LEPTOSPIROSES
1. Généralités
Il faut d’emblée
insister sur la diversité clinique extrême des leptospiroses : leur
caractéristique est de ne pas en avoir ; leur létalité importante :
15% au Brésil en 1996 ; et l’efficacité de
l’antibiothérapie dont l’utilité ne doit pas être remise en cause.
Les premières données
mondiales sur les leptospiroses ont été fournies en 1999 par le Centre
Collaborateur OMS/FAO de référence et de recherche pour la leptospirose
(Australie).
Les leptospiroses sont des anthropozoonoses bactériennes des pays chauds et humides : Asie du sud-est, Pacifique, Amérique latine, mais elles sont décrites partout dans le monde (ex : France métropolitaine, été 2003). Des épidémies ont été récemment rapportées dans les favelas au Brésil (1996), après un cyclone et en Inde après des inondations(1999).
En
Afrique,
beaucoup de pays ont des caractéristiques bioclimatiques propices à la
transmission des leptospiroses, mais
l’incidence et la prévalence restent difficiles à évaluer.
Elles
sont particulièrement fréquentes dans les TOM-DOM, en particulier en
Nouvelle-Calédonie (incidence : 100 /100.000), en Polynésie, à la
Réunion, à Mayotte. Elles sont connues dans l’Océan indien, sauf à Madagascar,
où la recherche en 2001 d’un éventuel réservoir animal de
leptospires par la technique de la PCR a été négative.
En pratique, les
données mondiales chiffrées d’incidence sont rarissimes, rendant impossible
toute cartographie des leptospiroses. Il est certain que leur fréquence est
sous-estimée chez le voyageur tropical.
2. Epidémiologie
2.1. Réservoir :
il est animal. Le réservoir primaire est constitué par les rongeurs, mais
la plupart des mammifères domestiques et sauvages peuvent être infestés.
2.2. Sources d’infection :
les eaux et les sols souillés par les urines des animaux infestés, les
leptospires vivent longtemps dans les sols et les eaux douces (égouts, mines).
2.3. Voies de transmission :
peau (excoriations cutanées), plus rarement muqueuses conjonctivale, pharyngée, digestive,
inhalations, aérosols.
2.4. Facteurs de risque :
professions exposées : agriculteurs, employés des abattoirs, égoutiers,
jardiniers ; loisirs : baignades en eau douce (rivières, étangs),
sports nautiques (kayak ou canoë, rafting, canyoning, pêche). Recrudescence à
la saison humide.
3. Microbiologie
3.1.
Les leptospiroses sont dues à des
bactéries extracellulaires du genre Leptospira, de la famille des Spirochetaceae, gram négatif, mobiles,
très allongées, hélicoïdales. Elles ont 4 à 25 µm de long et 0,1µm de large.
Les spires serrées visibles en microscopie électronique sont au nombre d’une
vingtaine. On distingue 2 espèces de leptospires : Leptospira biflexa, saprophyte et L. interrogans, pathogène. Actuellement, l’analyse phylogènique des
séquences d’ADN ribosomial a permis de distinguer 3 groupes de
leptospires : les saprophytes (3 espèces), les pathogènes (7 espèces) et
un groupe intermédiaire (2 espèces). Il y au total 23 sérogroupes et 244
sérovars. L’espèce pathogène L.
interrogans est la plus nombreuse avec 15 sérogroupes et 81 sérovars. Parmi
les sérogroupes, on retient : L.
australis, L. autumnalis , L. bataviae, L. canicola, L. grippotyphosa, L.
ictérohémorrhagiae, L. pomona, L. pyrogenes, L. sejroë.
3.2.
Les formes graves peuvent s’observer
avec tous les sérogroupes, même si le sérogroupe L. icterohemorrhagie est
responsable des leptospiroses les plus graves.
3.3. Tous
les sérogroupes et tous les sérovars pathogènes pour les animaux peuvent être
également
pathogènes pour
l’homme.
4.
Physiopathologie
La
première phase de l’infection est liée au passage transcutané ou muqueux des
leptospires, qui gagnent la circulation sanguine ou lymphatique. Les
leptospires pathogènes échappent à la phagocytose et se multiplient dans le sang
et les tissus hôtes.
Dans
une 2ème phase, apparaissent dans le sang des anticorps de type IgM.
La réponse immunitaire humorale est détectée chez l’homme dès le 8ème
jour. Les leptospires pathogènes peuvent échapper à la lyse par le système
anticorps-complément. Ainsi, des leptospires ont été mis en évidence par la
technique d’amplification génique (PCR) dans le sang jusqu’à 2 mois et dans les
urines jusqu’à 9 mois après l’épisode aigu.
La
capacité de pénétration intracellulaire des leptospires pathogènes notamment du
sérogroupe L. ictérohémorrhagiae est
actuellement prouvée, bien que les leptospires aient été longtemps considérés
comme des bactéries extracellulaires strictes.
5.
Clinique
5.1. La forme
classique : l’ictère fébrile à rechute.
5.1.1. Incubation
silencieuse 5 à 14 jours (extrêmes : 2 à 30 jours)
5.1.2. Phase pré-ictérique : c’est la
période d’invasion ou leptospirémique.
De début brutal, elle
dure de 3 à 5 jours avec présence de leptospires dans le sang et le LCR. Elle
est caractérisée par de la fièvre à 39°C et plus, des frissons, des céphalées,
des myalgies (mollets, cuisses ), des arthralgies, une asthénie. Elle réalise
un syndrome grippal plus ou moins sévère.
Une suffusion
conjonctivale bilatérale, une hémorragie conjonctivale au 3ème 4ème
jour, un herpès, une éruption maculaire, maculo-papuleuse ou pétéchiale fugace
au niveau du tronc ou en position prétibiale, un syndrome méningé, une oligurie
avec protéinurie attirent l’attention.
5.1.3. Phase ictérique : c’est la période
d’état ou immune.
Elle est corrélée à
l’apparition des IgM circulants. Le syndrome infectieux persiste, mais
s’atténue. Les manifestations viscérales sont au premier plan, plus ou
moins sévères :
- atteinte
hépatique : ictère de coloration orangée, dit flamboyant, au 4ème
6ème jour,
- atteinte
rénale : insuffisance rénale aiguë,
- atteinte neuroméningée : méningite
lymphocytaire,
- atteinte pulmonaire
: toux, dyspnée, nodules floconneux centrimètriques, à limites floues à la
radiographie,
- syndrome
hémorragique généralement discret : épistaxis, quelques pétéchies.
Cette phase
ictérique, qui apparaît au 4ème jour en moyenne, a une durée moyenne
de 5 jours. Au 10ème jour débute la phase d’apyrexie ou phase
intermédiaire : chute de la température, en lysis, régression de l’ictère
et des signes neurologiques. Suit au 15ème jour la recrudescence
fébrile, puis la chute de la température au 20ème jour avec une
crise urinaire. La convalescence est longue, marquée par une asthénie
prolongée, mais la guérison survient sans séquelles.
Au total, la maladie
évolue classiquement en quatre phases d’environ 5 jours chacune.
5.2. Formes
cliniques
A partir de ce schéma classique, des formes
cliniques sont décrites :
5.2.1.
Formes inapparentes, mises en évidence
au cours des enquêtes épidémiologiques,
5.2.2.
Formes fébriles pures, réalisant des
formes grippales très fréquentes
5.2.3.
Formes graves, atteinte multiviscérale mettent
en jeu le pronostic vital.
Fréquence d’autant
élevée que le traitement antibiotique est retardé et/ou que le malade est
porteur d’une tare viscérale, en particulier l’alcoolisme. La mortalité est de
5 à 15%.
Elles réalisent :
- un ictère grave,
- une insuffisance rénale aggravée par une rhabdomyolyse,
- une atteinte cardiaque : myocardite, choc cardiogénique,
- un syndrome
hémorragique diffus : purpura, hémorragies viscérales, en particulier
digestives engageant le pronostic vital.
- une atteinte
pulmonaire (Syndrome de détresse respiratoire aigu de l’adulte : SDRAA)
avec 2 types de lésions : syndrome hémorragique cause d’hémoptysies
consécutives à une alvéolite hémorragique et œdème pulmonaire lésionnel
évoluant vers un SDRA, avec à la radiographie des images d’infiltrat
interstitiel en verre dépoli et des condensations pulmonaires étendues,
- des troubles de la conscience : de l’obnubilation
jusqu’au coma
- une atteinte oculaire : uvéite (2 à 10%
des cas), d’apparition retardée
Pour l’OMS :
suffusion conjonctivale bilatérale, myalgies et signes méningés dans un
contexte épidémiologique ont une valeur prédictive (1987). La valeur évocatrice
supérieure du contexte épidémiologique sur la présentation clinique dont le
polymorphisme «infini» est bien établi doit être soulignée. La description de
la forme classique avec son rythme solennel est obsolète : la forme
pseudo-grippale est plus fréquemment observée que l’ictère fébrile à rechute.
Il y a en zones tropicales une fréquente confusion diagnostique avec la dengue.
6. Diagnostic
6.1. Clinique :
Vu l’extrême polymorphisme, de la fièvre pseudo-palustre à l’hépatonéphrite,
de nombreuses affections peuvent
réaliser des tableaux cliniques proches. En zone d’endémie palustre, il faut
toujours craindre une forme grave de paludisme à P. falciparum (manifestations encéphalitiques, insuffisance rénale,
purpura, SDRA,...) ; dans les zones
où coexistent leptospirose et dengue, c’est le retard au diagnostic de la
leptospirose, plus que la coexistence des 2 infections qui est préjudiciable.
6.2. Biologique
6.2.1. Diagnostic non spécifique
- sang :
hyperleucocytose à polynucléaires (
jusqu’à 50.000 mm3), thrombopénie(pouvant être < 30 000/mm3),
avec taux de prothrombine peu perturbé ; élévation des transaminases
(mais, la cytolyse est modérée), de la bilirubinémie à prédominance conjuguée, des phosphatases alcalines ;
élévation de la créatininémie, des CPK ;
- urines :
protéinurie, leucocyturie, hématurie microscopique
- LCR (la PL est
systématique) : pléiocytose panachée, hyperprotéinorachine, glycorachie et
chlorurachie normales
6.2.2. Diagnostic spécifique : le
diagnostic biologique avec des tests de référence n’est disponible que dans peu
de laboratoires.
6.2.2.1. diagnostic bactériologique
- examen
direct du sang et du LCR, les 5 premiers jours ; des urines, à partir
du 12ème jour (inconstant), présence de fins spirochètes à l’examen
au microscope à fond noir ;
- culture : sang, LCR sur milieu Tween 80-albumine ou sur milieu EMJH (Ellinghausen, Mc
Cullough, Jonhson et Harris), culture lente et difficile : délai
d’observation de 2 mois avant de conclure à la négativité.
6.2.2.2. diagnostic sérologique :
permet un diagnostic à partir du 8ème
jour
- Test de
dépistage : test de macro agglutination sur lame avec l’antigène
thermorésistant TR, remplacé actuellement par une technique ELISA qui
utilise un antigène de Leptospira biflexa souche patoc, souche pathos (non pathogène),
seuil de positivité : 1/400
- puis test de
confirmation : test de microagglutination [MAT] (ex-réaction
d’agglutination de Martin et Pettit) à partir du 10ème jour qui
utilise la gamme des antigènes pour détermination du sérogroupe, seuil de
positivité 1/100.
Il faut renouveler
les prélèvements.
Le Lepto-dipstick
test est un test rapide de diagnostic sur bandelette : la fixation sur la
bandelette d’un antigène de L. biflexa
permet de capter les IgM antileptospires présents dans le sérum des patients,
IgM mises ensuite en évidence par une réaction colorée.
La sérologie des
leptospiroses est d’interprétation difficile :
- positivité souvent
tardive (15ème jour et plus) : répéter les prélèvements,
surtout si formes sévères et antibiothérapie précoce,
- erreurs par excès,
mais absence d’évolution significative des taux (maladies hépatiques) ou par
défaut (ELISA et Dipstick test sont mis en défaut pour L. grippotyphosa : 45% de faux négatifs, ce sérogroupe est
fréquent en France métropolitaine)
- phénomènes de co-agglutination.
6.2.2.3. amplification génique
(gène rrs codant l’ARN ribosomial 16S) :
Vu la longueur des
délais des cultures, l‘apparition tardive des anticorps spécifiques, l’intérêt
de la PCR est évident. Elle permet un diagnostic direct en 48 heures (plasma,
LCR ou urines) dès le premier jour de la maladie. Elle se négative rapidement,
vers le 10ème jour.
6. Traitement
6.1. Traitement
étiologique
L’antibiothérapie
précoce réduit la durée et la sévérité des symptômes (en particulier,
l’atteinte rénale). En pratique : Pénicilline G 6.000.000 UI (2 000 000 X 3) par 24 heures par voie I.V. (flash)
pendant 7 à 8 jours.
Autres antibiotiques
actifs : autres béta-lactamines (ampicilline : 0,5-1g x 3fois/jour,
amoxicilline 0,5g x 3/j), tétracyclines (doxycycline : 100 mgx2/j) pendant
7 jours.
6.2. Traitement
symptomatique spécifique à chaque complication :
- épuration
extra-rénale : insuffisance rénale, rhabdomyolyse sévère,
- ventilation
mécanique : défaillance ventilatoire, SDRAA,
- transfusion de
plasma frais congelé et concentrés globulaires : hémorragies massives,
-
drogues vasoactives après prise des pressions : choc cardio-vasculaire.
8. Prophylaxie
8.1. collective : éviter les zones humides où pullulent
les rongeurs, éviter les baignades en eaux mal connues ;
8.2. individuelle :
protection par bottes, lunettes ; vaccin spécifiquement dirigé
contre L. ictérohaemorrhagiae
(SPIROLEPTâ)
efficace mais peu utilisé (égoutiers, éboueurs) ; information des
voyageurs.
En cas de risque
d’exposition à des eaux polluées, une antibioprophylaxie par doxycycline 200 mg
par semaine est efficace à 95%
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