(en-dehors
des modalités d'optimisation de l'antibiothérapie)
Jeudi
21 novembre 1996 - Centre d'information Scientifique de l'ARC - Villejuif
Président : J.C.
CHEVROLET (Genève)
J.L.
BOURDAIN (Mantes), A. MERCAT (Bicêtre), P. DURAND (Bicêtre), P.
NORDMANN (Clamart), B. GUIDET (Paris), L. RENARD (Paris), J. MATEO
(Paris), P. SAUDER (Strasbourg), T. MAY (Nancy)
B. REGNIER
(Paris), V. JARLIER (Paris)
G.
NITENBERG (Villejuif), P. GAJDOS (Garches), J.C. CHEVROLET (Genève)
Coordonnateur : P.
GAJDOS (Garches)
R.
CHIOLERO (Lausanne), D. ELKHARRAT (Paris), H.
GASTINNE (Limoges), A. JAEGER (Strasbourg), F. LECLERC
(Lille), G. NITENBERG (Villejuif), M. WOLFF
(Paris)
Cette
conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles
méthodologiques préconisées par l'Agence Nationale pour le Développement de
l'Evaluation Médicale (ANDEM) qui lui a attribué son label de qualité.
Les
conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par
le Jury de la Conférence, en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune
manière la responsabilité de l'ANDEM.
BAYER-PHARMA,
B. BRAUN MEDICAL, GI.AXO-WELLCOME, HOECHST-MARION-ROUSSEL, IRIS-SERVIER,
L.F.B., PFIZER, RHONE-POULENC RORER (France), ROCHE, SMITHKLINE BEECHAM,
WYETH-LEDERLE.
1. Quels sont l'épidémiologie et les
facteurs de risque d'infections à bactéries multirésistantes acquises en
réanimation ?
2. Quelles sont les conséquences de
la multirésistance bactérienne en réanimation?
3. Quelle est la place de
l'isolement géographique et technique dans la prévention de la transmission
croisée des bactéries multirésistantes en réanimation ?
4. Quelle est la place de la
chimio-décontamination des réservoirs dans la prévention de l'infection et de
la transmission croisée des bactéries multirésistantes en réanimation ?
5. Quelles stratégies, intégrant les
obstacles à la prise en compte effective du problème de la multirésistance en
France, peut-on proposer pour prévenir les infections à bactéries
multirésistantes en réanimation ?
La
fréquence et la gravité des infections à bactéries multirésistantes (BMR) sont
devenues préoccupantes en réanimation, notamment en France. Il est ainsi apparu
important de faire la synthèse des connaissances actuelles et de recommander
une stratégie susceptible de prévenir et de limiter la diffusion de telles
infections, en-dehors de l'optimisation de l'antibiothérapie. Ces différentes
questions ont été à l'origine de la XVI' Conférence de Consensus en Réanimation
et Médecine d'Urgence, organisée à Villejuif le 21 novembre 1996. Les
recommandations suivantes ne s'appliquent qu'aux services de réanimation adulte
et pédiatrique; elles ne peuvent pas être étendues aux problèmes spécifiques
rencontrés par les services de réanimation néonatale.
Une
bactérie est multirésistante (BMR) lorsque, du fait de résistances naturelles
et/ou acquises, elle n'est sensible qu'à un petit nombre de familles ou de sous
familles d'antibiotiques. Les infections nosocomiales à BMR sont beaucoup plus
fréquentes en réanimation que dans les autres unités d'hospitalisation. Les BMR
les plus fréquemment en cause sont : Staphylococcus aureus résistant à la
méthicilline (SARM), Pseudomonas aeruginosa, les entérobactéries sécrétrices de
Béta-lactamase à spectre étendu (EBLSE) et Acinetobacter sp. L'épidémiologie
des infections à BMR varie considérablement d'un service à l'autre. En France,
la fréquence des infections à BMR dans les services de réanimation, notamment à
SARM, est l'une des plus élevées d'Europe. L'émergence des BMR est favorisée
par la pression de sélection antibiotique et par la transmission croisée. Les
patients colonisés ou infectés constituent le principal réservoir de BMR et, en
règle générale, l'infection à BMR fait suite à une colonisation. Les facteurs
de risque de colonisation/infection sont: la durée de séjour, un ratio charge
en soins/personnel inadéquat, la présence dans la même unité de patients
porteurs de BMR, ainsi que le nombre et la durée des procédures invasives. Une
antibiothérapie quantitativement ou qualitativement inadaptée augmente le
risque de sélection de BMR.
La
prévalence élevée des BMR n'est pas correctement identifiée comme facteur de
risque propre de la fréquence et de la gravité des infections nosocomiales. Lors
d'infections nosocomiales en réanimation, les BMR se substituent aux bactéries
sensibles, à l'exception notable des situations endémo-épidémiques à SARM, où
elles s'additionnent. Les infections à BMR sont associées à une mortalité et à
une morbidité élevées. L'augmentation d'au moins 10 jours de la durée moyenne
de séjour (DMS), habituellement rapportée, est attribuée à la gravité des
patients et à la difficulté de les transférer. L'application des mesures visant
à contrôler ces infections induit une augmentation importante de la charge en
soins. Il en résulte un sous-effectif relatif en personnel qui pérennise les
situations endémo-épidémiques.
La
prévalence élevée de BMR oriente l'antibiothérapie probabiliste ou empirique
des infections sévères vers la prescription d'antibiotiques coûteux, et/ou à
large spectre, dits "de réserve". Ainsi l'augmentation de
prescription d'antibiotiques encore actifs sur les BMR devient plus forte que
ne le justifierait le traitement des seules infections à BMR documentées.
La
séquence résistance-prescription-pression de sélection peut aboutir à la
sélection de bactéries totalement résistantes. Cette situation, identifiée dans
les services de réanimation, se propage vers les autres unités de soins dans et
hors de l'institution hospitalière. La maîtrise de l'antibiothérapie et son
évaluation devraient permettre de freiner le développement des résistances
multiples.
Le surcoût
généré par les infections nosocomiales est élevé. L'antibiothérapie n'en
représenterait qu'une faible partie, le reste étant lié à l'augmentation de la
DMS. La mise en place de programmes de prévention devrait permettre la
réduction de la fréquence des infections à BMR et, à terme, de rentabiliser les
dépenses de prévention investies.
La
multiplicité des situations et la diversité des intervenants justifient une
attitude pragmatique. Ainsi, les recommandations d'isolement doivent être
simples et applicables. Tous les malades hospitalisés en réanimation doivent
bénéficier d'un "isolement technique standard" . Il doit
être appliqué quels que soient la structure architecturale, les moyens
matériels disponibles et le type de patient (colonisé/infecté ou non). Le
lavage antiseptique des mains (chlorhexidine, polyvidone iodée) réduit la
transmission manuportée ; il constitue la recommandation de base mais est
parfois mal toléré. Nous préconisons donc le port de gants non stériles, à
usage unique, pour tout contact avec le malade ou son environnement proche.
La stratégie d'hygiène des mains est résumée dans le tableau suivant :
|
En entrant dans la chambre |
En sortant de la chambre |
Pas de contact |
Aucune mesure n'est recommandée
|
|
Contact |
Gants non stériles |
Après
retrait des gants: |
Contact : sang, sécrétions, peau
Environnement proche : lit, tous dispositifs en contact direct avec le malade
et/ou ses sécrétions.
L'observance
de ces recommandations est améliorée par la présence dans chaque chambre d'un
lavabo équipé de distributeurs de savon et d'essuie-mains à usage unique, ainsi
que par le port de tenues de travail à manches courtes, qui permettent de
dégager les avant-bras en permanence ; le port de bijoux est prohibé. Les soins
doivent être réalisés selon un ordre d'exécution allant du risque faible au
risque élevé pour éviter l'autocontamination du malade.
Tous les
malades suspects de colonisation ou colonisés / infectés à BMR, à l'entrée en
réanimation, doivent bénéficier d'un "isolement spécifique" qui
comporte
Toutes ces
recommandations doivent être écrites, avalisées et acceptées par tous les
acteurs de soins afin d'en améliorer l'observance. Elles ne se conçoivent
qu'associées au respect des règles d'hygiène de base et à la gestion et la
manipulation rationnelle des excreta et des matériels souillés. Les familles
sont autorisées à entrer dans les chambres de patients contaminés, mais doivent
respecter les règles d'hygiène générale et se laver les mains au savon
antiseptique en sortant des chambres.
Dans une
stratégie de maîtrise des infections hospitalières à BMR, la
chimiodécontamination (CD) antibiotique des réservoirs humains vise à réduire,
voire à éradiquer, la colonisation par certaines BMR préalablement identifiés,
par l'administration de molécules topiques et faiblement absorbées au niveau
systémique. Ses indications demeurent mal précisées. En l'état
actuel des connaissances, elle ne représente qu'un complément, limité dans le
temps, au renforcement indispensable des mesures d'isolement technique,
géographique et à l'adéquation du ratio personnel-patient.
La
stratégie globale de prévention des BMR proposée comporte des mesures qui
doivent être mises en route, d'une part au niveau du service de réanimation,
d'autre part aux échelons local (l'établissement), régional et national.
Dès
l'admission en réanimation, tous les malades doivent faire
l'objet d'un isolement technique standard. Le patient colonisé, ou
supposé colonisé, par une BMR doit faire de plus l'objet d'un isolement
spécifique (défini à la question 3) et, si possible, d'un isolement
géographique en chambre seule. Nous recommandons un dépistage régulier et
prospectif des patients-réservoirs de BMR, qui concerne dès l'admission les
malades suspects de présenter une infection ou une colonisation à BMR (séjour
en institution dans les 12 mois précédents) et tous les malades, de façon
hebdomadaire, à partir du septième jour d'hospitalisation. La recherche des
SARM et des EBLSE doit être systématique. En cas d'apparition de plusieurs cas
d'infection à une autre BMR dans un court laps de temps, le dépistage
systématique doit être étendu à cet autre germe. L'isolement spécifique doit
être identique, que les malades soient colonisés ou infectés, pour éviter la
transmission croisée. Certaines situations peuvent justifier une
chimiodécontamination (voir question 4). La colonisation de plusieurs
patients par la même BMR ("colonisation épidémique") doit
faire l'objet des mêmes mesures qu'une épidémie vraie. En cas d'épidémie, les
sources, les réservoirs secondaires et les voies de transmission doivent être
identifiés par des prélèvements complémentaires, incluant environnement et/ou
personnel en fonction des bactéries en cause. Le typage moléculaire de la ou
des souches concernées doit être entrepris. Les mesures d'isolement spécifique
et géographique doivent être généralisées. En cas de non maîtrise d'une
épidémie, l'affectation d'un personnel spécifique aux patients infectés peut
être proposée. Pour le SARM, une décontamination du personnel colonisé doit
être effectuée. Dans les cas extrêmes, le service sera fermé. A la sortie de
la réanimation, le patient encore porteur de BMR fait l'objet d'une
signalisation systématique ; l'intérêt de sa décontamination reste discuté.
Dans
l'hôpital, une procédure d'alerte microbiologique centrée sur les
infections nosocomiales à BMR, l'application dans tous les services des
protocoles d'isolement et une politique de prescription contrôlée des
antibiotiques, doivent être mis en place en coopération avec une structure
d'hygiène hospitalière. L'institution doit fournir les moyens nécessaires à la
mise en route de ces programmes.
A
l'échelon régional, une instance responsable, actuellement matérialisée
en France par les C-CLIN, doit permettre une coordination entre les
institutions (information microbiologique locorégionale et incitation à la mise
en route de moyens locaux adaptés), notamment en cas d'épidémie à BMR.
C'est à
l'échelon national que doivent être assurées la promotion et la
coordination de la politique de lutte contre les infections à BMR, ainsi que la
comparaison avec les interventions proposées et les résultats obtenus au niveau
international.