Cryptococcose neuro-méningée et cirrhose éthylique

 

P. Artru1, N. Schleinitz1, S . Artru2, B. A. Gaüzère1, F. Paganin1, X. Roblin3.

Services de 1Réanimation, 2Radiologie, 3Médecine Interne, Hôpital Félix Guyon, Saint-Denis-de-la-Réunion.

 

La cryptococcose est une infection mycotique, se développant essentiellement sur des terrains immuno-déprimés  et dont l'incidence s'est notablement accrue depuis le début de l'épidémie liée au virus de l'immuno-déficience humaine (VIH). La cirrhose est un terrain favorisant rare mais possible. Nous rapportons ici un cas de cryptococcose neuro-méningée chez un patient cirrhotique, sans autre cause d'immunodépréssion. Puis, à travers une revue de la littérature, nous décrirons les différents aspects de l'infection à cryptococcoque chez le cirrhotique.

 

Un homme de 62 ans était hospitalisé pour troubles de la vigilance évoluant depuis une dizaine de jours. Dans ses antécédents, on notait une cirrhose  éthylique Child C connue depuis huit ans ( histologie: cirrhose micro nodulaire ) et compliquée d'hypertension portale.

L'examen clinique retrouvait un coma vigile, bien réactif sans signe de localisation, ni syndrome méningé associé. Par ailleurs, il existait une ascite modérée. Le reste de l'examen était sans particularités.

Le patient était hospitalisé en neurologie où un scanner cérébral était normal. L'électroencéphalogramme concluait à la présence d'anomalies compatibles avec une encéphalopathie hépatique. Le patient était alors transféré en Hépato-Gastro-Entérologie.

Cliniquement le patient était toujours apyrétique, avec un état neurologique inchangé, aucun signe de saignement  extériorisé ou autre point d'appel en dehors de l'ascite. Biologiquement on notait un taux de prothrombine à 38%, des plaquettes à 93000 / mm3, un volume globulaire moyen à 100,8 µ3, une albumine à 25,5 g/l avec un bloc béta-gamma à l'electrophorèse, une cholestase minime (phosphatases alcalines et gamma-GT inférieures à deux fois le témoin) avec  un ictère à bilirubine conjuguée (bilirubine totale 97 µmol/l, conjuguée 75 µmol/l), des transaminases normales. Le liquide d'ascite était stérile. L'endoscopie haute retrouvait des varices oesophagiennes grade III avec une gastropathie d'hypertension portale et une bulbo-duodénite proximale isolée, sans signe de saignement récent. Un nouveau scanner cérébral ne montrait qu'une discrète atrophie cortico-sous corticale diffuse. Enfin le malade n'était pas amélioré par la prescription  par la prescription de deux litres de Fortrans par la sonde gastrique (dans l'hypothèse d'une encéphalopathie sur saignement digestif).

Malgré l'absence de tout point d'appel infectieux, la présence d'une discrète raideur méningée faisait pratiquer une ponction lombaire. Le liquide céphalo-rachidien (LCR) était clair, avec une hypoglycorachie à 0,17 g/l, une hyperprotéinorachie à 1,05 g/l, et contenait 10 hématies / mm3  et 180 leucocytes dont 85% de lymphocytes et 15% de polynucléaires.  L'électrophorèse du liquide retrouvait une élévation des gammaglobulines. La recherche de mycobactéries, tant à l'examen direct qu'en culture sur milieux spéciaux était négative. Les sérologies VIH, VHB et VHC étaient négative et le typage lymphocytaire (T4/T8) normal.

Le diagnostic de méningite à cryptocoques était porté devant cette méningite lymphocytaire sur trois éléments: L'examen du culot du liquide après coloration à l'encre de Chine diluée visualisant les levures; la culture sur milieu de Sabouraud (pousse à J4); la recherche de l'antigène cryptococcique positive dans le LCR.

Un traitement par Triflucan à la dose de 400 mg par jour en intraveineux était alors mis en place, relayé par voie orale à J12, et poursuivi six semaines au total.

Sous ce traitement, les troubles de conscience régressaient rapidement et l'évolution était parfaitement favorable avec maintien de l'apyrexie.

Sous traitement, une élévation des enzymes pancréatiques à J15 faisait pratiquer une échographie et une tomodensitométrie abdominales révélant un sludge vésiculaire, une voie biliaire principale à 8 mm et un pancréas homogène, non calcifié. Nous n'avions pu trancher entre une poussée de pancréatite chronique, une pancréatite micro-lithiasique ou un effet secondaire médicamenteux, l'épisode étant rapidement réversible. Par contre, aucun trouble du bilan hépatique n'était noté sous traitement.

Le patient était revu en consultation à 6 semaines et à 6 mois de traitement  et demeurait assymptomatique. Le LCR de contrôle à 6 semaines était normal. Le patient devait décéder dix-huit mois plus tard d'un accident vasculaire cérébral hémorragique.

La cryptococcose est une mycose cosmopolite, essentiellement opportuniste, due à une levure encapsulée : Cryptococcus néoformans. La porte d'entrée est le plus souvent pulmonaire, par inhalation, mais la voie digestive a été documentée. Cliniquement, l'atteinte neuro-méningée est la plus fréquente en raison du neurotropisme de la levure. Il s'agit généralement d'une méningo-encéphalite dont le diagnostic repose sur l'étude du LCR. Classiquement on retrouve une hypercytorachie modérée, prédominant à lymphocytes (taux moyen: 70/ mm3), une hyperprotéinorachie modérée (0,85 g/l. en moyenne), hypoglycorachie et hypochlorurachie. Le cryptocoque est visualisé à l'examen direct du liquide coloré à l'encre de chine, ou peut être retrouvé en culture sur milieu de Sabouraud, ou plus rarement pratiqué, après inoculation à la souris. Les techniques de diagnostic indirect sont essentiellement représentées par la recherche d'antigène cryptococcique (cryptolatex), positif dans 90% des LCR et 70% des sérums de patients avec cryptococcose neuro-méningée; les sérodiagnostics étant moins intéressants. Des formes pulmonaire, cutanée, osseuse et disséminées sont possibles. La mortalité de l'atteinte neuro-méningée est de 100% en l'absence de traitement, de 25 à 30% chez les sujets traités, avec plus d'un tiers de séquelles neurologiques.  

Les principales affections favorisant son apparition sont : Le SIDA, les hémopathies malignes, les collagénoses, les traitements immunosuppresseurs, la tuberculose, la grossesse, les insuffisances hépatique et rénale graves et le diabète. Chez le patient HIV + au stade SIDA, la cryptococcose représente, après la toxoplasmose cérébrale, la deuxième infection opportuniste touchant le système nerveux et affectant de 3 à 8% des malades, plus fréquente aux Etats-Unis et surtout en Afrique Noire.

L'infection à cryptococcus néoformans reste exceptionnelle chez le cirrhotique non VIH+, comme en témoigne la vingtaine de publications retrouvées lors d'une revue de la littérature (1). Elle se manifeste alors soit sous sa forme neuroméningée , comme chez notre malade, soit sous des formes pulmonaires (pleurésie) (2), rhumatologique (bursite olécranienne) (3), septicémique ou plus fréquemment comme infection du liquide d'ascite. La péritonite ascitique à cryptocoque était déjà décrite chez l'insuffisant rénal terminal en hémodialyse péritonéale continue ambulatoire, une publication américaine récente (1) retrouve  un terrain cirrhotique dans 6,3% de leurs patients avec cryptococcose (toutes localisations) et sur 22 cas de péritonite à cryptocoque cités dans la littérature, 7 cas sur cirrhose (dont 6 décès). Le liquide d'ascite est généralement de type lymphocytaire avec des protides modérément élevés (25 g/l) mais parfois très atypique. Les modalités diagnostiques (à partir du liquide d'ascite) et thérapeutiques sont les mêmes qu'en cas de méningo-encéphalite.

Si les facteurs d'immunodépréssion rencontrés chez le cirrhotique et favorisant l'infection fongique sont connus ( malnutrition, défaut d'activité du système réticulo-endothélial, déficit de l'immunité à médiation cellulaire), les modalités de la contamination restent controversées: la voie hématogène, en particulier lors de gestes endoscopiques, et la voie digestive par translocation bactérienne, favorisé par des traitements antibiotiques ont été proposées.

Le traitement de la cryptococcose neuro-méningée a fait l'objet de plusieurs grandes études récentes chez le patient VIH+. Deux grands types de traitement d'attaque (de six semaines) sont possibles: soit l'association Amphotéricine B (>0.3 mg/kg/j) - flucytosine (150 mg/kg/j) IV, soit le fluconazole seul (400 mg/j) IV ou per os. Si le premier traitement fait figure de référence, en particulier chez les sujets "à haut risque" (troubles de conscience, LCR avec antigénémie élevée et cellularité faible), ses effets secondaires sont particulièrement fréquents et graves: néphrotoxicité de l'amphotéricine B, hépato- et hématotoxicités de la flucytosine. De plus les modalités d'administration de l'amphotéricine B sont astreignantes. Ces inconvénients sont diminués par les nouvelles formes galéniques (Amphotéricine B liposomiale) mais leur coût est élevé. En prophylaxie secondaire (traitement d'entretien), le fluconazole (200 mg/j per os) est par contre supérieur aux autres traitements, en termes d'efficacité, de tolérance ou même de prix de revient(7, 8).

Chez le patient non-HIV, si le traitement classique reste l'association amphotéricine B-flucytosine, la tendance et le bon sens, en l'absence d'études contrôlées font opter pour le fluconazole.

Le fluconazole est un dérivé triazolé disponible sous forme orale et intraveineuse. Son absorption intestinale est bonne, non modifiée par l'alimentation et le pH gastrique. Agent très hydrophile, son volume de distribution est maximal et ses concentrations dans le LCR et les urines élevées. Faiblement métabolisé, plus de 80% de la dose administrée est excrétée dans les urines sous forme inchangée. Une adaptation des doses est donc nécessaire chez l'insuffisant rénal mais pas chez l'insuffisant hépatique. Les principaux effets secondaires sont gastro-intestinaux: nausées et vomissements concernant moins de 5% des patients traités et n'entraînant que rarement l'arrêt du traitement. Des cas d'hépatite dans les premiers mois de prescription ont été rapportés  mais restent rares (à la différence du traitement par kétoconazole), par contre une élévation asymptomatique des transaminases est signalée dans 1 à 7% des patients et doit être dépistée. Les seuls effets secondaires graves sont d'exceptionnelles dermatoses exfoliantes, avec des cas mortels de Stevens-Johnson rapportés chez des patients SIDA polymédicamentés. Enfin, l'apparition de résistances au cours de traitement prolongé chez l'immunodéprimé ont été décrites (6).

Ses caractéristiques font donc du fluconazole un agent antifongique bien adapté et bien toléré chez le cirrhotique. Son efficacité clinique a été publiée qu'il s'agisse de patients cirrhotiques HIV+ (4), ou non (5).

En conclusion, l'infection à cryptocoque chez le cirrhotique peut revêtir des formes différentes mais toujours menaçantes pour le pronostic vital. Il faut savoir demander la recherche de cryptocoques sur le LCR d'un cirrhotique avec troubles de la conscience non expliqués, et le rechercher aussi en cas d'infection d'ascite atypique ou sans germe. Le traitement par le fluconazole, bien codifié et bien toléré, peut permettre une guérison de ces patients fragiles.

 

Nous remercions les laboratoires Pfizer pour leur aide bibliographique.

 

Références

 

-1- MABEE CL, MABEE SW, KIRKPATRICK RB, KOLETAR SL : Cirrhosis: A risk factor for cryptococcal peritonitis. Am J Gastroenterol, 1995, 90/11, 2042-2045.

-2- ZAMORA I, FERRER A, BUTI M, OLSINA M : Isolation of Cryptococcus neoformans in the pleural fluid of a cirrhotic patient. Enferm Infecc Microbiol Clin, 1992, 10, 377-378.

-3- FARR RW, WRIGHT RA : Cryptococcal olecranon bursitis in cirrhosis. J Rheumatol, 1992, 19/1, 172-173.

-4- CRUCIANI M, DI PERRI G, DANZI MC, MAZZI R, CONCIA E, BASSETTI D : Fluconazole therapy of disseminated cryptococcosis in AIDS patients with liver cirrhosis. Med Mal Infect, 1991, 21/7, 422-423.

-5- LEVESQUE H, ELIE-LEGRAND MC, OMNIENT Y, MICAUD G, LEMELAND JF, GANCEL A,  COURTOIS H : Méningite à Cryptococcus neoformans et cirrhose. Interêt du fluconazole. Gastroenterol Clin Biol, 1989, 13, 942-943.

-6- COMO JA, DISMUKES WE : Oral azole drugs as systemic antifungal therapy. N Engl J Med, 1994, 330, 263-272.

-7- SAAG MS, THE NIAID MYCOSES STUDY GROUPE AND THE AIDS CLINIAL TRIALS GROUP : Comparison of fluconazole in the tratment of acute AIDS-associated cryptococcal meningitis. N Engl J Med, 1992, 326, 83-89

-8- POWDERLY WG, SAAG MS, CLOUD GA et al.: A controlled trial of fluconazole or amphotericin B to prevent relapse of cryptococcal meningitis in patients with the acquired immunodeficiency syndrome. N Engl J Med, 1992, 326, 793-798