Les apports d'érythrocytes pour la compensation des pertes sanguines en chirurgie de l'adulte

Texte court

CONFÉRENCE DE CONSENSUS

organisée par la

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D ANESTHÉSIE ET DE REANIMATION

avec la participation de

L'AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉVALUATION MÉDICALE (A.N.D.E.M.)

17décembre 1993. Paris

 

Comité d'organisation

Président : C Conseiller (Paris), J Belghitti (Clichy), A Durocher (Andem), P Feiss (Limoges), G François (Marseille), J Marty (Clichy), F Pinon (Paris).

Jury

Président : G François (Marseille). L Brinquin (Paris), F Courtois (Clichy), J Ferret (La Rochelle), D Houssay (Annecy), P Lelièvre (Paris), Y Malledant (Rennes), JR Monties (Marseille), JY Nordin (Bobigny), P Reys (Colmar), P Rouger (Paris).

Experts

G Annat (Lyon), JF Baron (Paris), J Baudelot (Bobigny), D Cabrol (Paris), P Dailland (Paris), A Goguel (Boulogne), M Janssens (Liège), G Janvier (Pessac), AM Jullien (Paris), M Lamy (Liège), M Laubriat (Annecy), MC Laxenaire (Nancy). P Lefèvre (Marseille), JG Riess (Nice), D Vignon (Suresnes).

AVANT-PROPOS

Cette conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (Andem). Les conclusions et recommandations. présentées dans ce document, ont été rédigées par le jury de la conférence en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité de l'Andem.

QUESTIONS

1. Quel indicateur choisir pour guider la transfusion d'hématies en période opératoire : hématocrite ou hémoglobinémie ?

2. Y a-t-il des limites à l'hémodilution ?

3. Quelles sont les possibilités et les limites des différentes techniques d'autotransfusion ?

4. Quand doit-on envisager une qualification particulière pour des érythrocytes homologues ?

5. Quelle est actuellement la place de l'érythropoiétine recombinante en période périopératoire ?

6. Peut-on espérer voir se développer des alternatives à l'utilisation des érythrocytes (perfluorocarbures, solutions d'hémoglobine) ?

En dépit des techniques visant à diminuer le saignement opératoire, la transfusion de globules rouges reste une condition indispensable à la réalisation de certains gestes chirurgicaux. La transfusion de globules rouges homologues, malgré d'incontestables progrès, comporte toujours un risque qui justifie de poursuivre et d'intensifier la mise en œuvre de moyens propres à réduire son utilisation. En aucun cas, cependant, les techniques de substitution ne doivent faire courir aux patients plus de risques que la transfusion de sang homologue.

La transfusion de produits sanguins labiles, dont les globules rouges, doit être soumise à une évaluation permanente si on veut maîtriser leur utilisation et leurs effets secondaires.

Ceci a conduit la SFAR à organiser, à Paris, le 17 décembre 1993, une conférence de consensus sur ce thème avec la participation de l'Andem.

1. QUEL INDICATEUR CHOISIR POUR GUIDER LA TRANSFUSION D'HÉMATIES EN PÉRIODE OPÉRATOIRE: HÉMATOCRITE OU HÉMOGLOBINÉMIE ?

En situation chirurgicale, l'hématocrite et le taux d'hémoglobine n'ont qu'une médiocre valeur prédictive pour estimer la masse globulaire de l'organisme. La mesure du taux d'hémoglobine est plus reproductible que celle de l'hématocrite. Le prélèvement veineux ou artériel doit être préféré au prélèvement capillaire. La pratique des tests de proximité, réalisés hors du laboratoire, impose l'application de règles d'assurance-qualité.

La décision de transfusion ne saurait reposer sur ce seul indicateur et doit prendre en compte d'autres paramètres cliniques : évaluation des pertes, données hémodynamiques.

2. Y A-T-IL DES LIMITES A L'HÉMODILUTION ?

La concentration d'hémoglobine, au-dessous de laquelle l'oxygénation de l'organisme entier et/ou de certains tissus devient insuffisante, marque la limite à l'hémodilution. L'oxygénation d'un organe dépend non seulement du taux d'hémoglobine mais également du flux sanguin, du coefficient d'extraction de l'oxygène et de sa consommation. Une baisse du taux d'hémoglobine s'accompagne de phénomènes compensateurs, dont l'expression varie selon les circonstances (anesthésie, réveil, exercice, etc.) et les réserves fonctionnelles cardiovasculaires et respiratoires du patient. Dans ces conditions, il n'existe pas de valeur seuil du taux d'hémoglobine universellement applicable pour décider d'une transfusion.

On peut retenir des données de la littérature qu'au-dessus de 10 g/dL d'hémoglobine, la transfusion érythrocytaire est rarement nécessaire A l'inverse. la plupart des patients doivent être transfusés lorsque le taux d'hémoglobine est intérieur à 7 g/dL.

Entre ces deux valeurs, la décision de transfuser, ou non, repose sur le jugement clinique. Celui-ci doit prendre en compte les éléments connus pour modifier la tolérance à l'anémie: l'ancienneté de l'anémie, le volume intravasculaire, la probabilité d'hémorragie massive, les pathologies associées, la demande métabolique et les capacités d'adaptation de l'organisme.

Les valeurs seuils de l'hémoglobine varient, entre autres, avec le terrain, la période opératoire et le type de chirurgie.

Ainsi est-il recommandé de corriger à la hausse les valeurs limites du taux d'hémoglobine proposées ci-dessus chez un certain nombre de sujets : les personnes âgées, les patients porteurs de cardiopathies limitant les capacités d'adaptation du débit cardiaque, les coronariens, les malades souffrant d'hypoxémie chronique, ceux qui présentent des antécédents d accident vasculaire cérébral, ainsi que les sujets traités par des médicaments interférant avec les mécanismes d'adaptation.

Au cours de la période périopératoire, la tolérance à l'hémodilution varie avec les modifications de la demande métabolique. Diminuée au cours de l'anesthésie générale, la demande métabolique est maximum à la phase de réveil.

En pratique obstétricale, le niveau d'hémodilution doit intégrer les modifications volémiques maternelles et le risque fœtal. Dans le cadre de la césarienne, la valeur d'hémoglobine tolérée avant l'extraction fœtale est de 8 g/dL. Des signes de souffrance fœtale ou d'intolérance maternelle peuvent conduire à une transfusion érythrocytaire. Dans la perspective d'une césarienne particulièrement hémorragique, le seuil retenu est de 9-10 g/dL. Durant la césarienne, la survenue d'une hémorragie supérieure à 1 500 mL justifie à elle seule un apport globulaire. Dans les suites opératoires immédiates, la valeur limite de l'hémoglobinémie de 7 g/dL reste le seuil habituellement préconisé pour la transfusion d'érythrocytes.

Une aide à la décision peut également être fournie par certains paramètres cliniques ou biologiques : pression artérielle, fréquence cardiaque, saturations artérielle et veineuse en oxygène, pressions de remplissage et débit cardiaque, taux de lactates.

3. QUELLES SONT LES POSSIBILITES ET LES LIMITES DES DIFFERENTES TECHNIQUES D'AUTOTRANSFUSION ?

L'autotransfusion consiste en la récupération, avant, pendant et après l'opération, et en la transfusion des propres globules rouges du patient dans le but de limiter ou de supprimer la transfusion homologue.

Les données de la littérature ne permettent pas d'établir formellement les relations coût/bénéfice et risque/bénéfice de ces différents procédés.

La prévision des pertes sanguines associées à une technique chirurgicale doit permettre à chaque équipe de définir sa propre stratégie, en particulier en ce qui concerne la transfusion autologue programmée.

La transfusion autologue programmée (TAP)

Elle est applicable à un acte chirurgical programmé, dont les pertes sanguines attendues dépassent 1 000 mL.

Elle permet de recueillir de 2 à 5 unités de globules rouges autologues.

Elle a l'avantage d'éliminer les risques de transmission virale, les conséquences immunologiques de la transfusion homologue, et de stimuler l`érythropoïèse.

Elle nécessite de disposer d'un délai d'environ 1 mois et d'appliquer des procédures précises, impliquant l'étroite collaboration du chirurgien, de l anesthésiste-réanimateur, du médecin du centre de prélèvement et du patient.

Le don, chez les patients présentant des pathologies infectieuses évolutives, est formellement contre-indiqué. Le don, chez les patients porteurs de marqueurs viraux, est actuellement discuté et il est recommandé de s'abstenir.

En revanche, aucun argument définitif ne permet d'exclure les sujets porteurs de pathologie cancéreuse.

L'érythrocytaphérèse autologue immédiatement préopératoire

Elle obéit aux mêmes règles que la TAP. Elle peut être indiquée dans les cas où le délai ne permet pas de mettre en œuvre une TAP mais elle ne constitue. en aucun cas. une alternative à celle-ci.

La récupération du sang épanché pendant l'intervention

Elle doit faire appel, à chaque fois que cela est possible, aux techniques avec lavage. Elle est utilisable en urgence comme en chirurgie programmée. Son utilisation en chirurgie carcinologique fait encore l'objet de controverses.

La récupération du sang drainé pendant la période postopératoire

Elle s adresse à quelques indications de chirurgie cardiaque et orthopédique. Compte tenu de ses limites, sa place dans le cadre d'une stratégie transfusionnelle globale reste à déterminer

Il reste et restera longtemps encore des situations dans lesquelles on doit avoir recours à la transfusion homologue.

4. QUAND DOIT-ON ENVISAGER UNE QUALIFICATION PARTICULIERE POUR DES ÉRYTHROCYTES HOMOLOGUES « PHÉNOTYPÉS », « DÉLEUCOCYTÉS », « CMV NÉGATIFS », « IRRADIÉS »

Les indications préconisées ci-dessous relèvent de critères spécifiques, en l'état de l'art, et par conséquent, sont évolutives.

Qualification « phénotypé »

Les indications de sang qualifié « phénotypé » sont de deux ordres:

Qualification « déleucocyté »

Actuellement, les indications retenues de sang qualifié « déleucocyté » sont de trois ordres :

Qualification « CMV négatif »

Les globules rouges qualifiés « CMV négatifs » provenant de donneurs sérologiquement négatifs sont formellement indiqués chez la femme enceinte, les prématurés, les receveurs « CMV négatifs » de greffons « CMV positifs » et l'ensemble des patients immunodéprimés.

Lorsque la protection contre l'infection CMV s'impose de manière absolue, il est recommandé de compléter la qualification « CMV négatif » par la qualification « déleucocyté ».

Qualification « irradié »

Les globules rouges qualifiés « irradiés » sont formellement indiqués chez les greffés de moelle osseuse, les déficits immunitaires congénitaux, les patients atteints de la maladie de Hodgkin et les receveurs de dons de sang intrafamiliaux.

5. QUELLE EST ACTUELLEMENT LA PLACE DE L'ÉRYTHROPOIÉTINE  RECOMBINANTE EN PÉRIODE PÉRIOPÉRATOIRE ?

Ce produit a été proposé :

Le bénéfice d'une telle prescription doit être établi de façon d'autant plus formelle que le coût en est très élevé

Il faut rappeler que ce produit n'a reçu pour l'instant l'AMM que dans une seule indication : l'anémie de l'insuffisance rénale chronique.

 6. PEUT-ON ESPÉRER VOIR SE DÉVELOPPER DES ALTERNATIVES A L'UTILISATION DES ÉRYTHROCYTES (PERFLUOROCARBURES, SOLUTIONS D'HÉMOGLOBINE) ?

Il n'existe, à l'heure actuelle, aucun transporteur d'oxygène qui puisse servir d'alternative satisfaisante à l'utilisation des érythrocytes en chirurgie, même pour une courte durée.

En effet, aussi bien les solutions d'hémoglobine que les émulsions de fluorocarbures présentent encore des effets secondaires incompatibles avec leur utilisation clinique. Il s'y ajoute pour l'hémoglobine, recombinante ou non, un problème d'approvisionnement ou de manufacture à grande échelle.

 

L'organisation de la conférence de consensus a été rendue possible grâce à l'aide apportée par les laboratoires suivants. que la SFAR tient a remercier : Biosedra, Fournitures hospitalières, Haemonetics France, Hemotech, Organon Teknika, Pall Biomedical France.