Les cyclones Géralda (1994), Bonita (1996), Gretelle (1997) à Madagascar: intervention du SAMU de la Réunion, bilan sanitaire et réflexions.

B-A Gaüzère1, A. Bourdé2, P. Blanc1, Y. Djardem2, N. Lan-Nang-Fan1,T. Garnaud1, G. Henrion2, F. Paganin1. Service de Réanimation1, SAMU 9742, CHD Félix Guyon 974. Saint-Denis. Réunion.

Résumé. Le SAMU de la Réunion intervient régulièrement lors des cyclones qui frappent la Réunion et Madagascar. A Madagascar, pays à faible budget de santé, l'absence de mesures de prévention et la difficile mise en oeuvre de l'évaluation des dégâts et des premiers secours, rendent compte de la vocation humanitaire régionale du SAMU de la Réunion, en parfaite complémentarité avec la logistique de l’Armée française.

Introduction

Phénomène associant le vent et l'eau, le cyclone est avec 20% des dommages enregistrés dans le monde, la deuxième cause de catastrophe naturelle [1]. Situé sous une latitude de 10 à 30 degrés sud, le Sud de l'Océan indien est soumis du mois de novembre au mois de mai, à des dépressions tropicales et des cyclones. Ces phénomènes naturels n'épargnent ni la Réunion, ni la côte Est de Madagascar que sa position géographique, barre verticale de 1,500 km de long, expose tout particulièrement. Le SAMU de la Réunion a été ainsi amené à intervenir récemment à Madagascar lors de trois cyclones, à dresser un bilan sanitaire et à développer quelques réflexions et propositions d'action.

Madagascar

Madagascar malgré des ressources naturelles importantes est devenu au cours du dernier quart de siècle, un des pays les plus pauvres de la planète. De nombreuses pathologies tropicales ont fait leur réapparition: paludisme à Plasmodium falciparum de transmission pérenne sur la côte avec renforcement pendant la saison des pluies, lèpre, peste, bilharziose, charbon, rage. Associées au manque général d'hygiène, à la baisse continue du niveau de vie, à la malnutrition et à la faiblesse des structures sanitaires tant préventives que curatives, ces pathologies rendent compte de forts taux de mortalité et d'une espérance de vie faible. Dans les zones côtières, les pathologies infantiles connaissent une forte recrudescence pendant la saison cyclonique, aggravées par la malnutrition chronique due à la destruction des cultures et des réserves de vivres. La riziculture est traditionnelle avec 2 récoltes par an. Exportateur de riz et de viande dans le passé, le pays est aujourd'hui tributaire d'une aide alimentaire extérieure et souffre d'une intense déforestation, source de désertification. Or la saison cyclonique frappe le pays pendant le repiquage du riz obérant ainsi pendant plusieurs mois jusqu'à la récolte suivante, la production de riz, base de l'alimentation. La destruction des bananiers et des manguiers ainsi que des potagers, aggrave la carence alimentaire en vitamines, minéraux et oligo-éléments. Les accès depuis les plateaux centraux sont en général longs et difficiles: routes et pistes depuis Antananarivo, peu d'aéroports et de ports. Aucune norme de construction anticyclonique n’est en vigueur (toitures renforcées, volets spéciaux, systèmes d'alimentation d'eau et d'électricité individuels). Les infrastructures privées et administratives sont souvent vétustes, les bâtiments sont le plus souvent recouverts de vieilles tôles rouillées. Les communications reposent sur le téléphone, les B.L.U. de la gendarmerie, des travaux publics et des grosses sociétés. Les indicateurs socio-économiques de Madagascar (tableau I) sont donc ceux d'un pays à forte croissance démographique, à faible niveau de santé, essentiellement rural et à la population éloignée des centres de soins. A l'opposé, la Réunion, département français d'outre-mer est dotée de tous les équipements sanitaires et administratifs d’une région française.

La cyclogénèse

Chaque année, une dizaine de systèmes dépressionnaires tropicaux naissent généralement entre les 10 ème et 20 ème parallèles, au sud des îles Chagos dans la zone de convergence intertropicale, siège de conflit entre l'alizé austral du sud-est et l'alizé boréal du nord-est, puis leur trajectoire épouse une parabole dont le sommet se situe au niveau des îles Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigue). La cyclogénèse nécessite une température élevée de la surface de la mer supérieure à 26°5, l'existence de mouvements verticaux au sein de cette dépression, le renforcement des vents qui accentue le mouvement tourbillonnaire (tableau II) et la présence en haute altitude d'une zone de divergence autorisant l'écoulement du flux vertical créé par la convection. Puis la dépression initiale se creuse puis apparaissent des bandes nuageuses spiralées qui convergent vers un centre de plus en plus distinct déterminé par une masse nuageuse dense. Ensuite apparaît un oeil de forme tout d'abord irrégulière puis bien circulaire qui signe le stade cyclonique. Lorsque le cyclone évolue sur des surfaces maritimes ou terrestres plus froides, il perd de son intensité par défaut d'alimentation en vapeur d'eau, puis se désagrège ou s'insère dans le flux des perturbations polaires. Il peut s'intensifier de nouveau en cas de retour en mer, notamment au contact de surfaces maritimes chaudes.

Diverses méthodes ont été proposées dès les années quarante pour étouffer les cyclones en formation: épandage de neige carbonique ou d'iodure d'argent pour faire chuter température et énergie, arrosage de l'océan par des liquides refroidissants ou par importation d'icebergs, bombardement avec des têtes nucléaires...Aujourd'hui plus personne ne parle de tuer ces phénomènes naturels, mais seulement de s'en prémunir et de mieux se préparer. Prévenir, c'est avertir en temps utile les populations des risques encourus. La prévision de la trajectoire et de l'intensité permettent d'émettre un préavis réactualisé suffisant pour les autorités, les populations et les acteurs économiques du moins à la Réunion et à l'île Maurice.

Les dégâts cycloniques

Les mouvements de l'air et les perturbations atmosphériques ont des conséquences matérielles et humaines identiques, qu'il s'agisse de cyclones, de tornades ou de tempêtes maritimes ou terrestres. L’agression primaire liée au vent est mécanique et directe. La force et les changements de direction , notamment au niveau des murs de l'oeil occasionnent de fortes destructions (habitat, infrastructures, végétation)[2,3]. A maturité, l'envergure du cyclone couvre des centaines de kilomètres carrés. La force du vent est proportionnelle au carré de la vitesse: à 125 km/h, la force est de 160 kg/m², à 250 km/h elle passe à 625 kg/m² [1]. Selon le Centre national des ouragans de Miami, l'énergie serait comprise entre 50 000 et 200 000 milliards de watts, ce qui reviendrait à faire exploser chaque seconde une bombe 5 fois plus puissante que celle d'Hiroshima. L'agression secondaire est due aux phénomènes d'accompagnement: pluie, raz de marée. Les précipitations sont d'autant plus importantes que le système se déplace lentement: inondations, éboulis, routes emportées. La houle cyclonique générée par le vent, provoque des mini raz-de-marée excédant 15 mètres au déferlement.

Agressions primaires et secondaires se combinent, rendant compte de l'importance des pertes en vies humaines et des destructions au niveau des édifices qui sont selon leur type de construction et l'intensité du phénomène pareillement ou totalement détruits, des voies de communications endommagées par les glissements de terrain, les inondations, les destructions de ponts, les arbres abattus, des moyens de communication, télécommunication et de transport détruits au sol et des lignes de transport d'énergie ou de centrales électrogènes. En Floride, l'ouragan Andrew (classé force 4 sur l'échelle Saffir-Simpson graduée jusqu'à 5) a causé 30 milliards de dollars de pertes en 1992 [2]. Les conséquences sont alors les mêmes que lors de tout séisme avec rupture de l'approvisionnement en énergie et en eau potable, perte des zones de protection et d'hébergement des personnes, perte des réserves alimentaires, incendies, électrocutions et difficultés d'engagement des secours.

Rôle de la Réunion dans la gestion des désastres dans l'Océan indien

La Réunion a été reconnue en 1993 par l'Organisation météorologique mondiale comme Centre Météorologique National Spécialisé pour les cyclones tropicaux, rejoignant ainsi Miami, Delhi, et Tokyo. La responsabilité internationale de ce statut s'étend aux pays de la zone Afrique Australe et aux pays de la zone Océan indien: Comores, Madagascar, Seychelles, Maurice. En plus du recours au satellite météo, la Réunion est équipée d'un radar Doppler qui permet de visualiser le positionnement et le déplacement de l’œil du cyclone jusqu'à une altitude de 18,000 m et une distance de 400 km. Depuis 1994, le SAMU est intégré à la cellule d'intervention de la Protection Civile de la Préfecture de la Réunion, dans le cadre de la coopération régionale pour la gestion des risque naturels et technologiques. Ainsi à plusieurs reprises, le SAMU a été amené à intervenir à la demande du Ministère des Affaires Etrangères pour des catastrophes aériennes ou des cyclones frappant les pays de la zone Océan indien [4]. La logistique aérienne (avions, hélicoptères) est alors assurée par l’armée française: Forces Armées de la Zone sud de l'Océan indien (FAZSOI), en complémentarité avec l'assistance sur le terrain (zodiacs, plongeurs) du Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS) et du Service de Transmission du Ministère de l’intérieur de la Réunion. Des spécialistes des Télécommunications, de la Compagnie Générale des Eaux et de l'EDF, font également partie des missions d'évaluation et d'assistance à l'étranger, en cas de désastre naturel.

Intervention du SAMU 974 au cours des cyclones Géralda, Bonita et Gretelle.

Il s’agit de missions SAMU atypiques. En effet, les médecins de l'avant n'ont aucune activité curative (hormis les soins prodigués aux membres de l'équipe : une agression avec traumatisme crânien sévère). Ils établissent un premier bilan "santé" de la catastrophe à l'intention des autorités françaises, malgaches et internationales, en prenant en compte l'ensemble des problèmes sanitaires visibles et prévisibles.

Les missions sont mise en place après demande des autorités malgaches auprès des autorités françaises, soit en général 2 jours après le passage du cyclone. Elles sont de courtes durées (2 à 3 jours) et se poursuivent par des missions d'appui logistique d'une à deux semaines, réalisées par les FAZSOI et le SDIS, ainsi que par la mise en place des programmes des organisations non gouvernementales (O.N.G) présentes à Madagascar ou à la Réunion. L’équipe d’évaluation est composée d’un médecin et de l’Officier Supérieur commandant la mission militaire. Le profil du médecin est bien défini : senior Urgentiste ou Anesthésiste-Réanimateur avec connaissance parfaite des pays avoisinants (topographie, moeurs, système de santé, pathologies locales), formation en Santé Publique, expérience médicale au sein des Organisations Non Gouvernementales de l’Océan Indien, pratique parfaite de l’anglais afin de faciliter les contacts internationaux sur place. Le responsable militaire de la mission est généralement un Lieutenant-Colonel issu des Troupes de Marine ou de la Légion Etrangère, dont l’expérience du tiers-monde et des situations de catastrophe est forte.

Précédée par une reconnaissance aérienne filmée assurée par un Transall détourné de son trajet habituel Mayotte-Réunion, l’évaluation du cyclone Géralda (1994) a été effectuée par voie terrestre (véhicule militaire de type P4, embarqué à bord du Transall, véhicules tout-terrain réquisitionnés auprès des assistants techniques de la Coopération Française) et a mobilisé plusieurs équipes mixtes (binôme civil et militaire) pendant plusieurs jours. A terre, une assistance technique immédiate était fournie par un navire-atelier de la Marine Nationale : dégagement des accès routiers, réparation des centrales électriques, rétablissement partiel des communications et du réseau électrique. L’intervention a duré une semaine, avec relève des personnels civils au quatrième jour.

Les évaluations des cyclones Bonita (1996) et Gretelle (1997) ont été héliportées, puis complétée par voie terrestre. L’estimation des dégâts vue du ciel repose sur la simple observation par les observateurs (médecin SAMU et responsable de la mission militaire) et les pilotes d’hélicoptère (visuelle, photographiée, filmée). Cette évaluation contradictoire et empirique permet néanmoins de déterminer avec précision la zone de pénétration littorale, la taille de l’oeil du cyclone, sa trajectoire et sa profondeur (perte de violence rapide au contact du relief). L’estimation empirique des dégâts par des observateurs de qualité, s’avère toutefois assez précise et rapide. Elle ne nécessite que 4 à 5 heures et repose sur:

n     Le décompte des toitures arrachées et des habitations abattues (0 à 20%, 20 à 50%, 50 à 80%, 100%) avec décompte séparé des habitations solides (églises, écoles) et des cases de bois.

n     L’estimation du niveau maximum des eaux dans le creux des ravines (accumulation des débris dans les arbres d’une hauteur supérieure de 5 à 10 mètres en général), hauteur entre le niveau des rivières et le tablier des ponts, ponts emportés ou submergés.

n     Le dénombrement des arbres arrachés et l’orientation de leur chute (sens du vent) et le type d’arbres abattus. Ainsi l’absence de dégâts dans les bananeraies élimine formellement le passage de toute pluie ou vent cyclonique et délimite ainsi précisément, compte tenu de la grande fragilité des bananiers chargés de régimes, la zone sinistrée.

n     L’interrogatoire des autorités sanitaires, politiques, administratives, caritatives et confessionnelles lors des nombreux atterrissages . Le recueil des données médicales établit une véritable autopsie orale de la situation, entachée toutefois d'une forte approximation : nombre de disparus humains et animaux, dégâts matériels estimés, autonomie alimentaire et médicamenteuse maximales, pathologies présentes par rapport à la situation antérieure.

n     La visite des structures sanitaires: hôpitaux, dispensaires gouvernementaux et confessionnels.

Dans le domaine de l’évaluation, une comparaison avec des images satellites serait intéressante, mais n’est pas disponible localement. Elle ne remplacerait toutefois pas l’appréciation humaine de terrain, notamment en ce qui concerne l’appréciation des pertes en vie et le réconfort des populations abandonnées depuis plusieurs jours.

A la mi journée, sont définies les priorités d’action pour les autorités nationales et les O.N.G dont certaines travaillent encore à pallier les conséquences du passage des cyclones précédents [2].

Les recommandations immédiates portent sur la définition des priorités pour la logistique médicale et alimentaire immédiate (héliportage, cabotage, frêt par Transall), et l’établissement du plan d'aide immédiate et différée (alimentaire, médical, réhabilitation des infrastructures, développement rural) en liaison avec les O.N.G [3,4]. Les recommandations portent également sur l'élaboration dans le cadre de la coopération régionale, d’une réflexion anticipatrice et d'une doctrine, dont la finalité n'est pas tant la prévention de la réapparition éventuelle du phénomène, que d'assurer une meilleure protection contre ses effets néfastes, afin que l'urgence ne serve plus de politique traditionnelle de développement aux pays du Tiers-Monde.

Cyclone Géralda: côte nord-est, février 1994. La reconnaissance par voie terrestre de la région de Tamatave sévèrement atteinte fait état d'importants dégâts matériels et de quelques dizaines de morts et disparus. Certaines grosses infrastructures portuaires sont endommagées dont la raffinerie de pétrole.

Cyclone Bonita: côte nord-est, janvier 1996. La reconnaissance est héliportée. Il est fait état de 5 morts, 4 disparus et de quelques blessés légers. Des pharmacies de brousse ont été pillées après leurs destruction et la carence en médicaments est totale dans certains villages. La coupure d'eau et d'électricité est totale. Les réseaux électriques, téléphoniques ont peu souffert. Les stocks de riz sont importants, la difficulté étant de les acheminer vers les zones sinistrées du Nord. Les 170 000 hectares de rizières du Centre sont inondées, les conséquences sur la récolte de mai seront importantes. Plus de 50 % des toitures sont arrachées avec importants dégâts sur les bâtiments administratifs, les écoles et les dispensaires. La ville de Foulpointe est détruite à 80 % et Fénérive plus au Nord, à 50 %. La sécurité est une préoccupations majeure des autorités, en raison de l’évasion des prisonniers et de l'absence des services essentiels: santé, eau, électricité et surtout nourriture dans certaine régions.

Cyclone Gretelle: côte sud-est, janvier 1997. Reconnaissance héliportée dans une région qui connaît habituellement peu de cyclones, le dernier remontant en 1956. Vangaindrano, ville de 40,000 habitants compte 20,000 sans-abri, une centaine de morts et une centaine de disparus dans une région de delta. La campagne environnante est inondée avec isolement des populations. L'hôpital est entièrement détruit. La hauteur de la crue est estimée à 3 à 5 mètres. Farafangana, ville de 40,000 habitants compte 10,000 sans-abri, 3 décès et une quinzaine de blessés légers. L’hôpital de construction récente, est intact. Le toit du bloc opératoire de la léproserie a été détruit. Au niveau sécurité, prison et gendarmerie sont détruites, mais les prisonniers sont en liberté et émargent chaque matin à la gendarmerie. Dans ces deux villes, la distribution d'eau est interrompue en raison de l'absence d'électricité (bornes fontaines) et le réseau électrique secondaire est à terre et les communications sont interrompues et plus de 50% des bâtiments sont détruits y compris les écoles et les bâtiments administratifs. Les réserves de riz sont suffisantes pour moins d'une semaine, ce qui traduit l'habituelle difficulté des périodes de soudure. La prochaine récolte aura lieu en mai, du moins si le riz ne pourrit pas sur pied, c'est à dire si les inondations ne durent pas plus d'une semaine. Les autorités malgaches qui ne disposent pas des moyens logistiques appropriés (avions militaires, hélicoptères, zodiac) tentent pour la première fois de mettre des secours en place. Une aide alimentaire de plusieurs tonnes de riz est acheminées par route depuis la capitale. Des groupes électrogènes sont acheminées par Transall depuis Antanarivo. Les vivres et médicaments essentiels et les produits de première nécessité sont héliportés par le Fennec de l’armée française, vers les nombreuses communes isolées en montagne. Un hélicoptère Puma de plus grande capacité et basé à Djibouti, prend le relais quelques jours plus tard.

Discussion

Une évaluation rapide des dégâts cycloniques est indispensable, même si la méthodologie utilisée est grossière et non validée [7,8], car le bilan initial n'est jamais établi par les autorités locales, aucune structure, logistique et méthodologie n'étant opérationnelle [2, 7], même en temps normal. Seuls les pays riches (Etats-Unis, Départements et Territoires de l’outremer français) disposent au décours des catastrophes naturelles, de bilans précis de mortalité et de morbidité primaires et secondaires. Les reconnaissances héliportées conjointes SAMU-armée, permettent une estimation rapide et précise des dégâts et de leur étendue géographique. La complémentarité des compétences civiles (évaluation) et militaires (logistique) est ici remarquable et tend à se généraliser dans le monde (9,10,11). L'évaluation aérienne, outre sa rapidité permet également de confirmer que dès le contact avec le relief, les cyclones perdent beaucoup de puissance de destruction et que l'aide doit donc se concentrer sur les zones côtières à Madagascar. Cette évaluation, associée à une bonne connaissance du pays permet de définir et les priorités de secours et d'anticiper les priorités différées(12).

A Madagascar, la carence en matière de prévention s'exprime par l'absence d'information des populations avant, pendant et après le cyclone, l'absence de mise en place des secours autonomes par les autorités et le retard à demander l'aide internationale (2 jours en moyenne). Aucun plan de secours n'existe vraiment et bien peu de leçons sont tirées des cyclones précédents, alors que les mesures propres à atténuer les pertes humaines immédiates et secondaires découlent étroitement de l'expérience [14,15,16]. Il existe une corrélation incontestable entre l'étendue de la zone sinistrée, l'importance des dégâts humains et matériels, le nombre et la gravité des victimes, la complexité et la durée des opérations de secours avec de fortes répercussions, tant au plan de la survie immédiate des victimes que de la survie secondaire des rescapés [7] Très étendus dans l'espace et dans le temps, les dégâts humains et matériels sont généralement importants, particulièrement dans les zones côtières de delta.

Dans le monde, le nombre de victimes est en régression depuis la mise en place de moyens de prévention et de protection. Aux USA et à la Réunion, la mortalité est de 2 par million d'habitants exposés, elle atteint vraisemblablement 250 au Bangladesh. et 30 (Géralda) à 1.000 (Gretelle) par million à Madagascar. Près de 75% des décès sont dus aux noyades [1], par submersion des rivages par la mer ou les rivières ou par les coulées de boue. Les dégâts par le vent sont plus accessibles à la prévention et le décès survient par polytraumatisme par projection de la victime ou par projection d'un objet blessant.

A Madagascar, le nombre de sujets impliqués est important (de 100,000 à 250,000) et l'implication est mixte, d'ordre matériel et affectif. La dispersion des victimes est étendue, qui obéit à la fois à la répartition et à l'implantation des communautés humaines et au trajet du cyclone [5]. Le nombre de victimes se chiffre en général à quelques dizaines mais n'est jamais connu avec précision. Ainsi 3 semaines après le passage de Gretelle, le ministre de l'intérieur faisait état de 192 morts, alors que le centre national de secours qui dépend de son ministère annonçait 53 victimes! Le nombre des victimes aurait pu être toutefois grandement limité par une information adéquate des populations et l'existence d'abris anticyclonique en dur. Les victimes sont le plus souvent totalement et immédiatement accessibles quand le cyclone frappe une zone urbaine dont l'aérodrome est accessible au Transall. Elles sont difficilement accessibles dans les zones rurales de rizières inondées ou dans les massifs montagneux (hélicoptère, zodiac). Les lésions psychiques résultant de l'agression psychologique que représente le cyclone sont difficilement compréhensibles pour l’européen de passage. L'âme malgache est insondable et le sourire est de règle même au milieu des décombres.

Les conséquences humaines secondaires se traduisent vraisemblablement par une accentuation des tendances pathologiques saisonnières avec forte mortalité infantile au cours des 2 à 4 mois suivants [5,8]. Toutefois aucune statistique n'existe concernant les décès secondaires aux épidémies, à la malnutrition et à l'interruption du système de soins, aucune structure ni méthodologie n'étant mises en place.[2,17]. Il convient donc de prévoir l’approvisionnement des hôpitaux en matériel de perfusion et de transfusion ainsi qu'en en solutés de remplissage afin de faire face au traitement des déshydratations sévères et des états de carence nutritionnelle grave pédiatriques. Il est également nécessaire d'approvisionner les structures sanitaires de base en médicaments essentiels. Le déficit alimentaire n'est pas uniquement liée au phénomène cyclonique, mais trouve son origine dans l'état de décrépitude avancée de l'économie locale[6]. L'aide alimentaire à destination des enfants et des plus démunis, doit être ciblée en établissant soigneusement les filières de distribution afin de ne pas déstabiliser les circuits traditionnels de commerce et de production. Un phénomène de spéculation est habituellement observé sur les denrées de première nécessité et frappe tout particulièrement les populations à faible revenu. Une distribution de semences peut atténuer les conséquences alimentaires à moyen terme. Un appauvrissement net de la population est prévisible avec recrudescence de la criminalité liée à la difficulté extrême de vie de la majorité de la population. De nombreux emplois seront perdus par destruction des surfaces cultivables et l'impossibilité de recourir à l'emprunt pour les réparations. L’agression sévère d’un membre de l’équipe rappelle que les périodes cycloniques favorisent l’insécurité en milieu urbain en raison des évasions ou de la libération des prisonniers. Les conséquences matérielles se traduisent par une sidération des régions atteintes dont les moyens de secours et de défense n'existaient pratiquement pas avant la catastrophe avec forte inadéquation des moyens de secours disponibles localement, à ceux nécessaires. La vétusté des bâtiments et des infrastructures lourdes explique leur vulnérabilité. Quelques bâches et tôles seraient utiles dans l'immédiat pour les écoles et les dispensaires et hôpitaux, bien que la tentation des autorités sera grande de les utiliser en priorité pour les bâtiments administratifs. Fait réconfortant, il est à noter l'absence de catastrophe technologique en raison de la rareté des complexes industriels dans ces régions, hormis les installations portuaires de Tamatave, le plus grand port de Madagascar.

Annexes

Indicateurs

France

Réunion

Madagascar

population (millions)

58, 5

0.66

14.3

taux brut de natalité(1/1,000)

12,5

20

47

mortalité infantile (1/10,000)

4,7

7

95

taux brut de mortalité (1/10,000)

9,1

4,8

15

espérance de vie

77

73

53

PNB/habitant (US $)

22 800

5 120

220

population/médecin

320

570

9 882

population/infirmier

181

271

3 196

Tableau I: indicateurs socio-économiques comparatifs entre la France métropolitaine, la Réunion (DASS 1996) et Madagascar.

perturbation tropicale

rafales inférieures à 80 km/h

tempête tropicale faible

rafales de 90 km/h

tempête tropicale modérée

rafales de 130 km/h

forte tempête tropicale

rafales de 175 km/h

cyclone tropical

rafales de 250 km/h

cyclone tropical intense

rafales de 320 km/h

cyclone tropical très intense

rafales supérieures à 320 km/h

Tableau II: stades de développement des cyclones selon la vitesse des vents.

Conclusions

Les dégâts cycloniques à Madagascar sont majorés par:

- Initialement, l'impréparation chronique des autorités et des populations surprises parfois de nuit, par l'arrivée et l'ampleur du phénomène alors que la Réunion possède l’information cyclonique et la diffuse localement et par le degré de pauvreté des populations et de vétusté des infrastructures privées et publiques.

- Secondairement l'absence de structures de protection civile, de logistique et de communications qui rend aléatoire toute évaluation des dégâts et impossibles tout secours au cours de la première semaine. La carence chronique des services de santé et la médiocrité de l'état de santé antérieur de la population et tout particulièrement des groupes dits vulnérables (enfants de moins de 5 ans, femmes enceintes, vieillards, veuves, malades et handicapés) ainsi que la forte recrudescence des pathologies saisonnières, aggravent le bilan humain.

Au plan séméiologique, les cyclones à Madagascar réalisent:

- une situation à risques connus, parfaitement catalogués, correspondant à des situations répétitives, déjà vécues et inventoriées tant par leur origine que par les conséquences immédiates et lointaines[6].

- une catastrophe longue, de plus de 24 heures correspondant à une grande durée du facteur déclenchant, ou la structure de le communauté est partiellement disloquée, ou les opérations de reconnaissances et de sauvetage font appel à une logistique complexe et coûteuse en raison de la nature des lieux de survenue et de leur grande étendue (rayon supérieur à 100 km).

- une dominante lésionnelle immédiate de type mécanique (fractures, plaies) et secondaire de type infectieux (gastro-entérites, paludisme, rougeole, infections respiratoires) et nutritionnel .

- une catastrophe de gravité immédiate modérée, mais de gravité secondaire moyenne ou majeure, si on tient compte des victimes secondaires par maladies et malnutrition, dont le nombre exact n'est jamais connu avec précision.

Les cyclones exercent donc sur Madagascar, une action complexe, durable et différée dans le temps sur la communauté, directement proportionnelle à la dislocation antérieure de sa structure. Les secours doivent venir de l'extérieur [18] en même temps que ce qui subsiste sur place doit se restructurer pour faire face à l’événement au plus tôt. L’aide internationale, rapide, coordonnée adaptée et intégrant les capacités opérationnelles et l'expérience du SAMU de la Réunion, peut aider à stimuler et restructurer les capacités de réaction locales.

La réponse de La Réunion, à l’urgence extérieure se professionnalise au fil des interventions: anticipation, ressources humaines et logistiques de qualité, bonne complémentarité entre les différentes administrations. Une réflexion sur le développement de l’information de la population malgache doit être menée dans le cadre de la coopération régionale. Des radios françaises (Radio France Internationale, Régie Française d’Outre-mer) ou des chaînes internationales de télévision (C.N.N), largement captées à Madagascar pourraient utilement et à moindre frais prévenir les populations de l’imminence du cyclone, évitant ainsi de nombreuses victimes. Un relais par le système B.L.U de la gendarmerie et des travaux publics malgaches compléterait le dispositif. Enfin, la mise sur pied d’un système de Protection Civile et de centres d’hébergement ne pourrait se concevoir que dans le cadre d’un renouveau économique du pays.

Références

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4)Y. Djardem, A. Bourdé, G. Henrion, A. André, B-A Gaüzère, A. Rojoa, H. Lantres. Le rôle du SAMU de la Réunion dans la gestion des cyclones dans l'Océan indien. Urgences 1997;XVI:99-102

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