Expertise
collective - 1996
Ce
texte a été publié dans les Annales Française d'Anesthésie-Réanimation 1996;
15:207-214
Experts
D.
Boisson-Bertrand (Nancy), J.L. Bourgain (Villejuif), J. Camboulives
(Marseille), V. Crinquette (Lille), A.M. Cros (Bordeaux), M. Dubreuil
(Bordeaux), B. Eurin (Pans), J.P. Haberer (Paris), T. Pottecher (Strasbourg),
D. Thorin (Lausanne), P. Ravussin (Lausanne), B. Riou (Paris)
L'intubation
orotrachéale constitue un geste courant pour l'anesthésiste-réanimateur. Elle
s'effectue le plus souvent facilement, grâce à un matériel simple et dans une
position standardisée. L'éventualité d'une intubation difficile (ID), quoique
rare, doit être recherchée par un examen préanesthésique systématiquement
orienté sur sa détection. L'enseignement pour les médecins en cours de
spécialisation et la forrnation continue doivent donner une large place à
l'intubation trachéale. Enfin, si tout anesthésiste ne peut maîtriser
l'ensemble des techniques décrites en cas d'ID, il doit toujours être capable
d'assurer une oxygénation efficace.
Sous
l'égide de la Société française d'anesthésie et de réanimation, un comité
d'experts s'est réuni pour définir les bonnes pratiques cliniques pour la
détection de l'ID, pour préconiser les techniques et matériels à utiliser et
pour faire des recommandations sur l'enseignement des techniques alternatives à
l'intubation traditionnelle. Ces bonnes pratiques ont pour objectif de réduire
la morbidité de l'ID en amenant chaque médecin-anesthésiste à mettre au point
l'algorithme et les techniques qu'il utilisera en cas d'ID.
On
considère qu'une intubation est difficile pour un anesthésiste expérimenté,
lorsqu'elle nécessite plus de 10 minutes et/ou plus de deux laryngoscopies,
dans la position modifiée de Jackson (fig 1), avec ou sans compression laryngée
(manœuvre de Sellick).
Fig 1.
Position modifiée de Jackson. La position de la tête, la mise en plaœ d' un
coussin sous l'occiput et le laryngoscope permettent d'aligner les trois axes
(a: axe buccal; b: axe pharyngé; c: axe laryngé) et de visualiser la glotte
Une
laryngoscopie difficile se définit par l'absence de vision de la fente
glottique (stades III et IV de Cormack et Lehane, (fig 2).
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Fig 2. Classes de Mallampati (en haut) et grades de
Cormack (en bas) :
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La
ventilation au masque est considérée comme inefficace lorsqu'on n'obtient pas
une SpO2 > 90 % en ventilant en oxygène pur les poumons d'un sujet normal.
Le
caractère récent deces définitions (1993) explique l'imprécision des données
sur la fréquence de I 'ID. Une fréquence de 0,5 à 2 % est généralement admise
en chirurgie générale, celle-ci serait moindre en anesthésie pédiatrique. En
revanche, en obstétrique et en chirurgie carcinologique ORL, des fréquences
plus élevées sont trouvées (respectivement: 3-7 % et 10-20 %). Les rares
données concernant la médecine préhospitalière situent la fréquence de l'ID
entre 10 et 20 %.
L'ID est
responsable, directement ou indirectement, du tiers des accidents entièrement
imputables à l'anesthésie et représente ainsi, chez l'adulte, la première cause
de morbidité et de mortalité anesthésiques. Le pronostic de ces accidents est
très péjoratif, puisque dans deux tiers des cas, le patient décède ou présente
des séquelles neurologiques graves. Quelle que soit la qualité de l'évaluation
préopératoire, il faut souligner que 15 à 30 % des cas d'ID ne sont pas
détectés avant l'anesthésie.
Cette
détection, par l'interrogatoire et l'examen clinique, doit être systématique
lors de toute consultation préanesthésique, même si une anesthésie
locorégionale est programmée. Les résultats, précisant les tests utilisés,
doivent être colligés par écrit. L'interrogatoire précise les conditions de
déroulement des anesthésies antérieures, recherche la notion de lésions
dentaires et/ou gingivales. Seront aussi recherchés les antécédents et les
signes d'obésité morbide, d'affection rhumatismale, de diabète, de dyspnée, de
troubles du sommeil, d'intubation prolongée et de trachéotomie, de traumatismes
maxillofaciaux.
L'examen
s'effectue en quatre temps, de face et de profil, bouche fermée puis ouverte:
Les trois
éléments suivants doivent être recherchés systématiquement : la mesure de
l'ouverture de bouche, l'évaluation de la classe de Mallampati, la mesure de la
distance thyromentonnière. Il y a lieu d'envisager une ID chez l'adulte si l'un
des critères suivants est retrouvé: ouverture de bouche inférieure à 35 mm,
classe de Mallampati supérieure à 2, distance thyromentonnière inférieure à 65
mm.
Les
données suivantes doivent être considérées comme des causes d'intubation
impossible par voie orotrachéale: l'ouverture de bouche inférieure à 20 mm, le
rachis bloqué en flexion, une dysmorphie faciale sévère de l'enfant ou bien des
antécédents d'échec d'intubation par voie orotrachéale.
Dans
certaines affections, une évaluation plus ciblée est nécessaire.
Le risque
d'ID y est élevé, qu'il y ait eu ou non radiothérapie préalable. La palpation
des reliefs cutanés du cou permet de préciser la mobilité de la peau sur la
trachée et de rechercher l'infiltration du tissu sous-cutané, en particulier
dans la région sous-mentonnière. La mobilité linguale doit être explorée.
Enfin, la connaissance anatomique de la localisation lésionnelle est capitale
pour le choix de la conduite anesthésique.
L'incidence
de l'ID est particulièrement élevée chez les parturientes obèses. L'évaluation
doit être vérifiée de façon systématique, juste avant l'induction, du fait des
modifications morphologiques survenant dans les dernières semaines de
grossesse.
Il existe
peu de données sur l'incidence de l'ID. Cette dernière survient principalement
chez les enfants atteints de dysmorphies s'intégrant dans des syndromes
malformatifs connus. De ce fait, l'ID est rarement imprévue. L'évaluation de la
classe de Mallampati est malaisée chez le petit enfant. La plupart des équipes
insistent sur la distance thyromentonnière avec la tête en extension: cette
distance doit être supérieure à 15 mm chez le nouveau-né et le nourrisson, et à
35 mm chez l'enfant de 10 ans.
L'ankylose
et l'instabilité du rachis cervical doivent être recherchées en cas d'affection
rhumatismale (existence de dysesthésies des membres supérieurs). Tout
polytraumatisé et tout blessé comateux doivent être considérés, jusqu'à la
preuve du contraire, comme atteints d'une lésion instable du rachis cervical.
La
fréquence élevée d'ID témoigne des difficultés d'emploi des techniques
alternatives dans un contexte d' urgence.
Les
examens d'imagerie ne sont pas nécessaires au diagnostic systématique de l'ID.
Ils peuvent être nécessaires, en fonction du contexte clinique, pour préciser
les anomalies anatomiques. Ils peuvent conduire à modifier la conduite de
l'anesthésie. Deux clichés radiologiques sont à effectuer: l'un bouche fermée,
regard à l'horizontale et l'autre bouche ouverte en position d'i ntubation (fig
3). Lorsque ces investigations ont été effectuées dans un but autre que la
détection de l'ID, l'anesthésiste doit en prendre connaissance.
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Figure 3.
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La mise en
place d'une voie veineuse fiable est un préalable indispensable.
Plusieurs
facteurs influent sur le choix des modalités anesthésiques en cas d'ID prévue:
la vacuité gastrique, la voie d'abord orale ou nasale, la technique
d'intubation choisie, l'état cardiorespiratoire, les contraintes chirurgicales
et la coopération du patient. Trois niveaux d' anesthésie peuvent être
envisagés: une intubation vigile, définie par un niveau de sédation ne
dépassant pas le stade 3 de Ramsay (patient somnolent mais pouvant être
réveillé, tableau I); une intubation sous anesthésie générale en ventilation
spontanée; enfin une intubation sous anesthésie générale avec curarisation.
Il
convient de s'assurer chaque fois de la présence d'un aide et de la
disponibilité du matériel pour ID. L'administration d'atropine avant
l'induction ( 10 µg.kg-1 IV) doit être systématique, sauf
contre-indication. Une préoxygénation d'au moins 4 minutes est impérative . L'
anesthésie locale ou locorégionale est recommandée, car elle facilite l'intubation
en supprimant les réflexes liés à la stimulation des voies aériennes
supérieures. Toutefois, I'anesthésie locale pharyngée comporte un danger accru
de laryngospasme chez l'enfant, en particulier lorsqu'elle est réalisée sous
anesthésie générale trop superficielle. L'adjonction d'un vasoconstricteur à
l'anesthésique local des fosses nasales est souhaitable lorsque la voie nasale
est choisie.
L'opposition
théorique entre sédation et anesthésie générale doit être abandonnée car il y a
une continuité entre ces deux états qui sont obtenus avec les mêmes agents
anesthésiques. Le propofol (bolus successifs ou, mieux, perfusion continue) est
recommandé dans cette indication chez l'adulte et chez l'enfant de plus de
trois ans, lorsqu'une anesthésie est utilisée. Toutefois, d'autres agents
anesthésiques peuvent être employés s'ils sont mieux maîtrisés par
l'anesthésiste ou en cas de contre-indication. Tel est le cas de la kétamine
dans les situations d'urgence. L' halothane et le sévoflurane sont préconisés
chez le nourrisson. Il est important de maintenir le même niveau d'anesthésie
pendant toute la durée de l'intubation. L'anesthésie légère est un facteur qui
concourt à rendre l'intubation plus difficile. La possibilité d'utilisation du
masque laryngé ou de techniques d'oxygénation transtrachéale permet d'étendre
les indications de l'anesthésie générale. L'adjonction d' un curare à
l'anesthésie ne peut être envisagée que secondairement, lorsqu'un relâchement
musculaire est jugé indispensable à la réussite de l'intubation, après s'être
assuré que la ventilation au masque est possible. Le suxaméthonium est
recommandé dans ce cas.
Lorsque
l'intubation est jugée impossible, seules les techniques d'anesthésie vigile
sont autorisées chez l'adulte, à l'exception des situations où l'oxygénation
peut être maintenue.
En cas
d'estomac plein, seule l'intubation sous anesthésie vigile doit être pratiquée,
et l'anesthésie locale ne doit pas s'étendre au larynx. La titration de la
sédation est indispensable pour ne pas dépasser le stade 3 de Ramsay (tableau
I).
Tableau I
: Scores de sédation selon Ramsay ( 1974).
1. Anxieux et agité
2. Coopérant orienté et tranquille
3. Réponse uniquement à la commande
4. Vive réponse à une légère stimulation de la glabelle
5. Faible réponse à une légère stimulation de la glabelle
6. Aucune réponse à une légère stimulation de la glabelle
Glabelle :
saillie osseuse située entre les deux crêtes sourcilières.
La
préoxygénation est impérative. La méthode de référence est la ventilation
spontanée en oxygène pur avec un masque facial étanche, pendant une durée d'au
moins 4 minutes. On peut la remplacer par quatre cycles de ventilation à pleine
capacité vitale chez les patients anxieux, mais le délai d'apparition d'une
hypoxémie en apnée est plus court. La préoxygénation doit être prolongée chez
l'insuffisant respiratoire. Le délai d'apparition de l'hypoxémie en apnée est
plus court chez l'enfant, la femme enceinte et l'obèse.
La méthode
d'oxygénation la mieux adaptée doit être choisie avant l'induction. La
ventilation manuelle au masque facial est la méthode la plus fréquemment
utilisée, mais elle expose au risque de distension gastrique si la pression
d'insufflation dépasse 20 cmH2O; elle est parfois inefficace et s'interrompt
pendant les manœuvres d'intubation. Lorsque la ventilation au masque est ou
devient inefficace, la situation peut rapidement devenir catastrophique si un
abord trachéal n'est pas assuré dans les plus brefs délais. Les causes d'échec
de la ventilation au masque sont la macroglossie (obésité, grossesse, tumeurs,
syndrome d'apnées du sommeil), les fuites au niveau du masque (déformation
faciale, barbe, édentation) et des voies aériennes supérieures (plaie,
pharyngostome), les corps étrangers et les rétrécissements des voies aériennes
(laryngospasme, tumeur, œdème, sténose).
L'administration
d'oxygène pendant les tentatives d'intubation est utile chezl'adulte(10 L.min-1)et
indispensable chez l'enfant (administration pharyngolaryngée à travers un
cathéter ou dans le canal latéral d'un laryngoscope spécialement conçu à cet
usage).
L'oxygénation
et/ou la ventilation par ponction transtrachéale sont une méthode présentant un
faible risque de lésions iatrogènes et qui procure une excellente oxygénation
continue. La ponction au niveau de la membrane cricothyroïdienne est
recommandée et le calibre du cathéter doit être d'au moins 14 G chez l'adulte.
Un matériel spécifique est préférable. L'oxygène est administré par différents
moyens (valve d'O2 rapide de l'appareil d'anesthésie, système manuel de jet
ventilation, jet ventilateur, voire ballon d'anesthésie si aucun autre système
n'est disponible). Quelle que soit la méthode choisie, il faut s'assurer d'une
expiration correcte, afin d'éviter les accidents barotraumatiques.
Le
monitorage par oxymètre de pouls est impératif. Un aide doit être spécialement
chargé de la surveillance de cet appareil et du maintien du niveau
d'anesthésie.
Dans les
cas où la glotte ne peut pas être exposée, il est souvent possible d'introduire
un long guide souple (ou bougie, ou jet stylet) sous l'épiglotte puis
dans la trachée et qui servira de tuteur à la sonde d'intubation. Cette
technique, à utiliser d'emblée lorsque l'exposition de la glotte est
insuffisante, doit être maîtrisée par tout anesthésiste. La présence de ce
matériel dans tous les sites d'anesthésie est indispensable.
Les guides
souples sont préférables aux guides rigides malléables, potentiellement
traumatisants. Les guides creux sont recommandés car ils permettent
l'oxygénation et l'on peut contrôler leur position, en cas de maintien de la
ventilation spontanée, en les raccordant à un capnographe.
Cette
technique, qui ne nécessite pas de matériel supplémentaire, est simple en
théorie. Le repérage du larynx peut se faire au son ou à l'aide d'un
capnographe. Cette technique a des inconvénients (50% de succès et risques de
traumatismes), qui ne permettent pas de la recommander. Le pourcentage de
succès augmente avec l'expérience et le gonflage du ballonnet de la sonde une
fois qu'elle a été introduite dans l'hypopharynx.
L'intubation
à travers un masque laryngé (ML) présente deux inconvénients. Premièrement, un
taux d'échec de 10 à 20 % chez l'adulte, et de 70 % chez l'enfant, du fait des
difficultés de positionnement du masque par rapport à l'épiglotte. Ces données
contre-indiquent cette technique en pédiatrie. Deuxièmement, la difficulté ou
l'impossibilité d'introduire une sonde trachéale d'un diamètre approprié. Le
fibroscope bronchique augmente le taux de succès de cette technique, en
particulier en pédiatrie.
L'intubation
rétrograde est une technique invasive qui permet une intubation par voie orale
ou nasale, sans mobilisation du rachis cervical. Bien qu'elle puisse être
réalisée avec du matériel présent dans le bloc opératoire (cathéters veineux ou
péridural), l'utilisation d'un kit spécial est préférable. Ses indications sont
limitées par la disponibilité des autres techniques, moins invasives.
Néanmoins, elle garde une place essentielle, en raison de sa rapidité et de son
faible taux d'échec après apprentissage.
L'Augustine
Guide et le stylet lumineux permettent une intubation à l'aveugle, sans
mobilisation du rachis cervical, mais avec un matériel spécifique. Le stylet
lumineux est plus efficace et plus rapide que l'intubation nasale à l'aveugle.
Le CombitubeTM permettrait une ventilation sans pénétration glottique et avec
une protection relative contre l'inhalation. Ces techniques semblent intéressantes,
mais les données de la littérature sont encore insuffisantes pour que nous
puissions les recommander et déterminer leur place en cas d'ID.
La
fibroscopie bronchique est actuellement la technique de référence pour l'ID
prévue. Elle doit être utilisée en première intention en cas d'intubation jugée
impossible. La voie nasale est techniquement plus facile mais plus
traumatisante. Les techniques d'anesthésie vigile facilitent son utilisation;
elles sont rarement réalisables chez l'enfant. Toutefois, cette technique
connaît des limites en raison de 1' obscurcissement de l'objectif (sécrétion,
sang), de la modification du tonus de l'oropharynx (anesthésie, curarisation)
ou des repères anatomiques (œdème, traumatisme), ou de l'obstruction des voies
aériennes. Cette technique n'est donc pas la meilleure dans les situations
d'urgence ou après de multiples tentatives d'intubation chez un patient
anesthésié. De plus, elle nécessite un apprentissage et une pratique régulière.
En revanche, le fibroscope bronchique permet l'administration d'oxygène par le
canal opérateur, la vérification de la position de la sonde, le diagnostic et
l'appréciation de la sévérité d'une inhalation bronchique, l'aspiration sous
contrôle de la vue.
Il s'agit
surtout des laryngoscopes à fibres optiques (Bullard, Upsherscope) et des
laryngoscopes tubulaires (PCV).
Les
laryngoscopes à fibres optiques permettent l'intubation essentiellement par
voie orale, sans mobilisation du rachis cervical. Les données de la littérature
sont encore insuffisantes pour que nous puissions les recommander et déterminer
leur place en cas d'ID. Un apprentissage est nécessaire. Ils permettent de
résoudre moins de situations difficiles que la fibroscopie bronchique.
Les
laryngoscopes tubulaires sont très utilisés par certaines équipes spécialisées,
notamment en ORL. Ils permettent de résoudre certains échecs du fibroscope
(tumeurs, sécrétions, hémorragie).
Le masque
laryngé (ML) est facile et rapide à mettre en place, sans laryngoscopie. C'est
une alternative à la sonde endotrachéale ou au masque facial, qui autorise le
recours à la ventilation mécanique ou le maintien d'une ventilation spontanée.
Chaque médecin anesthésiste doit savoir mettre en place un ML chez l'adulte et
chez l'enfant. Une bonne expérience est recommandée avant son utilisation dans
des cas difficiles. Le ML occupe actuellement une place de choix après l'échec
de l'intubation en chirurgie réglée. Une anesthésie profonde facilite sa mise
en place. Le ML ne doit cependant pas être utilisé en première intention si
l'intubation est jugée impossible. Les anomalies du larynx et de l'hypopharynx
sont des causes d'échec de sa mise en place. Les contre-indications du ML sont
l'estomac plein et les lésions obstructives des voies aériennes supérieures. Sa
principale limite concerne les patients dont la compliance thoracopulmonaire
est basse ou les résistances bronchiques élevées, nécessitant des pressions
d'insufflation supérieures à 20 cmH2O. Toutefois, entre un risque immédiat
d'hypoxie devant une ID survenue en urgence et un risque éventuel d'inhalation
bronchique, le ML peut être utilisé en l'absence d'autre solution
thérapeutique.
Le geste
essentiel, devant l'impossibilité d'assurer une ventilation efficace, consiste
à assurer une oxygénation à l'aide d'un cathéter transtrachéal. Un abord
trachéal chirurgical s'impose en cas d'échec de cette technique.
La trachéotomie
est difficile à réaliser rapidement dans les situations d'urgence et de ce fait
déconseillée, tout du moins en première intention et en l'absence de chirurgien
spécialisé. En revanche, il existe plusieurs dispositifs de coniotomie (ou
cricothyroïdotomie) prêts à l'emploi, dont la mise en place est rapide mais
comporte un risque élevé de lésions iatrogènes. Seuls les dispositifs utilisant
la technique de Seldinger sont recommandés. Mais ils nécessitent un
apprentissage. Ces dispositifs doivent être utilisés avec prudence, lorsque les
rapports anatomiques du cou sont modifiés (œdème, tumeur, hématome), ainsi que
chez le nouveau-né et le nourrisson.
L'anesthésiste
doit identifier pendant la visite préopératoire la cause anatomique de la
difficulté d'intubation; il doit aussi s'assurer que la (ou les) méthode (s)
choisie (s) permettra (ont) de la résoudre. Seules des recommandations
générales peuvent être proposées, compte tenu de la multiplicité des situations
possibles. Il est indispensable d'établir un protocole d'ID tenant compte des
situations rencontrées dans la pratique de chacun (fig. 4). Toutefois, les
algorithmes proposés ont l'intérêt d'être applicables aux situations d'ID
prévue et non prévue. La formation du personnel et la composition du chariot
d'intubation difficile sont établies en fonction de ces protocoles. Les
techniques d'anesthésie vigile représentent une situation anxiogène dont le
malade doit être informé.
Figure 4.
Arbre décisionnel général
En dehors
de conditions d'urgence, lorsque la technique permettant de surmonter la
difficulté n'est pas disponible ou n'est pas maîtrisée par l'anesthésiste, le
transfert du patient ou l'appel à une équipe spécialisée est indispensable. Il
est le plus souvent inutile de réutiliser la même technique, quand le premier
essai a échoué. De plus, au-delà de trois essais, le risque de ne plus pouvoir
ventiler au masque devient important. Il faut toujours privilégier les
techniques comportant le moins de risques iatrogènes. Comme la priorité est à
l'oxygénation, la méthode choisie suppose que celle-ci pourra être maintenue
pendant l'ensemble des manœuvres d'intubation. L'éventualité de réveiller le
patient doit être envisagée à chaque étape.
Enfin, le
choix d'une anesthésie locorégionale ne supprime pas le risque de l'ID (échec
ou complications de l'anesthésie locorégionale). Cette situation doit être envisagée
avant l'intervention et les moyens pour y faire face doivent être prévus.
La
priorité absolue est de maintenir une oxygénation suffisante pendant les
diverses manœuvres jusqu'au succès de l'intubation ou à la reprise d'une
ventilation spontanée. Les algorithmes sont appliqués en fonction de la
possibilité ou non de ventiler efficacement au masque (fig. 5 et 6). La règle
principale consiste à prévenir les complications de l'ID que sont l'hypoxie et
l'inhalation des sécrétions. Il importe d'accepter à temps l'échec de
l'intubation et de demander de l'aide (aide technique et celle d'un
anesthésiste senior) . Lorsqu'une oxygénation efficace est obtenue malgré
l'échec de l'intubation, le réveil du patient doit toujours être envisagé.
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Figure 5: Arbre décisionnel en cas de ventilation
efficace au masque facial. |
Figure 6: Arbre décisionnel en cas de ventilation
inefficace au masque facial. |
Il est
impératif de contrôler la bonne position de la sonde après son introduction. En
dehors de sa visualisation dans le larynx lors de la laryngoscopie (directe ou
indirecte), ou dans la trachée par le fibroscope bronchique, le seul test
fiable est la mise en évidence d'un capnogramme sur six cycles ventilatoires.
Si un capnographe n'est pas disponible, la technique de l'aspiration à la
seringue de grande capacité (>50 mL) peut être recommandée. Toutes les
autres techniques, en particulier l'auscultation pulmonaire, peuvent donner
lieu à des erreurs de diagnostic. L'auscultation pulmonaire est néanmoins
indispensable pour éliminer une intubation sélective.
L'extubation
ou le changement de sonde d'intubation peuvent être dangereux en présence d'une
affection responsable d'un œdème pharyngolaryngé ou si l'intubation a été
difficile. Après une ID, l'extubation ne doit être effectuée que chez le
patient conscient.
L'œdème de
la région glottique peut être évalué par le test de fuite, qui consiste à
dégonfler le ballonnet de la sonde d'intubation; en bouchant cette dernière, on
demande alors au patient de respirer. Ceci ne sera possible que s'il existe un
espace suffisant entre la sonde d'intubation et la muqueuse des voies
aériennes. L'extubation sous fibroscope est une alternative à ce test.
La méthode
la plus sûre pour la réintubation est l'utilisation d'un guide, qui doit avoir
les qualités suivantes: diamètre et longueur adaptés, lubrification externe,
lumière interne pour permettre une oxygénation éventuelle. Cette technique est
recommandée lorsque la probabilité de réintubation difficile est jugée élevée.
Chez
l'enfant, la réintubation nécessite l'approfondissement de l'anesthésie. Il
faut toujours faire précéder chaque manœuvre d'une ventilation en oxygène pur
pendant au moins 4 minutes. La fibroscopie bronchique peut être indiquée dans
le bilan postextubation suivant une ID.
La
présence d'un chariot regroupant le matériel utile pour une intubation difficile
est recommandée à proximité de tout site d'anesthésie. Son emplacement doit
être connu de tous et clairembnt identifié. Sa composition doit être établie
par l'ensemble de l'équipe d'anesthésie en fonction du type de patients
(adultes, enfants, urgences), du type de chirurgie et des compétences et
pratiques des membres de l'équipe. La vérification régulière du matériel est
indispensable. Ce chariot doit comporter au minimum, les instruments suivants:
un mandrin souple, long, béquillé, des masques laryngés, des sondes
d'intubation spéciales (de faible diamètre et rigides), et un cathéter
transtrachéal avec un système raccordable sur une source d' oxygène à haute
pression. Un fibroscope bronchique doit être immédiatement disponible si
l'intubation paraît impossible avec les techniques usuelles.
Le patient
qui a été difficile à intuber doit être prévenu de l'événement. Il serait
souhaitable que lui soit remis un document précisant la survenue d'une ID et
ses causes, les moyens utilisés pour y faire face et les coordonnées de
l'anesthésiste qui a été confronté au problème.
Quelques
faits doivent être rappelés: l'intubation difficile imprévue reste rare et le
nombre de techniques décrites pour faire face à cette éventualité redoutable
est tel que chacun ne peut connaître qu'un certain nombre d'entre elles.
Deux
niveaux d'enseignement doivent être définis: celui offert aux internes de
spécialité tout au long de leur cursus de formation; celui dont doivent
bénéficier les anesthésistes qualifiés.
Cet
enseignement doit comporter une partie théorique et une partie pratique.
Ces
techniques peuvent être apprises en faisant appel au laboratoire d'anatomie, au
mannequin et aux simulateurs. Ultérieurement, il conviendrait qu'au cours de
leur formation les étudiants puissent les pratiquer sur des patients.
Des stages
de formation doivent être organisés dans un cadre institutionnel, par exemple sous
le contrôle du Collège français des anesthésistes-réanimateurs. Ces stages
doivent permettre une formation théorique et pratique (avec des mannequins et
au bloc opératoire). Ils doivent conduire à la délivrance d'une attestation de
présence et chaque stagiaire doit pouvoir évaluer l'intérêt du stage. Ces
stages doivent être suffisamment nombreux pour que tout anesthésiste puisse
revenir à intervalles réguliers (tous les 2 à 5 ans) pour maintenir et
perfectionner l'expérience pratique acquise.
En conclusion,
il apparaît licite de recommander que chaque anesthésiste pratiquant en France
domine les techniques suivantes applicables en cas d'ID: