PREVENTION DES HEMORRAGIES GASTRO-DUODENALES DE STRESS

2e Conférence de Consensus en Réanimation et Médecine d'Urgence. Paris, le 3 Juin 1988

Les hémorragies gastro-duodénales de stress (HGDS) restent une préoccupation des réanimateurs en raison de leur mortalité potentielle et du coût de leur traitement. Cependant, l'impression générale est celle d'une diminution de leur fréquence, liée peut-être à une prise en charge plus précoce et plus efficace des malades. Il en résulte une hétérogénéité des stratégies de prévention, allant d'un traitement systématique à une absence de prévention. L'analyse des données de la littérature révélant de nombreux défauts méthodologiques impose une certaine prudence dans l'interprétation des résultats. Cette deuxième Conférence de Consensus en Réanimation et Médecine d'Urgence s'est tenue le 3 juin 1998 au C.H.U. de Lariboisière Saint Louis - Paris, et avait pour objectif de faire le point sur la prévention des HGDS. Des experts ont présenté en public les principaux travaux expérimentaux et cliniques. Le Comité du Consensus avait pour tâche de répondre à 5 questions préalablement posées. Ce texte est le résumé du document de référence publié dans le revue "Réanimation, Soins Intensifs, Médecine d'Urgence" Septembre 1988, Vol. 4, n• 5, page 241 à 245.

- Quelles sont les HGDS qu'il faut prévenir ?

Ce sont les hémorragies nécessitant des transfusions (ou d'autres thérapeutiques) puisque ce sont elles qui sont responsables d'un surcoût et d'une surmortalité. Elles s'observeraient chez environ 5 % des malades de réanimation ? La valeur prédictive des lésions gastro-duodénales constatées endoscopiquement dès l'entrée en réanimation n'étant pas connue, on ne peut pas recommander l'endoscopie systématique. La détection des hémorragies occultes mériterait d'être évaluée comme facteur prédictif de la survenue d'une hémorragie nécessitant une transfusion. Leur détection en pratique clinique n'est pas justifiée. La survenue d'une hémorragie macroscopique impose une endoscopie pour préciser sa cause. La mesure du pH intra-gastrique n'a pas de valeur pour prédire la survenue d'une hémorragie. Les études des facteurs de risques sont très critiquables. Dans les études prospectives utilisant comme critère l'hémorragie macroscopique, la survenue d'un sepsis, d'un coma chez les traumatisés crâniens, de troubles de la coagulation, la nécessité d'une ventilation mécanique sont, en analyse unidimensionnelle, associés à l'hémorragie. Il semble que l'accumulation des défaillances viscérales soit un facteur de risque, de même qu'un antécédent certain d'ulcère gastro-duodénal.

- Les thérapeutiques contrôlant le pH gastrique permettent-elles de prévenir les HGDS ?

L'utilisation de ces traitements repose essentiellement sur l'hypothèse du rôle joué par la baisse du pH intra-mural dans la survenue des HGDS. Pour les antiacides, une stimulation de la sécrétion de prostaglandines et la chélation des sels biliaires ont également été évoquées. Les essais randomisés ont globalement montré une efficacité des antiacides par rapport au placebo ou au groupe témoin sur la prévention des hémorragies macroscopiques. L'application correcte de ces traitements impose une lourde charge de soins. Les essais randomisés ont globalement montré une efficacité des inhibiteurs H2 par rapport au placebo et une non-différence par rapport aux antiacides sur la prévention des hémorragies macroscopiques.

- D'autres thérapeutiques médicamenteuse ont-elles un effet préventif sur les HGDS ?

Le sucralfate empêcherait la rétro-diffusion des ions H+ et agirait également par son action anti-peptique, sa liaison aux sels biliaires et par une éventuelle augmentation de la synthèse des prostaglandines. Il n'existe pas d'essai randomisé contre placebo. Globalement, l'analyse des essais randomisés contre les antiacides et les inhibiteurs H2 ne montre pas de différence significative pour la prévention des hémorragies digestives macroscopiques. La pirenzépine, antagoniste des récepteurs muscariniques, diminue la sécrétion gastrique et favoriserait la perfusion de la muqueuse. Globalement, les essais randomisés ont montré une efficacité de la pirenzépine par rapport au placebo et l'absence de différence par rapport aux inhibiteurs H2 pour la prévention des hémorragies macroscopiques. Les prostaglandines E1 (misoprostol) ou E2 (enprostil) ont une action anti-sécrétoire et cytoprotectrice, mais les études actuelles ne permettent pas d'évaluer leur efficacité pour la prévention des hémorragies macroscopiques.

- Quels sont les risques de ces thérapeutiques à visées préventive ?

Certaines complications posent des problèmes soit de diagnostic dans un contexte de réanimation (encéphalopathie, thrombopénie sous inhibiteurs H2), soit des problèmes de soins infirmiers (diarrhée sous antiacides). Le risque de pneumopathie nosocomiale a été récemment souligné pour les traitements antiacides et anti-secréteurs. Le mécanisme habituellement reconnu est la colonisation par les flores pharyngée et intestinale du liquide gastrique qui a perdu son pouvoir bactéricide acide. En raison de la gravité des pneumopathies nosocomiales, il est indispensable de confirmer par de nouvelles études prospectives les liens de causalité avec les thérapeutiques augmentant le pH gastrique.

- Quel est le rapport coût/efficacité de ces thérapeutiques ?

Dans une situation clinique où le malade peut recevoir une thérapeutique par voie digestive, si l'efficacité du sucralfate se confirme et si les thérapeutiques élevant le pH sont effectivement responsables de pneumopathies nosocomiales, le choix du sucralfate semblerait actuellement le mieux adapté. Dans ce cas, les données actuelles ne permettent pas de choisir entre une stratégie de prévention systématique ou sélective. Si le malade ne peut recevoir une thérapeutique par voie digestive, il semble raisonnable de proposer un traitement par les inhibiteurs H2, uniquement chez les malades considérés à haut risque.