pas la
conduite thérapeutique.
En cas
d'urgence absolue (ex : purpura fulminans), le traitement par les GC peut être
débuté sans dosage préalable de la cortisolémie.
Au cours
du choc septique, la réponse vasculaire aux catécholamines endogènes est
diminuée alors que leur concentration sérique est très élevée. Plusieurs
mécanismes peuvent participer à l'hypotension artérielle : désensibilisation
des récepteurs bêta et probablement alpha, production de monoxyde d'azote et
hyperperméabilité capillaire.
Les GC
peuvent expérimentalement augmenter le nombre d'adréno-récepteurs alpha ou bêta
et restaurer leur sensibilité aux catécholamines [b].
Au cours
du choc septique, l'amélioration hémodynamique induite par les GC implique
plutôt un effet vasculaire qu'une modulation de la réponse inflammatoire.
Néanmoins, les données de la littérature ne permettent pas d'analyser la part
respective de la composante vasculaire et/ou anti-inflammatoire dans
l'efficacité des GC.
Il
n'existe aucun bénéfice au traitement précoce par les GC au cours du SDRA,
contrairement à leur administration en cas de fibroprolifération prolongée
et/ou excessive [a]. Dans ce cas, les effets attendus sont systémiques
(disparition de la fièvre et diminution du score de défaillance d'organes) et
pulmonaires (amélioration de la mécanique ventilatoire, augmentation du rapport
PaO2/FiO2, diminution du "lung injury score" (LIS) et baisse de la
pression artérielle pulmonaire). Le principal bénéfice attendu est une
diminution de la durée de la ventilation mécanique et de la mortalité.
Dans le
choc septique, seule l'utilisation de faibles doses d'hydrocortisone est
bénéfique [a]. Le principal effet attendu est une diminution de la mortalité.
Il existe une amélioration de la défaillance hémodynamique qui se traduit par
une diminution de la fréquence cardiaque, une augmentation des résistances
artérielles systémiques et de la pression artérielle moyenne permettant le
sevrage plus rapide des amines vasoactives [a].
A doses
cumulatives élevées, la corticothérapie augmente le risque infectieux. Au cours
du SDRA, la recherche d'une infection systémique ou d'un foyer infectieux, en
particulier pulmonaire doit donc précéder systématiquement la corticothérapie.
En cas d'infection bactérienne, il est nécessaire de prescrire un traitement antibiotique
adapté, au moins trois jours avant de débuter les GC [2]. La corticothérapie
peut atténuer une hyperthermie éventuelle ; en cours de traitement, l'absence
de fièvre ne permet pas d'éliminer une infection, en particulier pulmonaire
[b].
Les faibles
doses cumulatives d'hydrocortisone recommandées dans le choc septique ne
semblent pas entraîner de risque infectieux supplémentaire.
Les GC
entraînant une intolérance glucidique, particulièrement chez l'enfant, la
surveillance de la glycémie est nécessaire [2]. Le risque d'hémorragie
digestive ne semble pas accru bien que les données prospectives soient
insuffisantes.
Le risque
de neuromyopathie apparaît pour des doses cumulatives de GC supérieures à
1000-1500 mg de méthylprednisolone (MP), le plus souvent associées aux curares.
La
corticothérapie doit être envisagée chez les patients présentant un choc
septique de gravité particulière car nécessitant des doses élevées et/ou
croissantes d'agents vaso-actifs du fait de la persistance d'une hypotension
malgré un remplissage vasculaire jugé satisfaisant.
Avant la
corticothérapie, il faut s'assurer du caractère approprié de l'antibiothérapie
et de l'absence d'indication chirurgicale visant à éradiquer un foyer
infectieux. Le traitement peut être alors instauré. Il peut l'être aussi
plusieurs jours après l'installation du choc.
L'hémisuccinate
d'hydrocortisone à la posologie de 200 à 300 mg/j, en perfusion continue ou
répartis en 3 ou 4 injections intraveineuses, est administré après avoir
effectué un prélèvement pour un dosage de cortisol. Des interactions
médicamenteuses (inducteurs enzymatiques ou substrats du cytochrome P3A4)
peuvent modifier le taux sanguin de l'hydrocortisone.
Chez
l'enfant, une posologie de 100 mg/m2/j répartis en 4 injections toutes les 6
heures s'impose dès que possible dans le purpura fulminans.
La durée
du traitement est de 5 jours au minimum lorsque une réponse clinique est
observée. La disparition des signes de choc autorise une réduction progressive
de la corticothérapie et son arrêt, à l'exclusion des exceptionnels cas d'IS
absolue.
La réponse
clinique à la corticothérapie est appréciée sur l'évolution hémodynamique : augmentation
de la pression artérielle, stabilisation des besoins en agents vaso-actifs ou
début de leur sevrage. Cette réponse peut s'observer dans les heures qui
suivent le début de la corticothérapie ou plus tardivement. Toutefois, au-delà
de 72 heures, l'absence de réponse hémodynamique justifie l'arrêt du
traitement.
La
glycémie, la natrémie et la kaliémie doivent être surveillées. Au cours du
traitement, la modification des signes systémiques d'inflammation induite par
les GC peut masquer une surinfection.
Une
corticothérapie n'est indiquée ni pour la prévention d'un SDRA, ni à la phase
initiale de son évolution [1a]. A ce stade, elle augmente l'incidence des
infections et le taux de mortalité [1a].
Il existe
en revanche certains arguments, encore faibles et méritant confirmation, pour
justifier une corticothérapie à la phase fibro-proliférative du SDRA. Peu de
patients sont concernés : SDRA évoluant depuis 7 jours au moins, avec LIS
&Mac179; 2,5, sans amélioration malgré une prise en charge adéquate [2a].
Il n'y a pas de marqueur biologique validé pour poser l'indication des GC [a].
Avant l'instauration des GC, une biopsie pulmonaire systématique n'est pas
justifiée en raison des risques non négligeables et de l'absence de bénéfice
documenté [2b]. Pour des raisons pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, la
MP est préconisée dans cette indication. Son administration commence entre le
7e et le 10e jour d'évolution du SDRA. La posologie admise est de 2 mg/kg/j
répartis en 4 injections intra-veineuses.
Le
traitement est poursuivi pendant 3 à 4 semaines et arrêté progressivement pour
éviter tout phénomène de rebond. L'amélioration de l'état du patient, attendue
entre le 5e et le 14e jour du traitement, est jugée sur la clinique, la
diminution du LIS de plus de 1 point et la régression des défaillances
viscérales. Pendant toute la durée du traitement, la recherche d'une infection
surajoutée est indispensable. Chez le nourrisson et l'enfant, en l'absence de
données exploitables, il est licite de proposer un protocole identique à celui
de l'adulte
Score d’évaluation des références |
a)
études prospectives, contrôlées, randomisées, |
Score de recommandations |
niveau
1) recommandation justifiée par des preuves scientifiques indiscutables, |