Conférence
d'experts - SFAR 1994
Texte
court
Experts :
J.F. Baron (Paris), C. Camus (Rennes), D. Chemla (Palaiseau), R. Duranteau
(Paris), B. du Grès (Lyon), J.E. de La Coussaye (Nîmes), Y. Malledant (Rennes),
J. Mantz (Paris), C. Martin (Marseille), J. Marty (Clichy), P. Ravussin
(Lausanne), B. Riou (Paris), J.L Teboul (Le Kremlin-Bicêtre)
L'usage du
cathétérisme artériel se justifie en anesthésie et en réanimation en raison des
avantages essentiels que représentent les possibilités de monitorer la pression
artérielle de manière invasive et de réaliser facilement des prélèvements
sanguins. Toutefois, cette technique comporte des complications, dont
certaines, comme l'ischémie, sont graves bien qu'exceptionnelles. Sous l'égide
du Comité Scientifique de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation,
un comité d'experts s'est réuni afin de définir les bonnes pratiques cliniques
du cathétérisme artériel et de la mesure invasive de la pression artérielle en
anesthésieréanimation chez l'adulte. Les recommandations présentées ont pour
objectif de réduire l'incidence des complications liées à cette technique.
La
complication la plus grave, bien qu'exceptionnelle, du cathétérisme artériel
étant l'ischémie par thrombose, il est recommmandé d'utiliser des cathéters en
Téflon ou en polyuréthane, de 18 Gauge pour les artères fémorale et axillaire
et d'un diamètre maximum de 20 Gauge pour les autres artères. Il n'y a pas
d'arguments pour recommander une longueur optimale du cathéter. Toutefois, il
faut privilégier les courtes longueurs (entre 3 et 5 cm) pour les artères de
petit diamètre (radiale, pédieuse). L'existence d'une extrémité effilée du
cathéter diminue le risque de thrombose artérielle. Le bénéfice de
l'imprégnation d'héparine n'est pas démontré pour les matériaux récents.
L'adjonction de matériau radio-opaque est à proscrire.
Il est
recommandé d'utiliser un système permettant un débit continu de 2 ml/h incluant
la possibilité de purge manuelle discontinue et de n'utiliser que du sérum salé
isotonique pour le système de purge. Il n'existe pas d'argument pour
recommander une anticoagulation systématique des lignes artérielles lors
d'utilisations de courte durée, inférieures à 24 heures. L'association
d'héparine au vecteur de la purge (2500 UI dans 500 ml, à raison de 2 ml/h)
permet de prolonger la durée de vie du cathéter artériel. Les systèmes de purge
discontinue automatisée, asservie à la courbe de pression artérielle, ne sont
pas recommandés, au même titre que les purges manuelles à la seringue.
L'utilisation
d'un circuit pré-monté est préférable car elle diminue les manipulations
sources de contaminations. Afin d'obtenir une transmission du signal de bonne
qualité, le circuit doit être le plus court et le plus rigide possible et
comporter le moins de connections possibles. Les connections doivent être de
type Luer-lock‚, et les robinets et la ligne artérielle doivent être clairement
identifiés, afin d'éviter les injections accidentelles. L'utilisation d'un
matériel entièrement transparent est souhaitable, afin de visualiser les bulles
sources de distorsions du signal.
Une
asepsie chirurgicale est impérative avec bonnet, masque, gants, et champ
stérile. La désinfection du site de ponction se fait avec de la chlorhexidine
ou de la polyvidone iodée. Chez le patient éveillé, on pratique une anesthésie
locale qui inclut les zones de fixation du cathéter. La perforation préalable
de la peau par une aiguille évite que le cathéter ne soit endommagé à son
extrémité lors de la pénétration du plan cutané. La ponction directe de
l'artère doit être préférée à la transfixion de celle-ci. La canulation d'un
vaisseau profond est facilitée par l'utilisation de la technique de Seldinger.
Cette technique est par ailleurs recommandée quel que soit le site de ponction,
lorsque des difficultés de ponction sont prévues. Durant la pose du cathéter,
toute résistance à son introduction doit faire interrompre la manoeuvre afin de
ne pas créer de lésions intimales. Le cathéter doit être fixé soigneusement à
la peau par des bandelettes adhésives stériles ou suturé. Il est recommandé
d'utiliser un pansement sec et transparent. Toutefois, lorsqu'il existe un
saignement persistant aux points de ponction, le premier pansement peut inclure
une compresse absorbante.
Diverses
artères sont accessibles pour une canulation percutanée, chaque localisation
présentant des avantages et des inconvénients qui sont fonction de l'état du
patient, de la situation chirurgicale, et des complications potentielles liées
au cathéterisme.
C'est le
site privilégié du cathétérisme artériel car il s'agit d'une artère
superEicielle, sans nerfs à proximité immédiate, facilement accessible en salle
d'opération, et ayant un réseau vasculaire collatéral. Lors des purges sous
pressions, les embolies systémiques rétrogrades sont moins fréquentes que dans
d'autres artères. La pratique du test d'Allen évaluant la présence et l'état du
réseau collatéral est recommandée; ce test peut être potentialisé par
l'utilisation de l'oxymètrie pulsée. L'utilisation de la main non dominante est
préférable. Les contre-indications à la voie radiale sont exceptionnelles :
citons l'absence de suppléance lors du test d'Allen, le syndrome de Raynaud,
I'artérite de Burger et les hyperlipidémies majeures.
C'est un
site important du cathétérisme artériel, qui est souvent priviligié dans les
conditions d'urgence. Le diamètre de l'artère fémorale en facilite la ponction
malgré sa situation plus profonde. Ses inconvénients sont surtout
l'accessibilité limitée en peropératoire et les risques de coudure et de
déconnection. L'auscultation à la recherche d'un souflle est recommandée avant
la ponction. La ponction sur du matériel prothétique est à proscrire.
Elle peut
être utilisée lors des artériopathies des membres supérieurs ou inférieurs ou
lorsque l'artère fémorale n'est pas accessible. L'artère axillaire gauche doit
être préférée. Sa ponction est aisée car il s'agit d'une artère superficielle.
De plus, un réseau collatéral de suppléance existe.
C'est une
artère superficielle avec un réseau vasculaire collatéral qui en fait un site
de cathéterisme sûr. Toutefois, cette artère n'est pas répérable dans 20 % des
cas et elle est peu accessible en per-opératoire.
La
ponction de l'artère humérale doit être proscrite en raison de l'absence de
réseau de suppléance et du risque de lésions nerveuses.
Il est
représenté par l'oreillette droite. Divers points de repère ont été proposés;
en décubitus dorsal, les plus courants sont la ligne axillaire moyenne et un
point situé à 5 cm en dessous de l'angle de Louis. En décubitus latéral, le
point de référence est le sternum. En hémodynamique cérébrale, pour la mesure
de la pression d'entréee cérébrale, le zéro de référence est représenté par le
conduit auditif externe.
Celui-ci
est autant que possible solidaire de la table d'opération. C'est l'interface
air/eau qui représente le zéro. Le robinet à trois voies qui permet la mise à
l'air de la ligne doit être situé le plus près possible de la tête de pression.
La
pression artérielle est un phénomène oscillant qui comporte deux composantes
principales : une composante moyenne (PAM) autour de laquelle oscille une
composante pulsée. La pression artérielle systolique (PAS) et la pression
artérielle diastolique (PAD) ne sont que des points particuliers de la courbe.
La PAM est la valeur de pression nécessaire pour assurer le débit de perfusion.
Elle est mesurée directement par le moniteur à partir de l'aire sous la courbe
et sa valeur est exacte mêne en cas d'arythmies. L'erreur de mesure sur la PAM
n'excède généralement pas 2 %. La PAM est en pratique le paramètre essentiel du
monitorage de la pression artérielle.
La PAS
augmente de l'aorte à la périphérie tandis que la PAD diminue. Ainsi les
valeurs périphériques ne reflètent-elles qu'imparfaitement les valeurs
aortiques. Une chute de pression se manifeste plus nettement sur la PAS que sur
la PAM. La PAS a donc valeur d'alarme. L'affichage de la courbe doit être
permanent pour une validation visuelle immédiate, en dehors des valeurs
numériques calculées et affichées par le moniteur.
Le
pansement quotidien systématique n'est pas utile. Le pansement doit être
renouvelé dans des conditions d'asepsie chirurgicale, au moins tous les 4
jours. La peau est désinfectée par application de chlorhexidine ou de
polyvidone iodée.
La
manipulation des sites de prélèvements s'effectue avec des compresses imbibées
de chlorhexidine ou de polyvidone iodée, et après lavage des mains (gants)
conformément aux recommandations de prévention des infections nosocomiales.
En
l'absence de données spécifiques, ces recommandations s'appuient sur celles
établies pour les cathéters veineux centraux. En l'absence de signes locaux
d'infection ou de complications, il n'y a pas d'argument pour le changement
systématique des cathéters artériels. En cas de doute sur une infection, le
changement de cathéter peut s'effectuer sur guide. Le changement de site du
cathéter et de la ligne artérielle est obligatoire en cas d'infection locale
évidente ou confirmée par la bactériologie et en cas de complication ischémique
locale. Pour toutes ces manoeuvres, une asepsie chirurgicale est obligatoire.
Elle doit
être réalisée dans des conditions d'asepsie chirurgicale. On vérifie l'intégrité
du cathéter. La mise en culture systématique n'est pas recommandée. Une
compression manuelle est indispensable pendant 5 à 10 minutes. Une compression
plus prolongée peut être nécessaire en cas de troubles de l'hémostase et de
cathétérisme de l'artère fémorale. Un pansement compressif est maintenu
quelques heures.
Après un
volume de purge adapté à la taille des connecteurs (espace mort + 3 ml), les
prélèvements sont réalisés sous aspiration douce (tubes sous vide), l'aspiration
manuelle brutale est à proscrire. Des systèmes de prélèvement sophistiqués mais
aussi coûteux permettent de réaliser la purge et les prélèvements de façon plus
aisée. Tous les examens biologiques peuvent être prélevés sur ce cathéter. Les
gaz du sang sont prélevés en évitant de contaminer le site de prélèvement par
l'héparine contenue dans la seringue, au mieux pré-conditionnée. Le bilan
d'hémostase est réalisé sur les derniers tubes, avant les gaz du sang.
L'interprétation d'un TCA allongé doit tenir compte d'une éventuelle pollution
par l'héparine. Les hémocultures sont de préférence réalisées par ponction
veineuse.
Comme pour
toute technique sanglante, le cathétérisme artériel est potentiellement
contaminant pour le personnel soignant, et les précautions d'usage doivent donc
être respectées. Les complications peuvent être observées quel que soit le site
du cathétérisme.
La
fréquence élevée des thromboses de l'artère radiale après cathétérisme s'oppose
à l'extrême rareté de l'ischémie clinique. Néanmoins, sa gravité justifie tous
les moyens permettant de la prévenir. Son incidence maximale semble être de 0,2
%. Ces ischémies existent cependant et sont régulièrement rapportées sous forme
de cas clinique: simple nécrose cutanée autour du point d'insertion du cathéter
ou formes plus graves nécessitant l'amputation d'un ou de plusieurs doigts,
voire de la main. Pour l'artère radiale, si le test d'Allen est positif, il
faut s'abstenir de la cathétériser. Toutefois, la prédiction de survenue de ces
ischémies par le test d'Allen (modifié ou non) est médiocre. Il n'y a pas lieu
de rechercher systématiquement la présence d'un thrombus intra-artériel. En
revanche, en cas d'ischémie cliniquement documentée et quelle que soit sont
importance, un avis spécialisé doit être obtenu pour compléter les
investigations (Döppler, artériographie) et proposer une stratégie
thérapeutique d'urgence (anticoagulants, thrombolytiques, anesthésie
loco-régionale, vasodilatateurs, chirurgie) pour éviter une amputation.
Afin
d'éviter la survenue d'une ischémie, certains éléments doivent être pris en
compte. (choix du matériau, cathéter de petit diamètre, emploi d'héparine) et
ont déjà été évoqués plus haut. La durée du cathétérisme influe sur l'incidence
de la thrombose: de l'ordre de 10% pour des cathétérismes de 1 à 3 jours mais
de 30 % pour des durées de 4 à 10 jours. La durée minimale permettant d'éviter
la survenue de la thrombose artérielle n'est pas connue. L'ablation doit être envisagée
dès que le maintien en place n'est plus considéré comme indispensable. Des
cathétérismes très prolongés (2 à 4 semaines) sont cependant pratiqués en
routine sans incidents notables.
Certains
facteurs pourraient favoriser la survenue d'une thrombose artérielle mais leur
influence est discutée: épisodes de collapsus, ponctions multiples de l'artère,
transfixion par rapport à la ponction directe, dénudation par rapport à une
ponction percutanée, maladies auto-immunes, syndrome de Raynaud, hypercoagulabilité,
hyperlipidémies.
Certains
facteurs n'ont pas d'influence : âge, nombre de prélèvements, infection du
cathéter.
C'est la
deuxième complication grave. Il s'agit de la présence de micro-organismes sur
le cathéter et responsable de signes infectieux locaux et/ou généraux.
L'incidence des cultures quantitatives positives des cathéters est très
variable (4 à 25 %). L'incidence des bactériémies sur cathéters est très
faible, proche de 0%. En ce qui concerne les méthodes de culture
semiquantitatives, la méthode de Maki ne doit plus être employée et celle de
Brun-Buisson n'a pas encore été appliquée aux cathéters artériels.
La durée
d'utilisation du cathéter est un facteur d'infection discuté. Le nombre de
manipulations influe probablement sur la survenue de l'infection mais ce
facteur est variable en fonction du degré d'entrâînement des équipes de soins.
La dénudation augmente l'incidence des infections.
Certains
facteurs n'ont aucune relation avec la survenue de l'infection: thrombose de
l'artère, matériau, purge continue du cathéter, type de soluté d'irrigation,
inflammation au point de ponction.
Pour les
éviter, la désobstruction d'un cathéter peut s'envisager en limitant le volume
de la purge à 2-3 ml. Ce volume est le même pour les purges systématiques.
Ce sont
des accidents rares qui nécessitent un avis spécialisé. La survenue d'une
dissection peut être tardive.
Elles
doivent être prévenues par une identification claire de la ligne artérielle. Si
l'injection s'accompagne d'un tableau ischémique, un avis spécialisé doit être
demandé.
Son
diagnostic est facile: cathéter incomplet lors de son ablation. Le fragment
intravasculaire doit être en général retiré.
L'incidence
est de l'ordre de 10 %. Il survient lors de la pose ou de l'ablation et est en
général facilement maitrisé par une compression plus ou moins prolongée. Il
semble favoriser la survenue d'une thrombose artérielle ou d'une infection du
cathéter.
Deux
raisons principales doivent faire préférer la mesure sanglante de la pression
artérielle à toute autre méthode non invasive en anesthésie ou en réanimation :
Il est
alors possible de résumer les principales indications du cathétérisme artériel.
Les exemples fournis ne constituent en aucun cas une liste exhaustive.
Les
indications du cathétérisme artériel doivent être larges. Ce geste est :
la
chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle, la chirurgie du
pheochromocytome, la neurochirurgie intracranienne surtout si elle nécessite
une hypotension contrôlée profonde, les transplantations hépatique ou
pulmonaire.
toute
chirurgie comportant des variations brutales et/ou importantes de la volémie
telles que la chirurgie vasculaire lourde avec clampage aortique ou la
chirurgie très hémorragique (orthopédie lourde, carcinologie abdominale ou
thoracique, etc...). En outre, la mesure invasive de la pression artérielle est
recommandée chez les patients dont le terrain cardiovasculaire impose un
contrôle peri-opératoire précis de la pression artérielle même si l'acte
chirurgical ne justifie pas à lui seul ce type de monitorage (insuffisance
coronarienne ou hypertension artérielle sévères, insuffisance cardiaque
évoluée).
Le
cathétérisme artériel est recommandé chez les malades instables sur le plan
hémodynamique et/ou recevant des catécholamines. Par ailleurs, les pathologies
pour lesquelles des prélèvements sanguins itératifs sont effectués justifient
la mise en place d'un cathéter artériel.
Les
indications du cathétérisme artériel doivent être larges. Le monitorage de la
pression artérielle par voie sanglante constitue une priorité chez les malades
instables sur le plan hémodynamique (polytraumatisme, hémorragie aiguë, sepsis
grave) ou en neurotraumatologie.