Les intoxications volontaires

Dr. B-A. GAÜZERE

Juin 1998

 

1) Généralités

 

1.1 . Les intoxications, qu'elles soient médicamenteuses ou non, toxiques agricoles, industriels, volontaires (suicides) ou non (accidents), posent au réanimateur des problèmes appelant des solutions identiques.

En effet, le but du traitement est de maintenir les fonctions vitales de l'intoxiqué (respiration, circulation..) jusqu'à élimination du toxique et de prévenir ou de combattre dès qu'elles surviennent, les complications propres à toute survie artificielle. Il est rarement possible d'opposer à un toxique donné un traitement spécifique.

 

1-2.Enquête d'accidentologie 1993-1994 à l'île de la Réunion.

 

2 000 suicides et tentatives de suicide par an (soit 321 par 100 000 habitants par an à comparer avec 189/100 000 habitants /an pour l'Aquitaine) avec 128 décès (dont 74% avant hospitalisation). Le nombre de décès est identique à celui des décès par accidents de la circulation.

La mort immédiate concerne 80% la des hommes alors que les TS ne concernent que 34% d'hommes.

Les intoxications volontaires sont retrouvées dans 95% des TS et 56% des suicides.

Les médicaments sont plus souvent incriminés dans les TS, et les produits agricoles dans les suicides.

Les suicides touchent les sujets jeunes, sans augmentation chez les personnes âgées comme en Métropole.

La majorité des personnes concernées par un suicide ou une TS était jeune : 70 % avaient entre 15 et 34 ans et la classe d'âge de 15 à 24 ans représente à elle seule 40% des cas de TS. Par contre, c'est la classe d'âge des 25 à 34 ans qui est la plus touchée par les suicides.

On estime à 75 le nombre des enfants de moins de 15 ans qui ont fait un suicide ou une TS cette année-là.

Les risques majeurs de TS concernent les communes de St Joseph, Sainte Marie, Sainte Suzanne, et concernent moins les Avirons, St Paul et Trois Bassins.

Le risque de suicide est plus importants pour les communes de Saint Pierre et Petite Ile.

 

Les intoxications représentent 5 à 10% du nombre d'admissions dans le Service de Réanimation Polyvalente du C.H.D et 1 à 3 admissions / jour au Service Porte. Ne sont admises en Réanimation que les intoxications graves à base de produits agricole ou industriels ou de médicaments: dépression cardio-circulatoire, respiratoire, coma ou bien présentant une gravité particulière malgré un état de conscience conservé: nivaquine, digitaliques, ingestions d'acide ou de base. Les tentatives d'autolyse violentes sont également admises: pendaison, armes à feu, défenestration... Les TS bénignes, bien plus nombreuse sont hospitalisées en Service Porte.

 

1.3. Indicateur de santé d'une société et d'une culture : abord des thèmes du suicide, du mal vivre, de la solitude, de la vieillesse, de l'euthanasie, de la surmédicalisation.

 

1.4 Spécificités socio-culturelles et géographiques des modes d'intoxication : chloralose, organophosphorés et paraquat (REUNION), antirouille (ANTILLES-GUYANE), soupe d'opium (ASIE), poisons d'épreuve (AFRIQUE), NIVAQUINE et QUININE sous les tropiques.

 

2 - Conduite à tenir

 

2.1 - Affirmer le diagnostic :

 

- facile : sujet conscient : interrogations sans culpabilisation. Ne pas tenter de psychothérapie ni de moralisation à ce stade

- moins facile : coma

 

- circonstances de découverte : tubes emballages, syndrome dépressif connu et traité

- dosages toxicologiques : urines, liquide gastrique, sang.

- la nature du coma est souvent évocatrice.(ex ; convulsions + liquide rose gastrique = CHLORALOSE), (brûlures bouche, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire chez un agriculteur = PARAQUAT), (arrêt cardiaque rapide et odeur aromatique de l'haleine = ORGANOPHOSPHORES), (enfants mangeant des baies ou feuilles = agitation, mydriase et pommettes rouges DATURA (ATROPINE).

 

2.2. Evaluation de la profondeur du coma (voir cours). Classification des comas : (Score de Glasgow de 3 chez le sujet comateux aréactif à 15 chez le sujet normal), mort cérébrale : stade du prélèvement d'organes. EEG plat = mort cérébrale sauf dans le cas de l'intoxication aux barbituriques ou à la chloralose.

 

2.3. Evaluation des signes de gravités : les gestes de réanimation doivent être entrepris de façon immédiate (cf : cours de Réanimation)

- Troubles respiratoires : bouche à bouche, position latérale de sécurité, canule, désobstruction du carrefour aérodigestif

- Insuffisance circulatoire : massage cardiaque externe, perfusion ++

- Convulsions : liberté des voies aériennes, écarter les risques de blessures.

- Acidose : alcalinisation

 

2.4. Les facteurs de gravité (4)

- Nature du toxique ou des toxiques, intoxications médicamenteuses.

- Dose absorbée/poids du sujet : posologie

- Horaire de l'intoxication : découverte tardive

- Le terrain :âge, tares existantes ou révélées

 

3. Le traitement / Risque : fausse route - asphyxie aiguë

Trois buts : 1 / assurer ventilation et maintien de la pression artérielle 2/ éviter ou traiter les complications liées au toxique ou propres à tout coma 3/ favoriser élimination du toxique

 

3.1. Elimination du toxique

 

3.1.1. Par voie digestive. Ne pas faire vomir si :

- ingestion : pétrole, essence; acide; eau de Javel, soude caustique, savons, détergents

- conscience altérée, c'est-à-dire à tous les stades du coma

- ne rien faire boire : risque de fausses routes

- lavage gastrique au charbon activé à l'hôpital

- diarrhée induite : surtout après administration de charbon activé par MANNITOL

 

3.1.2. Par voie respiratoire : efficace si ventilation assistée, sinon dangereux en raison du risque d'hypoventilation

 

3.1.3. Epuration rénale

- polyurie osmotique

- alcalinisation

- hémodialyse

- hémoperfusion

 

3.1.4. Autres techniques

 

- anticorps anti-digitaliques (DIGIDOTÒ)

- antidotes spécifiques (VALIUM contre intoxications à la NIVAQUINE et à la QUININE), (FLUIMYCIL/PARACETAMOL), (ANNEXATE/BENZODIAZEPINE)


 

3.2. Principes généraux du traitement des comas (cf cours sur les comas et cours sur la surveillance et le monitoring en réanimation). Traitement en centre spécialisé.

- Coma léger

- Coma profond

3.3. Complications particulières à certains toxiques

- convulsions

- hypothermie

- acidose métabolique

- troubles de conduction intraventriculaire

 

4) Quelques intoxications particulières

 

41) Acides et bases caustiques (ingestion)

 

            - Anamnèse: facile, le sujet se présentant rapidement à l’hôpital après son geste

- Danger: perforation de l’œsophage (médiastinite), de l'estomac (péritonite), de l'arbre bronchique.

 

            - Conduite à tenir générale

                        - pas de lavage gastrique, voies veineuses de bon calibre

                        - ASP: recherche de croissant gazeux: perforation sous-mésocolique

                        - fibroscopie gastrique en présence du chirurgien

                        - fibroscopie bronchique par les réanimateurs (nécessité du même observateur pour apprécier l'évolution) et en milieu de Réanimation

                        - échographie abdominale: coulées nécrotiques?

                        - sédation (douleur +++), ventilation mécanique

 

            - Conduite à tenir selon les stades

                        - observation: répétition de la fibroscopie digestive à H6, H12, H24

                        - chirurgie: oesograstrectomie

                        - soins palliatifs: chirurgie récusée, perforations +++

 

42) Nivaquine (source: Poisindex, Conférence de consensus: 13 novembre 1987)

 

            - Dose toxique: > 30 mg / Kg

            - Danger: troubles du rythme cardiaque ou bien dépression ventriculaire gauche et décès dans la demi-heure.

            - Clinique: faussement rassurante avec conservation de l'état de conscience avant la survenue rapide des troubles cardiaques

            - Ex. complémentaires: valeur pronostique péjorative de l'hypokaliémie

 

            - Conduite à tenir:

 

                        - Pré-hospitalière: pas de lavage gastrique (perte de temps, fixation très rapide du toxique sur les cellules myocardiques, le lavage ne soustrait que 7 à 13% du toxique). Monitorage ECG, Intubation sous Valium IV immédiatement à la dose de 2mg / kg de poids sur 30 minutes, débit maximum= 5mg / minute, injection initiale de 10 mg. Admission directe en Réanimation.

 

            - En Réanimation:

 

                        - Monitorage ECG immédiat, défibrillateur testé dans la chambre,

                        - Poursuite du protocole au Valium ( 2mg / kg de poids sur 30 mn si la dose de charge n'a pas été administrée, puis 1 à 2 mg / kg / j, pendant 2 à 4 jours. Adjonction d'adrénaline au PSE (25 mg/50 ml, vitesse 1à 3)

                        - Enfant: 0.25-0.4 mg / kg, maximum 5 mg chez l'enfant de 30 jours à 5 ans,  maximum 5 mg chez l'enfant de plus de 5 ans. Administration possible par voie rectale.

                                    - Correction prudente de l'hypokaliémie (potentialisation des effets cardiotoxiques des quinidine-like)

                                    - Adrénaline systématique pour certains à la dose de 0,25 µg / kg / mn, ou seulement en cas d'hypotension, d'arythmie, d'élargissement du QRS, de prise supérieure à 5 gr, pour d'autres.

                                    - Torsade de pointe: Sulfate de magnésium, 2 gr IV en 1-2 mn, puis un autre bolus de 2 gr, puis 3-20 mg / Mn si l'arythmie persiste.

                                    - TV, FV: Lidocaïne, 1 mg / kg IV, répéter 0,5 mg / kg, 5 à 1à mn plus tard.

                                    - Secondairement et seulement en milieu de Réanimation: lavage gastrique, charbon activé

 

43) Chloralose (« Mort aux rats »)

 

            - Dose toxique: > 1 à 2 gr (1 sachet)

 

            - Danger: dépression respiratoire, par convulsions, hypersialorrhée, inhalation.

 

            - Diagnostic:

                        - Anamnèse: sachet d'Oxyrat, Oxysouris

                        - Clinique: coma, myoclonie, convulsions, hypersialorrhée, liquide gastrique rosé.

                        - Examens compléméntaires: présence de chloralose dans le liquide gastrique et les urines (faux positifs, réaction colorimétrique)

 

            - Conduite à tenir:

                        - pré-hospitalière: intubation, ventilation, Valium, +/- Atropine

                        - en Réanimation: idem, ventilation de 24 à 72 heures

 

            - Evolution: constamment favorable sous traitement. Fréquentes pneumopathies de déglutition, réveil souvent agité, nécessitant une sédation

 

 

44) Organo-phosphorés et Carbamates (Lannate...)

 

            - De plus en plus à la mode à la Réunion, se substitue à la traditionnelle chloralose.

 

            - Diagnostic:

                        - Anamnèse: flacons

                        - Clinique: odeur caractéristique dans la pièce, coma profond (Glsgow < 6), collapsus, bradycardie.

                        - Examens complémentaires: effondrement des cholinestérases +++

 

            - Conduite à tenir:

                        - pré-hospitalière: intubation, ventilation, remplissage vasculaire +++, +/- Atropine et Adrénaline (bradycardie, vasoplégie ++), lavage gastrique, charbon activé.

                        - en Réanimation: monitorage par Swan-Ganz, remplissage vasculaire +++ ( 5-6 litres / J), Adrénaline ++, ventilation de plusieurs jours

 

            - Evolution:

                                    - risque majeur d'arrêt cardiaque rapide (<1/2 heure)

                                    - 100% de mortalité si arrêt cardiaque pré-hospitalier (collapsus persistant, encéphalopatie post-anoxique)

                                    - > 50% mortalité


 

45) Gramoxone (Paraquat)

 

            - Fréquence: 30 cas /an à la Réunion

            - Clinique:

                        - conscience conservée

                        - Si ingestion massive: décès rapide (<1/2 heure) par collapsus (nécrose des surrénales)

                        - Si ingestion moindre: insuffisance rénale en 2 à 3 jours, fibrose pulmonaire irréversible en 8-10 jours.

 

            - Indication de soins palliatifs, hors Réanimation (acharnement thérapeutique)

 

46) Barbituriques / benzodiazépines

 

            - Clinique: coma calme, dépressions respiratoire et circulatoire

 

            - Traitement: intubation, ventilation, remplissage vasculaire. Si barbitémie > 100µg/ml, indication formelle d'hémofiltration (laquelle entraîne un réveil)

 

n    Evolution: favorable mais longue

 

5-Conclusion

 

- Prévention des intoxications : tenir hors de portée des enfants et des vieillards les médicaments et produits ménagers ou agricoles. Prise en charge précoce des syndromes dépressifs ou des patients psychiatriques. Information sur la toxicité des médicaments et des produits agricoles ou ménagers.

 

- Assurer les soins de secourisme élémentaire. Appeler le Centre 15.

 

- Ne jamais minimiser une intoxication volontaire. Avoir recours au centre spécialisé et après traitement à un avis psychiatrique (risque maximal de récidive dans l’année suivante avec taux de « succès » égal à 10%).