XXIII ème conférence de consensus en réanimation et médecine d'urgence : Transfusion érythrocytaire en réanimation (nouveau-né exclu

 

Avec la participation de :
-  de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation
-  de la Société Française de Transfusion Sanguine
-  de la Société Française d'Hématologie
-  de la Société Française de Gastro-Entérologie
-  du Groupe Francophone de Réanimation et d'Urgences Pédiatriques

Jeudi 23 octobre 2003

Institut Mutualiste Montsouris à Paris

Introduction

La transfusion de concentrés de globules rouges (CGR) consiste à administrer des globules rouges d'un donneur à un receveur pour corriger son anémie. La justification de la transfusion érythrocytaire est d'éviter les conséquences délétères de l'anémie. Celles-ci dépendent de la profondeur de l'anémie et des capacités individuelles de compensation. L'apparition du SIDA a modifié la perception du risque transfusionnel. Le poids des risques passés ne doit cependant pas conduire à substituer, à une ère de transfusion aux indications trop libérales, une ère d'indications trop restreintes avec perte de chance pour les malades. Le risque résiduel et la pénurie de dons rendent légitimes des recommandations guidant la pratique transfusionnelle en réanimation.

Questions

-  1. Quel(s) bénéfice(s) au sens physiopathologique peut-on attendre de la correction de l'anémie chez les malades de réanimation ?

-  2. Quels sont les risques de la transfusion ?

-  3. Peut-on prévenir l'anémie et quelles sont les alternatives à la transfusion ?

-  4. Quelles sont les modalités de la transfusion érythrocytaire en réanimation ?

-  5. Quelle doit être la stratégie de prise en charge de l'anémie chez les malades de réanimation ?


1. Quel(s) bénéfice(s) au sens physiopathologique peut-on attendre de la correction de l'anémie chez les malades de réanimation ?

Un taux d'hémoglobine inférieur à 10 g/dL est fréquemment observé en réanimation. L'anémie résulte d'une dysérythropoïese médullaire ou d'une perte de globules rouges. Son importance est majorée par l'hémodilution. L'objectif principal de la correction de l'anémie par la transfusion de concentrés de globules rouges (CGR) est l'augmentation du contenu artériel en O2 (CaO2) et donc du transport en O2 (TO2). Le TO2 est proportionnel au débit cardiaque (DC). La restauration de la volémie est donc un préalable au cours du choc hémorragique. Si les mécanismes de compensation ne sont pas dépassés, l'augmentation de l'hémoglobine n'augmente pas la consommation d'oxygène (VO2). Les mécanismes cardiaques de compensation sont pris en défaut dans l'insuffisance cardiaque sévère et au cours de l'ischémie myocardique aiguë. La transfusion de CGR est logique dans ce contexte.

D'autres phénomènes doivent être pris en considération :


-  le pouvoir oxyphorique des érythrocytes diminue avec la durée du stockage ;

-  l'anémie s'accompagne d'une hypoviscosité sanguine favorisant l'augmentation des débits locaux. Une transfusion excessive augmente la viscosité et peut être délétère.


2. Quels sont les risques de la transfusion ?

Le rapport bénéfice/risque doit être apprécié avant la mise en œuvre d'une transfusion. Le risque lié aux agents viraux majeurs (VIH, VHB, VHC) est devenu infime. La déleucocytation des produits sanguins labiles ne permet plus de quantifier le risque lié aux virus leucotropes. Le risque de contamination bactérienne est devenu supérieur au risque viral. Le paludisme transfusionnel, exceptionnel, est le seul risque de contamination parasitaire en France métropolitaine. Le risque de transmission d'agents transmissibles non conventionnels reste théorique. La prévention du risque infectieux repose sur : l'interrogatoire des donneurs ; l'exclusion du don des sujets transfusés antérieurement ; la déleucocytation systématique ; le dépistage biologique des agents pathogènes ; l'auto-transfusion. Une hémolyse aiguë peut s'observer en cas d'incompatibilité ABO (la plus grave), mais aussi dans d'autres systèmes. Le risque ABO est évalué à 1 sur 150 000 transfusions. Le contrôle ultime au lit du malade, obligatoire, est le dernier verrou de sécurité. L'immunisation anti-leucocytaire a diminué depuis la déleucocytation systématique. Le TRALI est un accident rare qui se manifeste par un œdème pulmonaire lésionnel dans les suites immédiates de la transfusion. Un œdème pulmonaire hémodynamique peut survenir après une transfusion trop rapide, notamment chez l'insuffisant cardiaque. Une complication des transfusions massives est la dilution des plaquettes et des facteurs de la coagulation, responsable d'hémorragies. Une autre complication des transfusions massives incluant l'apport de plasma est l'intoxication citratée. Les autres complications à prévenir sont l'hypothermie et les variations de la kaliémie. Au total, le risque de transmission des virus majeurs est à ce jour maîtrisé. Les risques immunologiques et bactériens le sont moins ; la transmission d'un agent émergent reste possible.


3. Peut-on prévenir l'anémie et quelles sont les alternatives à la transfusion ?

Plus de la moitié des adultes hospitalisés en réanimation au-delà de 48 heures sont transfusés. Une procédure écrite précisant les modalités de la transfusion et les règles concernant les indications, la fréquence et le volume des prélèvements sanguins est recommandée (3). Chez l'adulte, le volume sanguin prélevé pour les examens biologiques est important (40 ml en moyenne par jour), proportionnel à la sévérité et à la durée de séjour. Les possibilités d'adapter les techniques de prélèvements utilisées en pédiatrie doivent être évaluées chez l'adulte. Une stratégie d'épargne doit être conduite avec prudence chez les patients à risque (tableau II). En situation d'urgence, il est nécessaire de limiter l'hémodilution, de reconnaître et traiter la vasoplégie, d'utiliser précocement les techniques d'hémostase instrumentale et de traiter les coagulopathies. L'érythropoïétine exogène peut générer une épargne transfusionnelle (a). Ses modalités d'administration en réanimation ne sont pas standardisées. La remontée du taux d'hémoglobine est retardée et aucune étude ne montre de bénéfice en terme de mortalité. L'utilisation de l'érythropoïétine n'est pas recommandée en réanimation (2). Cependant, la poursuite d'un traitement antérieurement prescrit (insuffisant rénal et patient d'onco-hématologie) est possible. En dehors de l'urgence vitale immédiate, l'érythropoïétine peut être envisagée chez un patient refusant la transfusion. Les solutions d'hémoglobine (1) et les perfluorocarbones (2) ne sont pas recommandés. L'administration de fer n'a pas d'intérêt en dehors d'une carence martiale documentée (3).


4. Quelles sont les modalités de la transfusion érythrocytaire en réanimation ?

Le CGR obligatoirement déleucocyté en France depuis 1998 est le produit de base. La déleucocytation diminue le risque viral et immunologique. L'allo-immunisation est prévenue par l'utilisation de CGR phénotypés pour au moins cinq antigènes autres que ABO et D (C,E,c,e,Kell). L'utilisation des CGR phénotypés est systématique dans les situations suivantes : RAI positive ; filles, femmes en âge de procréer, transfusés itératifs. Elle est recommandée chez les garçons. Les « unités pédiatriques » résultant de la division d'une unité adulte sont impérativement préparées à l'établissement de transfusion sanguine. Le délai de réalisation des examens immuno-hématologiques (au moins 45 minutes), conduit à utiliser une procédure d'urgence vitale immédiate (Tableau I). L'urgence augmente le risque d'erreur transfusionnelle. Elle ne dispense pas du contrôle ultime au lit du patient. Devant un choc hémorragique, deux cathéters périphériques sont nécessaires. En cas d'échec, un abord veineux profond de gros calibre est posé, préférentiellement en fémoral (3) ; chez le nourrisson l'alternative est la voie intra-osseuse. Le débit de transfusion peut nécessiter l'utilisation d'un dispositif accélérateur-réchauffeur.

 

En dehors du choc hémorragique, la vitesse de perfusion est de 10 à 15 mL/min chez l'adulte et de 4 à 8 mL/kg/h chez l'enfant. La durée totale de perfusion d'un CGR ne doit pas excéder 2 heures. En raison de ses implications potentielles, la prise de décision doit être « seniorisée ». Le respect des bonnes pratiques de l'hémovigilance est obligatoire.


5. Quelle doit être la stratégie de prise en charge de l'anémie chez les malades de réanimation ?

Un syndrome hémorragique impose de rétablir immédiatement la volémie, le CaO2 et de corriger rapidement d'éventuels troubles de l'hémostase. Le dosage précoce de l'hémoglobine ne reflète pas directement l'importance du saignement. La transfusion ne doit pas retarder un geste d'hémostase. En dehors du syndrome hémorragique, les signes de mauvaise tolérance de l'anémie ne sont ni spécifiques ni sensibles, en particulier du fait d'une sédation. Dans ce contexte, la modification du segment ST et l'hyperlactatémie ont valeur d'alerte. La décision transfusionnelle doit reposer sur une analyse bénéfice/risque et être explicitée dans le dossier du patient. Une stratégie transfusionnelle exclusivement basée sur des valeurs-seuil d'Hb (taux au-dessous desquels il existe un risque de surmorbidité ou de surmortalité) est probablement trop simplificatrice. La transfusion est recommandée si le taux d'hémoglobine est inférieur à 7 g/dL, et non recommandée au-delà de 10 g/dL (2). Entre 7 et 10 g/dL, la décision transfusionnelle dépend des situations cliniques (cf. Tableau II) :

 

 

* Des taux d'Hb inférieurs à 7 g/dL sont probablement acceptables dans certaines situations comme l'anémie post-hémorragique après contrôle du saignement. En l'absence de données spécifiques chez l'enfant, cette stratégie peut être utilisée (3).

La nécessité de poursuivre la transfusion doit être évaluée après chaque CGR. En dehors du syndrome coronarien aigu, l'objectif est de maintenir le taux d'hémoglobine entre 7 et 9 g/dL (2). Une telle stratégie n'affecte pas la mortalité, la morbidité et la durée de séjour en réanimation (a).

En cas de refus de transfusion dans le contexte de l'urgence vitale, le réanimateur doit faire face à une contradiction entre deux devoirs : le respect de la vie et le respect du refus de soins. S'il décide de transfuser le patient, il doit pouvoir démontrer :

-     qu'il a tout mis en œuvre pour éviter la transfusion et convaincre le patient conscient, sa famille ou la personne de confiance,

-     -  qu'il n'y a pas d'alternative thérapeutique et

- -  que le traitement est proportionné. La notification de cette situation au Procureur de la République est souhaitable chez l'adulte ; il est obligatoirement saisi chez l'enfant.


Le score d'évaluation des références était le suivant : a) études prospectives, contrôlées et randomisées ; b) études non randomisées, comparaisons simultanées ou historiques de cohortes ; c) mises au point, revues générales, éditoriaux et études substantielles de cas en série publiés dans des revues avec comité de lecture et révisés par des experts extérieurs ; d) publications d'opinions telles que monographies ou publications d'organisations officielles dans des journaux ou des livres sans comité de lecture et sans révision par des experts extérieurs.

Le score pour les recommandations se composait de trois niveaux :

-     niveau 1 : recommandation justifiée en elle-même par des preuves scientifiques indiscutables ;
-  niveau 2 : recommandation justifiée par des preuves scientifiques et le soutien consensuel des experts ;

-     -  niveau 3 : recommandation ne reposant pas sur des preuves scientifiques adéquates mais soutenue par les données disponibles et l'opinion des experts.


Société de Réanimation de Langue Française

Jury du Consensus Président : D. PERROTIN (Tours) J. CAMBOULIVES (Marseille) Y. DOMART (Compiègne) J.Y. FAGON (Paris) J.L. GERARD (Caen) O. JONQUET (Montpellier) J.J. LEFRERE (Paris) P. LESTAVEL (Lille) M. de MONTALEMBERT (Paris) C. PAUGAM-BURTZ (Paris) J. REGNIER (La Roche-sur-Yon) F. SCHNEIDER (Strasbourg) T. SOUPISON (Eaubonne)

Conseillers scientifiques G. ANDREU (Tours) A. LIENHART (Paris) B. SOUWEINE (Clermont-Ferrand

Organisateur local M. WOLFF (Paris)

Commission des Référentiels Secrétaire : R. ROBERT (Poitiers) D. BARNOUD (Grenoble) T. BOULAIN (Orléans) T. BLANC (Rouen) A. CARIOU (Paris) J.L. DIEHL (Paris) M. GENESTAL (Toulouse) C. GIRAULT (Rouen) B. GUIDET (Paris) S. LETEURTRE (Lille) T. POTTECHER (Strasbourg) M. THUONG GUYOT (Saint-Denis) M. WOLFF (Paris

Cette conférence est organisée avec l'aide des laboratoires : Fresenius France Pharma, GSK, Hamilton Médical, LFB, Pfizer, Tyco Healthcare et Wyeth. La SRLF remercie vivement la Société Générale pour son aide généreuse