Intervention du SAMU de la Réunion lors des catastrophes aériennes de Madagascar (1995) et des Comores (1996)

B-A Gaüzère1, A. Bourdé2, A. Mariam3, Y. Djardem2, P. Blanc1, J. Faivre4, T. Garnaud1, N. Lan-Nang-Fan1, G. Henrion 2, F. Paganin1.

Service de Réanimation1, SAMU 9742, CHD Félix Guyon, 97405 Saint-Denis-de-La Réunion. Ethiopian Airlines3, Addis-Abeba. Protection Civile, Préfecture de la Réunion, 97405 Saint-Denis-de-La Réunion4.

Résumé. Le SAMU de la Réunion est intervenu récemment sur deux accidents d'avion survenus dans la région Océan indien. La mise en oeuvre difficile des premiers secours dans des pays à faible budget de santé rend compte de la nécessité d'une intervention extérieure rapide et performante ainsi que du faible nombre de survivants et de blessés de moyenne gravité. Une logistique complexe peut être mise sur pied en 3 à 4 heures. La vocation humanitaire régionale du SAMU de la Réunion permet, en parfaite complémentarité avec la logistique de l’armée française, un relais rapide dans la prise en charge des rescapés.

Mots-clés: SAMU, Réunion, accident aérien, détournement, armée.

Intervention of the Réunion island mobile medical team on two aircrashes : Madagascar (1995) and Comores (1996)

Summary: In implementing the health and medical services portion of the the french national health system (SAMU), the Réunion island civil emergency mobile medical team, was actively involved in relief operations for two airplane crashes that occured in the less developped neighbouring countries. The strategic disaster management, the complementary role of the French Army's logistic, as well as the the type of casualties and causes of death are discussed. Lessons learned from those experiences can be applies to planning for other disasters.

Introduction

Les accidents d'avions civils dans le monde sont en recrudescence, (tableau I) avec toutefois une forte diminution du nombre de tués rapporté au nombre d'heures de vol et une meilleure chance de survie en cas d'accident [1,2,3,4]. Les détournements d'avion sont en diminution avec une chute annuelle de 27 à 8 depuis 1973, date à laquelle la fouille obligatoire des bagages a été instaurée. Les accidents aériens suscitent toujours une forte mobilisation et la mise en jeu de structures complexes de secours. L'Océan indien, au trafic aérien modéré, avait été jusqu'ici relativement épargné par ces accidents. Toutefois l’île de la Réunion qui connaît un accroissement rapide du trafic aérien des gros porteurs, a développé des plans de secours spécialisés pour son aéroport et le SAMU 974 est intégré dans ces plans. Le SAMU de la Réunion a été ainsi amené à intervenir récemment sur deux catastrophes aériennes dans des pays voisins de la zone Océan indien, à dresser un bilan sanitaire et à développer quelques réflexions et propositions d'action.

année

1990

1991

1992

1993

1994

1995

nombre d'accidents

22

40

52

41

53

57

tués

635

1 170

1 420

1 170

1 400

1 215

 

Tableau I: statistiques concernant les accidents d'avion, mis à part les détournements et les attentats.

L'accident du DC 3 à Ivato, Madagascar (18 juillet 1995)

En phase finale d'approche, un DC 3 de l'armée malgache transportant les membres d'une mission humanitaire française, effectue un piqué d'une hauteur de quelques dizaines de mètres et s'enflamme à un kilomètre de la piste. Vieux de plus de 50 ans, en sureffectif et en surcharge, l'appareil emportait 36 passagers et 4 membres d'équipage. L'incendie est maîtrisé par les pompiers de l'aéroport, mais les premiers secours ne sont pas prodigués sur place, en raison de l'absence de structure mobile de santé et de poste médical avancé. Les blessés sont évacués de façon non médicalisée par des véhicules privés vers les 2 plus grands hôpitaux de la capitale, distants d'environ un vingtaine de kilomètres du lieu de l'accident. La prise en charge des cas graves (assistance ventilatoire, fractures des membres, traumatismes thoraciques hypoxémiants, plaies) est assurée localement. Le SAMU 974 est mis en alerte 4 heures plus tard. Dès réception de la demande des autorités malgaches, soit 8 heures après l'accident, un Transall C 160 des Forces Armées de l'Océan indien, converti en hôpital, emporte l' équipe médicale composée de 2 médecins anesthésistes-réanimateurs, 2 chirurgiens, 2 infirmiers SAMU, d'un lot catastrophe, de culots sanguins O rhésus négatif et de matériel chirurgical. Après 2 heures de vol, l'équipe est accueillie par les autorités malgaches et de coopération militaire française.

Quatre blessés sont conscients et présentent des fractures isolées des membres supérieurs ou inférieurs et un traumatisme bénin du thorax nécessitant une oxygénothérapie importante. Un blessé sous ventilation est en coma aréactif et en mydriase bilatérale et décède, peu après l'arrivée de l'équipe. L'équipe SAMU ne procède à aucune intervention chirurgicale, ni à aucun acte de réanimation lourde, l'état du blessé sous assistance respiratoire étant jugé d'emblée au-dessus de toute ressource thérapeutique.

Dans la matinée du lendemain, les 4 rescapés sont évacués après conditionnement sur la Réunion par deux rotations de Beechcraft Superking. Seules deux ambulances étant disponibles, il faut avoir recours à des camionnettes équipées de matelas ordinaires. Puis dans la soirée, les corps des ressortissants français enveloppés dans des housses, sont acheminés par deux camions militaires malgaches (dont un tombera définitivement en panne, obligeant à un entassement des corps). Le rapatriement des corps par Transall est alors différé dans l'attente de l'accord final tardif du Ministère Français de la Défense, en raison de la non conformité avec les règlements militaires des cercueils et de la présence de personnels civils à bord d'un aéronef militaire transportant des cadavres.

Une douzaine de blessés avaient été extraits de l'appareil en flammes et hospitalisés. Il y eut donc plusieurs décès secondaires de cause mal élucidée, y compris chez des sujets initialement conscients et capables de s'exprimer, aux dires des survivants. Les survivants se comptent essentiellement parmi les passagers de l'arrière de l'appareil, aucun passager n'étant par ailleurs attaché. Les lésions constatées sur les survivants et les morts sont des fractures, luxations, traumatismes thoraciques et crâniens et des brûlures. Plusieurs cadavres sont relativement intacts, laissant supputer une mort par hémorragie interne [5,6]. Au bilan définitif, et après une durée moyenne d’hospitalisation de 14 jours, les 4 survivants ne présentent aucune séquelle grave.

Le Boeing 767-200 ER de la compagnie Ethiopian Airlines qui assure la liaison Addis-Abeba-Nairobi est détourné et fait un amerrissage de fortune dans le lagon, par manque de carburant. La carlingue éclate en 3 parties et la partie centrale se retourne et sombre pendant une séance de plongée en bouteille d'une quinzaine de médecins français. Le repêchage des rescapés est rapidement interrompu par la fausse rumeur d'une bombe prête à exploser à bord. A terre, les premiers secours sont prodigués sur place, avec évacuation immédiate sur un petit hôpital voisin qui fait office de poste médical avancé (P.M.A) [7], puis sur l’hôpital El-Maarouf de Moroni. Il s'agit de l’hôpital le plus important du pays, équipé d' une salle de réanimation et d'un bloc opératoire. La prise en charge initiale des cas graves (assistance ventilatoire, traitement des luxations de genou et de hanche, des fractures des membres et du bassin, des traumatismes thoraciques peu graves et des plaies), est assurée avec succès par l'équipe médicale locale franco-comorienne.

Le SAMU est mis en alerte 4 heures plus tard. Anticipant la demande d'intervention des autorités comoriennes, un Beechcraft Superking décolle 8 heures après l'accident, avec à son bord une équipe médicale composée de 2 anesthésistes-réanimateurs, d'un médecin pompier urgentiste, de 200 kg de matériel et une d'une dizaine de concentrés globulaires O rhésus négatif. Elle est accueillie sur place par un médecin urgentiste comorien récemment formé à la Réunion à la médecine d'urgence. Une heure plus tard, la deuxième équipe décolle à bord d'un Transall C 160, converti en hôpital. Elle comprend: un chirurgien, 2 médecins militaires, 3 médecins urgentistes SAMU, 1 médecin légiste, 3 infirmiers SAMU, un opérateur de valise Inmarsat, 10 pompiers-plongeurs et un lot catastrophe [8] et arrive sur les lieux après 4 h de vol.

Les 44 blessés sont conjointement examinés par la première équipe médicale du SAMU et une équipe médicale éthiopienne. Tous les blessés sont en état stable et conscients, à l'exception d'un blessé intubé et ventilé, suite à une noyade. Les décisions d'évacuation sont prises en fonction tout d'abord de la gravité clinique, puis des desiderata et de la nationalité des blessés. Les 2 blessés les plus lourds (ventilation mécanique et paraplégie), sont rapidement évacués sur la Réunion. Puis sont évacués par Transall, les 16 cas de gravité moyenne, ressortissants de la communauté européenne ainsi que ceux des pays ayant passé des accords de coopération avec la France. Seules deux ambulances étant disponibles dans tout le pays, il faut avoir recours à une noria de camionnettes équipées de matelas ordinaires pour gagner l'aéroport. Parallèlement, dès le lendemain, l'équipe médicale éthiopienne ( 2 médecins, un Boeing 767) évacue 25 blessés légers sur Nairobi (Kenya), puis rapatrie 7 rescapés sur leurs pays respectifs (Japon, Israël) ou sur Johannesburg (Afrique du Sud).

A la Réunion, le SAMU assure grâce à un standard multi-lingue, l'accueil des personnalités étrangères et les contacts avec les familles.

Le bilan retrouve 50 survivants (29%) parmi les 175 passagers et les 12 membres d'équipage, de 37 nationalités. Quarante-quatre rescapés ont été hospitalisés à Moroni, 4 passagers indemnes n’ont pas été hospitalisés ainsi que 2 emprisonnés aux Comores, suspectés à tort d'être les pirates et donc non accessibles à l'équipe médicale. Un seul blessé était en état grave (noyade et polytraumatisme), 18 (36%) présentait un état de gravité moyenne (5 traumatismes thoraciques avec fractures de côtes nécessitant  une oxygénothérapie dans 4 cas, 7 luxations ou fractures de membres, 2 fractures du rachis, 3 fractures du bassin dont 1 grave, 3 cas de plaies profondes et multiples). Enfin, 26 (52%) rescapés présentaient des lésions minimes et 6 (12%) étaient totalement indemnes. Aucun décès secondaire n'est survenu, au prix d’un seul recours à la transfusion sanguine et de 14 interventions chirurgicales pratiquées sur 8 (16%) rescapés, tant aux Comores, à la Réunion, à Nairobi, qu’en Grande-Bretagne. Trois patients sont subi des interventions itératives lourdes (splénectomie et rachicenthèse, enclouage et amputation de jambe, parages multiples et arthrodèse de cheville). Pour l'anecdote, une soixantaine de sachets contenant trois kilogrammes de cocaïne furent retrouvés dans le tube digestif d'une victime décédée.

La récupération complète ou quasi complète est prévisible chez la plupart des blessés (45 soit 92%). Les séquelles psychologiques apparaissent difficilement évaluables à moyen et long terme, compte tenu de la diversité de nationalités, des cultures et de la dispersion rapide des victimes. Les durées moyennes et maximales d'hospitalisation en court séjour sont nettement plus élevées (p<0,01) chez les blessés évacués sur la Réunion, témoignant de leur plus grande gravité donc de la qualité du triage effectué par le SAMU 974 dont la mission était de ramener les blessés les plus graves vers les structures sanitaires les plus performantes.

Aucun rescapé ne figure parmi les 5 passagers de la première classe, située pourtant immédiatement à l'arrière du cockpit. Les survivants se comptent essentiellement parmi les passagers de la classe Business qui fait suite à la première classe, puis parmi les passagers des derniers rangs de la classe économique. Il y a peu de survivants au centre de l'appareil. Les lésions constatées sur les survivants et les morts sont des fractures, luxations, traumatismes thoraciques, 2 décapitations et beaucoup d'asphyxies par noyade (langue protruse). La plupart des cadavres sont intacts, attachés à leur siège et ont été dégagés en quelques heures pour une cinquantaine d’entre-deux et au bout de plusieurs jours pour 70 autres incarcérés dans la partie centrale de la carlingue retournée et écrasée par 20 mètres de fond. Aucune brûlure cutanée n'est notée (carburant épuisé, absence d'incendie).

Discussion

La Commission d'enquête fit ressortir trois causes à l'origine de l'accident survenu à Madagascar, consécutif à une perte de contrôle pendant l'approche finale, l'appareil se trouvant en position inusuelle suite à un arrêt moteur gauche à basse vitesse avec un centrage fortement arrière. Cause initiales: avitaillement non conforme; non observation des règles de sécurité au décollage concernant les passagers; carence dans le domaine de l'instruction du personnel navigant; environnement du personnel de bord défavorable à la sécurité de vol. Causes principales et aggravantes: défaillance de sélection des réservoirs, non respect des règles de centrage de l'avion suite à un embarquement non autorisé ,non observation des règles de sécurité à l'atterrissage concernant les passagers (positions, ceintures); insuffisance de contrôle mutuel systématique des actions des membres de l'équipage, installation de deux casques radio pour 4 membres d'équipage.

Il y a eu environ 700 détournements d'avions dans le monde depuis 1931, dont plusieurs récemment concernant des avions au départ de l'Ethiopie. La cause principale de l'accident survenu aux Comores est une panne de réacteurs par manque de carburant, par suite à l'obstination des pirates de l'air à vouloir se rendre en Australie sans escale.

Ces 2 accidents survenus dans des circonstances différentes (écrasement et incendie d'un appareil militaire, détournement et amerrissage d'un vol commercial), présentent néanmoins des similitudes qui permettent de tirer quelques conclusions. Comme dans 60% des cas d'accidents aériens, ils ont été tous deux le résultat d'erreurs humaines [9,10,11] et ont causé un nombre trop important de tués pour des accidents survenus à basse vitesse. Enfin, les survivants se comptent principalement parmi les passagers assis à l'arrière.

Lors de l'accident du Boeing, pilote, copilote, et mécanicien ont survécu, à un impact tangentiel, à la différence des deux pirates également présents dans le cockpit mais non attachés, démontrant ainsi l'efficacité des harnais de sécurité pour les pilotes (12,13). Par contre, les pilotes du DC3, dont on ne peut établir qu'ils étaient harnachés, ont succombé à l' impact vertical et aux brûlures.

Trois types de lésions sont généralement reconnues: traumatismes simples ou allant jusqu'au polytraumatisme, asphyxies causées par les dégagements gazeux dus à la combustion des revêtements des installations intérieures ou du carburant (oxyde de carbone, anhydride carbonique, dérivés chlorés, acide cyanhydrique) et brûlures cutanées et respiratoires en cas d'incendie.

Soixante-dix % des accidents se produisent sur la zone voisine d'un aéroport, 58% sur aéroport, 17% au décollage avec un grand nombre de victimes compte-rendu de la faible marge de manoeuvre du pilote, 29% en vol et 54% à l’atterrissage avec un moindre nombre de victimes compte-tenu d'un temps de préparation plus long du pilote et de 3 000 mètres de terrain plat [9]. Alors que les chances de survie pendant les accidents en haute vitesse et en altitude sont considérées comme nulles, les survies lors des accidents d'avions commerciaux sur le sol ou à basse vitesse sont plus fréquentes (60%) que lors de ces deux accidents (19%).

Cette différence de mortalité peut recevoir plusieurs explications. On peut retenir, lors de l'accident de Madagascar, l'absence de plan de secours-aéroport et de P.M.A ainsi que l'absence de consignes de sécurité ou de préparation à l’accident, compte tenu de la rapidité de l'accident, la vétusté de l'appareil militaire et sa non conformité avec les règlements en matière de renforcement de la sécurité (renforcement des sièges, ceintures de sécurité, matériaux peu combustibles) [2,3,4].

Dans le deuxième cas, l'amerrissage du Boeing (qui fut filmé) s'est effectué sous commandes manuelles dans de mauvaises conditions: pilote molesté par les pirates, virage brusque sur l'aile, volets rentrés, vitesse d'impact de 170 noeuds. L'appareil a ricoché une première fois puis la carlingue a éclaté en 3 parties avec retournement de la partie centrale. La plupart des victimes sont mortes de noyade. Par contre, les rescapés ont échappé aux requins, habituellement absents des lagons, et ont bénéficié de la présence inopinée de nombreux médecins vacanciers. De plus, un petit hôpital voisin a fait office de P.M.A.

La mortalité est généralement corrélée avec la taille [9] et les dommages subis par l'avion [14,15], qui sont ici très importants. Enfin, si lors d'un accident aérien à basse vitesse, les victimes sont concentrées dans ou autour de l'avion, elles sont difficilement accessibles en cas d'incendie ou d'amerrissage, ce qui fut le cas dans les deux cas rapportés.

L' Organisation de l'Aviation Civile Internationale (O.A.C.I) répartit les blessés en 3 catégories. La catégorie 1 (20%) correspond aux urgences absolues définies en médecine de catastrophe, la catégorie 2 (30%) correspond aux urgences relatives et la catégorie 3 (50%) aux blessés légers. Au cours de ces 2 accidents, dans la catégorie 1, on ne retrouve que 8 à 9 blessés soit 14 % (7 à 8 à Madagascar, 1 aux Comores) dont 1 seul a survécu. Dans la catégorie 2, on dénombre 22 blessés soit 35 % (4 à Madagascar, 18 aux Comores) qui ont tous survécu. La catégorie 3 comprend 32 blessés (51%), tous passagers du Boeing. La répartition de l'O.A.C.I est globalement retrouvée dans les deux accidents sauf en ce qui concerne le plus petit nombre de blessés graves nécessitant des soins immédiats sur place. Cette différence traduit soit une plus grande gravité des accidents comme en atteste le plus grand nombre de décès immédiats, soit un défaut de prise en charge initiale comme en atteste le faible taux de survie des blessés de catégorie 1 (1 survivant aux Comores, aucun à Madagascar) ou bien la conjonction des deux causes.

Le SAMU 974 est intégré à la cellule d'intervention de la Protection Civile de la Préfecture de la Réunion pour la gestion des risque naturels et technologiques. Il est ainsi amené à intervenir dans le cadre de la coopération régionale, à la demande du Ministère des Affaires Etrangères, sur des catastrophes aériennes ou sur des cyclones frappant les pays de la zone Océan indien. La logistique aérienne est alors assurée par les Forces Armées de la Zone Sud de l'Océan indien et par une compagnie privée, Air Réunion International, en complémentarité avec l'assistance sur le terrain du Service Départemental d'Incendie et de Secours et du Service de Transmission du Ministère de l'Intérieur de la Réunion (valise Inmarsat). La complémentarité des compétences civiles (évaluation) et militaires (logistique) est ici remarquable et tend à se généraliser dans le monde [16,17,18]. Au départ de la Réunion, la mise en oeuvre de la chaîne des secours médicaux fait intervenir un certain nombre d'organismes divers qui lui confèrent une hétérogénéité dans les moyens utilisés. La chaîne médicale du SAMU est donc totalement intégrée dans l'organisation générale des secours. Le SAMU est mis en alerte par le Ministère des Affaires Etrangères via la Préfecture de la Réunion. L' attente de la demande d'assistance des autorités étrangères peut alors prendre plusieurs heures, voire plusieurs jours en cas de cyclone. Le SAMU de Paris qui centralise les interventions à l'étranger, est maintenu informé du déroulement des missions afin de se préparer à une éventuelle assistance depuis la Métropole. Ces deux catastrophes aériennes ont été l'occasion d'une intervention SAMU de type traditionnel [14,15], les médecins de l'avant ayant une activité potentiellement curative. Parallèlement, à la Réunion, à plusieurs centaines de kilomètres des lieux de l'accident, la médecine de l'arrière se met en place dès la transmission des premiers bilans, avec la préparation de la base aérienne 181, des itinéraires d’accès à l’hôpital, des structures d'accueil (plan blanc) et des blocs opératoires. Médecins anglophones et russophones, chirurgiens, anesthésistes radiologues et personnels infirmiers et administratifs sont réquisitionnés. En plus de ce rôle traditionnel, l'équipe médicale de l'avant établit un bilan "santé" de la catastrophe à l'intention des autorités françaises, locales et internationales et mène des négociations avec les différentes parties en présence afin d'obtenir l' évacuation aérienne des blessés et le rapatriement des corps des ressortissants français. L’évaluation repose sur l'examen détaillé des blessés et les contacts avec les autorités sanitaires, politiques, administratives. L'intervention porte sur le plan d'aide médicale et l'organisation conjointe de la répartition des tâches, la définition des priorités pour les logistiques d'évacuation des blessés les plus lourds sur la Réunion et des blessés plus légers le souhaitant sur Nairobi, par l'équipe médicale éthiopienne et sur la transmission fréquente de bilans lésionnels afin de préparer l'accueil des blessés à la Réunion.

Enfin, à plus long terme, le SAMU participe à l'élaboration, dans le cadre de la coopération régionale, d’une réflexion anticipatrice et l'élaboration d'une doctrine dont la finalité n'est pas tant la prévention de la réapparition éventuelle du phénomène, que d'assurer une meilleure protection contre ses effets néfastes.

Madagascar est devenu au cours du dernier quart de siècle, malgré des ressources naturelles importantes, un des pays les plus pauvres de la planète. La baisse continue du niveau de vie, le manque général d'hygiène, la malnutrition, la recrudescence des pathologies tropicales et à la faiblesse des structures sanitaires tant préventives que curatives, rendent compte de forts taux de mortalité et d'une espérance de vie faible. L'archipel des Comores se situe dans le canal du Mozambique, à 1 000 km au nord-ouest de la Réunion et comprend 4 îles appartenant à 2 systèmes politiques différents: la République Fédérale Islamique des Comores (Grande Comores, Anjouan, Mohéli) est indépendante depuis 1975 et la Collectivité territoriale de Mayotte rattachée à la France. Les Comores connaissent également d'importantes difficultés économiques et un faible niveau de vie et de santé.

Les indicateurs socio-économiques de Madagascar et des Comores sont ceux de pays essentiellement ruraux, à forte croissance démographique, à faible niveau économique et .à faible niveau de santé (tableau II).

Indicateurs

France

Réunion

Madagascar

Comores

population (millions)

58, 5

0.66

14.3

0. 67

taux brut de natalité(1/1,000)

12,5

20

47

47

mortalité infantile (1/10,000)

4,7

7

95

95

taux brut de mortalité (1/10,000)

9,1

4,8

15

12

espérance de vie

77

73

53

56

PNB/habitant (US $)

22 800

5 120

220

465

population/médecin

320

570

9 882

15 383

population/infirmier

181

271

3 196

2 839

 

Tableau II: indicateurs socio-économiques comparatifs entre la France, la Réunion (DDASS 1996), Madagascar et les Comores.

La priorité des autorités sanitaires est donc fort logiquement axée sur les soins de santé primaire et la sécurité alimentaire des populations. Les soins de santé sophistiqués et donc coûteux, sont donc peu développés. La faiblesse des structures de protection civile, de logistique et de communications y rendent aléatoire toute évaluation des dégâts et impossible tout secours coordonné immédiat sur les lieux des catastrophes naturelles (cyclones) ou humaines (accidents de la voie publique, naufrages, accidents aériens). L'application d'un plan de secours spécialisé d'aéroport aurait certainement contribué à éviter des décès injustifiés, l'importance des premiers secours sur les lieux de l'accident est en effet primordiale [19,20,21]. La notion de chaîne de secours qui comporte plusieurs étapes successives et obligatoires (ramassage, P.M.A., tri initial avec répartition en 6 catégories, conditionnement des victimes, établissement de la fiche médicale de l'avant, établissement de l'autorité), est inexistante. La difficulté des services de santé locaux en matière de prise en charge des patients de réanimation est patente. Il est à noter à Madagascar que les 2 blessés ventilés sont décédés en quelques heures, qu'aucun patient de gravité moyenne n'a survécu et que pas une seule indication de laparotomie exploratrice n'a été portée. Par contre aux Comores, quelques blessés graves ont survécu. Toutefois, les bonnes volontés et les compétences locales permettent une certaine adéquation des moyens de secours disponibles localement, à ceux nécessaires, alors même que les moyens de ces secours n'existaient pratiquement pas avant les catastrophes.

Conclusion

Au plan séméiologique, ces deux catastrophes aériennes se sont caractérisées par des situations nouvelles, à risques peu connus dans la région, de survenue rapide et simple sans déstructuration communautaire (accident catastrophique à effets limités), avec des opérations de reconnaissance et d'assistance facilitées par la proximité de l'aéroport ou des côtes. Ces catastrophes sont de gravité dite moyenne (125 et 36 victimes) avec décès rapide par noyade ou par polytraumatisme majeur des trois quarts des passagers et avec une survie quasiment assurée pour les rescapés, selon la loi du tout ou rien. La dominante lésionnelle a été de type mécanique orthopédique parmi les survivants et de type mécanique, asphyxique par noyade ou par brûlures parmi les tués. Lors de catastrophes de cette ampleur, les secours doivent venir de l'extérieur afin d'épauler les structures locales dont les maigres moyens humains et matériels sont entièrement accaparés par les blessés, au détriment de leurs autres missions de soin. L'aide internationale, rapide, coordonnée adaptée et intégrant les capacités opérationnelles et l'expérience du SAMU de la Réunion peut jouer, en aidant également à renforcer les capacités de réaction locale des pays les plus démunis de l'Océan indien. Une meilleure connaissance réciproque des équipes médicales des différents pays s'en est suivie, avec remplacement immédiat des médicaments et consommables utilisés, envoi de matériel et de documents médicaux et projet de coopération entre les hôpitaux. La mise en place d'une formation de médecine d'urgence à la Réunion, ouverte aux médecins de la zone Océan indien doit se poursuivre et s'étoffer afin d'aider les pays voisins de développer une culture de médecine de catastrophe. La réponse de la Réunion, à l’urgence extérieure se professionnalise au fil des interventions: anticipation, ressources humaines et logistiques de qualité, bonne complémentarité et coordination entre les différentes administrations. Le positionnement à la Réunion d'un poste de secours mobile de second niveau [8] permettrait d'affiner cette capacité opérationnelle, car en cas de crash d'un avion gros porteur à la Réunion, les structures sanitaires de l'île seraient elles capables de faire face, seules, à plus de 10.000 km de la Métropole?

Références

1) Ungs TJ. Population-based description of air and space transport accident mortality, United States, 1979-89. Aviation Space & Environmental Medicine. 65(3):237-42, 1994 Mar.

2) Edington K. Making air crashes more survivable. BMJ. 305(6845):119, 1992 Jul 11.

3) Gloag D. Making air crashes more survivable. BMJ 1992;304:1325-6.

4) Hill IR. Smoke hoods in aeroplanes. BMJ 1992;304:1326.

5) Hellerich U, Pollak S. Airplane crash. Traumatologic findings in cases of extreme body disintegration. American Journal of Forensic Medicine & Pathology. 16(4):320-4, 1995 Dec.

6) Scotta A, Dulcalvsky. Analysis of injuries following the crash of Aviancia flight. The Journal of Trauma 1993, vol. 34, 2, p. 282-284.

7) W Julien H. Plan rouge. In Catastrophes: de la stratégie d'intervention à la prise en charge médicale, Huguenard P; ed. Encyclopédie médico-chirurgicale, Poitiers, 1996, 71-88.

8) Y Pouges C, Simon D, Bray M, Le Gall C, Caen D. Poste sanitaire mobile de 2ème génération: composition, utilisation, évolution. Congrès des SAMU. Amiens: 1988.

9) Clerel M. Catastrophes aériennes. In Catastrophes: de la stratégie d'intervention à la prise en charge médicale, Huguenard P; ed. Encyclopédie médico-chirurgicale, Poitiers, 1996, 541-553.

10) Raymond MW, Moser R Jr. Aviators at risk. Aviation Space & Environmental Medicine. 66(1):35-9, 1995 Jan.

11) Li G. Pilot-related factors in aircraft crashes: a review of epidemiologic studies. Aviation Space & Environmental Medicine. 65(10 Pt 1):944-52, 1994 Oct.

12) Li G, Baker SP. Crashes of commuter aircraft and air taxis. What determines pilot survival?. Journal of Occupational Medicine. 35(12):1244-9, 1993 Dec.

13) Krebs MB, Li G, Baker SP. Factors related to pilot survival in helicopter commuter and taxi crashes. Aviation Space & Environmental Medicine. 66(2):99-103, 1995 Feb.

14) Rowles JM, Kirsh G, Macey AC, Colton CL. The use of injury scoring in the evaluation of the Kegworth M1 aircrash. Journal of Trauma. 32(4):441-7, 1992 Apr.

15) Badiali S, Wardozzi L, Sachetti M. Simulation d'une chute d'un avion de ligne avec 90 passagers à l'aéroport de Bologna. Conv. Med., 1986, 5, 6, p. 459-463.

16) Burkle FM Jr, Frost DS, Greco SB, Petersen HV, Lillibridge SR. Strategic disaster preparedness and response: implications for military medicine under joint command. Military Medicine. 161(8):442-7, 1996 Aug.

17) Gaydos JC, Luz GA. Military participation in emergency humanitarian assistance. Disasters. 18(1):48-57, 1994 Mar.

18) Thomas C. Somalia: Somalie: l'armée française et l'aide médicale humanitaire. Médecine tropicale. 54(1):78-81, 1994.

19) Noto R, Huguenard P, Larcan A. Médecine de catastrophe. Paris : Masson, 1994.

20) Lévy F, Sttiere F. Le crash de l'airbus A 320 à l'aéroport de Mulhouse-Habsheim: conséquences sanitaires et organisation des secours médicaux. Urgences médicales, 1989, 8, P. 224-229.

21) Vitris M, Saissy J M, Grimaldy F. Problèmes posés par le ramassage, le triage et les évacuations des blessés graves de la catastrophe aérienne de Kafountine, au Sénégal (9 février 1992). J. E. U. R. 1992, 5, p. 86-91.