Antidotes ?

 

B-A Gaüzère  2 février 2000

 

 

1. Définition : L'antidote est un médicament dont l'action spécifique a pu être établie chez l'animal et chez l'homme, capable soit de modifier la cinétique du toxique, soit d'en diminuer les effets au niveau de récepteurs ou de cibles spécifiques, et dont l'utilisation améliore le pronostic vital ou fonctionnel de l'intoxication. Grâce à une meilleure connaissance de la physiopathologie des intoxications et à l'apport de la toxicocinétique, ces dernières décennies ont été marquées par la réévaluation de l'efficacité d'antidotes connus et par la découverte de nouvelles molécules. Le pronostic de certaines intoxications (paracétamol, digitaliques) a ainsi été transformé.

 

2. Mode d'action des antidotes

Trois grands types de mécanismes sont individualisables :

2.1 Modification de la toxicocinétique

En diminuant la biodisponibilité du toxique, ces antidotes vont limiter son accès à la cible :

·        En limitant la résorption du toxique par adsorption (charbon activé) ou formation de complexes insolubles (sels de calcium, sels de magnésium, bleu de Prusse) éliminés par les fèces

·        En neutralisant le toxique dans le compartiment sanguin (chélateurs des métaux, hydroxocobalamine, immunothérapie des digitaliques) ; le toxique devient inerte et facilement éliminable par l'émonctoire rénal

·        En inhibant une voie métabolique conduisant à un métabolite toxique (éthanol et 4 méthyl-pyrazole pour les glycols)

·        En favorisant une voie naturelle de détoxication (N-acétylcystéine)

2.2 Modification de la toxicodynamie

En agissant sur le couple toxique-récepteur, l'antidote contrecarre les effets du toxique au niveau biochimique le plus fin par :

·        Antagonisme spécifique (naloxone, flumazénil) ; c'est aussi le mode d'action des bêta-mimétiques, des bêta-bloquants et de l'atropine

·        Manipulation d'une constante d'affinité (oxygène hyperbare)

Dans ces deux cas, l'antidote agit par compétition. La concentration des deux substances au niveau du récepteur, et leur affinité respective pour ce dernier vont intervenir.

·        Réactivation d'un système enzymatique (oximes) : par rupture d'une liaison covalente spontanément irréversible

2.3 Traitement « spécifique » des effets du toxique

L'action thérapeutique intervient en aval du site d'action et corrige plus ou moins complètement les effets du toxique (glucagon, bleu de méthylène, glucose, oxygène, vitamine K, calcium, PPSB...).


3. Indications d'un antidote

La plupart des intoxications aiguës ou chroniques ne nécessite qu'une réanimation symptomatique ; un traitement spécifique est rarement indispensable. On doit à ce titre rappeler la série de diagnostics rétrospectifs d'intoxication cyanhydrique aiguë méconnue fait par l'interrogatoire des intoxiqués sortis de leur coma et traités par " simple " oxygénation. L'indication d'un antidote doit tenir compte:

·        De la cinétique respective du toxique et de l'antidote, et en particulier de leur durée d'action. Par exemple la naloxone, antagoniste à courte durée d'action, est utilisée lors d'intoxications par des opiacés de demi-vie plus longue. Cet antidote, administré en une dose unique, va agir spécifiquement sur les récepteurs, corriger les effets du toxique sans modifier sa cinétique. L'intoxiqué peut apparaître temporairement guéri de ses symptômes mais le risque de " remorphinisation " est certain

·        Du moment de l'intervention médicale dans le cours de l'intoxication
Le traitement d'une intoxication aiguë comprend de façon générale 3 phases plus ou moins intriquées :

·        Le traitement symptomatique, seul vraiment urgent, toujours indispensable et souvent suffisant

·        Le traitement épurateur

·        Le traitement spécifique antidotique éventuellement

·        Du risque iatrogène en prenant en compte l'évolution naturelle de l'intoxication et le bénéfice escompté.

·        Du coût souvent élevé de l'antidote, à mettre en balance avec le coût de l'utilisation alternative de moyens consommateurs de temps et/ou de matériels

L'antidote peut être utile en urgence : c'est le cas par exemple du flumazénil et de la naloxone, utilisés comme aide au diagnostic de troubles neuro-psychiques, d'un coma ou pour lever une dépression respiratoire.

Il est indispensable dans les premières heures de l'évolution d'une intoxication potentiellement grave par un toxique lésionnel (paracétamol) alors que les signes cliniques sont absents : l'efficacité de la N-acétylcystéine est maximale dans les 8 à 10 premières heures de l'intoxication.

Dans d'autres cas, en améliorant le pronostic fonctionnel d'une intoxication, il peut optimiser une thérapeutique symptomatique déjà éprouvée.

 

 

4. Intoxications et leurs antidotes

 

Acide fluorhydrique - acide oxalique (RubigineÒ)

·      Calcium

 

Amanite phalloïde ( non vu à la Réunion)

·      Sylmarine (LégalonÒ) 20 mg/kg/j pendant 5 jours.

 

Anti-arythmiques

·      Lactate de Na+ molaire : 250 - 500 mL.

 

Anti-calciques

·      Chlorure de calcium et glucagon (aux mêmes doses que celles utilisées lors de l’intoxication aux béta-bloquants.

 

Antidépresseurs tricycliques

·      Lactate de Na+ molaire.

 

Arsenic, plomb, mercure

·        BAL : dose 3mg/kg/injection IM (maximum 300mg/injection)

·        J1-J2: 1 injection toute les 4 heures

·        J3: 1 injection toute les 6 heures

·        J4-J10: 1 injection toute les 12 heures.

 

Beta-bloquants

·      Glucagon (GlucagenÒ) 50-100 µg/kg, puis 1 - 5 mg/h associé à l’isoprénaline (IsuprelÒ), 5 amp / 250 sérum glucosé % en goutte à goutte.

·        ou insuline glucose (Insulin improves survival in lethal canine propranolol toxicity: Ann Emerg Med 1997; 29: 748-57.)

 

Benzodiazépines

·      Flumazénil (AnexateÒ), 0.2 mg puis titration par 0.1 mg sans dépasser 1 - 2 mg. Relais par dose initiale IV/h.

Attention : du point de vue du réanimateur, il s’agit plus d’un test diagnostique que d’un antidote. Les patients avec score de Glasgow inférieur à 10 ou dont le réflexe de protection des voies aériennes est aboli doivent être proposés en réanimation.

 

Calcium antagonistes

·        insuline glucose

·        Insulin and glucose: Novel treatment for calcium antagonist induced shock J toxicol Clin Toxicol 1997; 22 1225-1228.

 

Chloroquine, quinine

·      Diazépam (ValiumÒ), 2 mg/kgIVD (ventilation assistée obligatoire), Adrénaline, 0.25 à 1 µg/kg/min.

·      Transfert immédiat en réanimation sous électrocardioscope.

 

Clonidine

·        Comparable à l’intoxication morphiniques pour la clinique et le traitement.

 

Colchicine

·      Anticorps anti-colchicine (non disponibles à la Réunion).

 

Cuivre

·      D pénicillamine : 1g / j pendant 5jours.

 

Cyanure et fumées d’incendie

 

Le CYANOKIT® (LIPHA-SANTE) contient 2 flacons de 250 ml contenant chacun 2,5 g d'hydroxocobalamine sous forme de lyophilisat pour usage parentéral. La dose initiale théorique est de 70 mg/kg (adulte et enfant). En pratique chez l'adulte, la dose initiale est habituellement de 5 g, à répéter éventuellement.

 

·      Ingestion de produit à durée prolongée : Hydroxocobalamine 70 mg/kg + 8 g de thiosulfate de Na+ : efficacité vers la 12ème h + oxygénothérapie.

·      Intoxications courantes, notamment fumées d'incendie : hydroxocobalamine seule + oxygénothérapie.

 

Digitaliques

·      Anticorps antidigitaliques (DigidotÒ), 80 mg d’anticorps par mg de digitalique ingéré (Pharmacie du CHD avec autorisation d’un réanimateur).

 

Dyskinésie aiguë aux neuroleptiques

·      Tropatépine (LepticurÒ), 10 à 20 mg/j.

 

Ethylène- glycol, méthanol

·      Ethanol 0.6g/kg puis 0.1 - 0.2 g/kg pour obtenir une alcoolémie de 1 à 2 g/L.

note : à la Réunion, l’alcool à brûler de fabrication locale est à base d’éthanol (alcool de canne à sucre) et non de méthanol, l’antidote ne s’impose donc pas.

·      ou 4 méthylpyrazole , 20 mg/kg en 30 min, puis 10 mg/kg 12 heures après, puis 10 mg/12 h.

 

Fer

·      Déféroxamine : 15 mg/kg/h voie IV

 

Héparine

·        Protamine : 100 unité antihéparine neutralisent:

·        100 UI d'héparine standard

·        1 mg d'énoxaparine

·        100UI anti Xa de fraxiparine ou tédelparine

 

INH

· Pyridoxine : par voie IV

Méthémoglobinémie

·      Bleu de méthylène, 1 - 2 mg/kg à répéter si besoin.

·      Si déficit en G6PD : 200 mg/3/j.

 

Naloxone

·        Tableau comparable à l’intoxication morphiniques.

 

Opiacés

·      Naloxone (NaloneÒ, NarcanÒ), 0.2 mg puis titration par 0.1 mg sans dépasser 1 - 2 mg. Relais par dose initiale IV/h.

·      Mêmes réserves que lors de l’intoxication aux benzodiazépines.

 

Organophosphorés

·      Atropine mg par mg, parfois plusieurs mg/h, pralidoxime (ContrathionÒ).

 

Paracétamol - tétrachlorure de carbone

·      N-acétyl cystéine (FluimicilÒ)

*     IV : 150 mg/kg dans 250 mL G5%, en 15 min, puis 50 mg/kg en 4 h, dans 500 mL, puis 100 mg/kg en 6 h dans 1000 mL.

*     PO : 140 mg/kg en dose de charge, puis 70 mg/kg/4 h pendant 3 à 4 j.

 

Parasympathomimétiques (organophosporés)

·      Pralidoxime (ContrathionÒ), 200 - 400 mg en 30 min à renouveler si besoin après 1 h, puis par 6 h.

·      Attention : possible aggravation du tableau clinique lors de l'administration de pralidoxime dans les intoxications aux carbamates anticholinergiques.

 

Syndrome malin des neuroleptiques

· Dantrium (DantrolèneÒ) 1 mg/kg à répéter jusqu’à 5 à 10 mg/kg.

 

Antivitamines K

· PFC, Vitamine K. Le P.P.S.B. n’est pas indiqué

 

5)      Note sur le charbon activé (CarbomixÒ)

 

L'essentiel de l'efficacité du charbon activé a été démontré chez le volontaire sain. Aucune preuve d'efficacité n'est disponible en clinique humaine. Pour certains, le charbon activé est constamment inutile s'il est administré plus d'une heure après l'ingestion des toxiques. Dans tous les cas, les défaillances vitales doivent être corrigées avant l'administration de charbon activé. La précocité et l'efficacité du traitement symptomatique initial sont plus importantes que l'éventuelle administration de charbon activé.

 

5.1) Les contre-indications

·        Ingestion de produits caustiques (inefficacité et modification des données endoscopiques)

·        Toxiques entraînant des vomissements (risque d'inhalation bronchique)

·        Intoxications nécessitant un traitement antidotique par voie orale : le charbon activé peut neutraliser l'antidote (N-acétylcystéine dans l'intoxication par paracétamol par exemple)

·        Certains toxiques ne sont pas adsorbés par le charbon activé : cyanure, alcools, et glycols, métaux (fer, lithium).

 

5.2) Les effets secondaires

·        Nausées et vomissements (souvent lors d'une administration trop rapide), avec risques d'inhalation bronchique

·        Constipation, avec risque de sub-occlusion intestinale et/ou de relargage partiel des toxiques, ou diarrhées

 

 

6) Références

 

· Protocoles d’anesthésie réanimation 8ème édition. MAPAR éditions.

· Les intoxications aiguës. Jaeger et Vale. SRL. Elsevier

· Participation de la liste URG-L@home.ease.lsoft.com

· PARACELSE http://www.egora-sante.com/default.asp?workingPage=HTML/HTMLPublic/Tox-In/Tox-In.htm