LEPTOSPIROSES

Actualités 2004

Professeur Pierre AUBRY – Mise à jour 26/07/2004

 

 

1.       Généralités

 

Il faut d’emblée insister sur la diversité clinique extrême des leptospiroses : leur caractéristique est de ne pas en avoir ; leur létalité importante : 15% au Brésil en 1996 ; et l’efficacité de l’antibiothérapie dont l’utilité ne doit pas être remise en cause.

Les premières données mondiales sur les leptospiroses ont été fournies en 1999 par le Centre Collaborateur OMS/FAO de référence et de recherche pour la leptospirose (Australie).

Les leptospiroses sont des anthropozoonoses bactériennes des pays chauds et humides : Asie du sud-est, Pacifique, Amérique latine, mais elles sont décrites partout dans le monde (ex : France métropolitaine, été 2003). Des épidémies ont été récemment rapportées dans les favelas au Brésil (1996), après un cyclone et en Inde après des inondations(1999).

En Afrique, beaucoup de pays ont des caractéristiques bioclimatiques propices à la transmission des  leptospiroses, mais l’incidence et la prévalence restent difficiles à évaluer.

Elles sont particulièrement fréquentes dans les TOM-DOM, en particulier en Nouvelle-Calédonie (incidence : 100 /100.000), en Polynésie, à la Réunion, à Mayotte. Elles sont connues dans l’Océan indien, sauf à Madagascar, où la recherche en 2001 d’un éventuel réservoir animal de leptospires par la technique de la PCR a été négative.

En pratique, les données mondiales chiffrées d’incidence sont rarissimes, rendant impossible toute cartographie des leptospiroses. Il est certain que leur fréquence est sous-estimée chez le voyageur tropical.

 

2.       Epidémiologie

 

2.1. Réservoir : il est animal. Le réservoir primaire est constitué par les rongeurs, mais la plupart des mammifères domestiques et sauvages peuvent être infestés.

2.2. Sources d’infection : les eaux et les sols souillés par les urines des animaux infestés, les leptospires vivent longtemps dans les sols et les eaux douces (égouts, mines).

2.3. Voies de transmission : peau (excoriations cutanées), plus rarement muqueuses conjonctivale, pharyngée, digestive, inhalations, aérosols.

2.4. Facteurs de risque : professions exposées : agriculteurs, employés des abattoirs, égoutiers, jardiniers ; loisirs : baignades en eau douce (rivières, étangs), sports nautiques (kayak ou canoë, rafting, canyoning, pêche). Recrudescence à la saison humide.

 

3.       Microbiologie 

 

3.1.             Les leptospiroses sont dues à des bactéries  extracellulaires du genre Leptospira, de la famille des Spirochetaceae, gram négatif, mobiles, très allongées, hélicoïdales. Elles ont 4 à 25 µm de long et 0,1µm de large. Les spires serrées visibles en microscopie électronique sont au nombre d’une vingtaine. On distingue 2 espèces de leptospires : Leptospira biflexa, saprophyte et L. interrogans, pathogène. Actuellement, l’analyse phylogènique des séquences d’ADN ribosomial a permis de distinguer 3 groupes de leptospires : les saprophytes (3 espèces), les pathogènes (7 espèces) et un groupe intermédiaire (2 espèces). Il y au total 23 sérogroupes et 244 sérovars. L’espèce pathogène L. interrogans est la plus nombreuse avec 15 sérogroupes et 81 sérovars. Parmi les sérogroupes, on retient : L. australis, L. autumnalis , L. bataviae, L. canicola, L. grippotyphosa, L. ictérohémorrhagiae, L. pomona, L. pyrogenes, L. sejroë.

3.2.             Les formes graves peuvent s’observer avec tous les sérogroupes, même si le sérogroupe L. icterohemorrhagie est responsable des leptospiroses les plus graves.

3.3.     Tous les sérogroupes et tous les sérovars pathogènes pour les animaux peuvent être également

pathogènes pour l’homme.

 

4.           Physiopathologie

 

La première phase de l’infection est liée au passage transcutané ou muqueux des leptospires, qui gagnent la circulation sanguine ou lymphatique. Les leptospires pathogènes échappent à la phagocytose et se multiplient dans le sang et les tissus hôtes.

Dans une 2ème phase, apparaissent dans le sang des anticorps de type IgM. La réponse immunitaire humorale est détectée chez l’homme dès le 8ème jour. Les leptospires pathogènes peuvent échapper à la lyse par le système anticorps-complément. Ainsi, des leptospires ont été mis en évidence par la technique d’amplification génique (PCR) dans le sang jusqu’à 2 mois et dans les urines jusqu’à 9 mois après l’épisode aigu.

La capacité de pénétration intracellulaire des leptospires pathogènes notamment du sérogroupe L. ictérohémorrhagiae est actuellement prouvée, bien que les leptospires aient été longtemps considérés comme des bactéries extracellulaires strictes.

 

5.           Clinique 

 

5.1.     La forme classique : l’ictère fébrile à rechute.

 

5.1.1. Incubation silencieuse 5 à 14 jours (extrêmes : 2 à 30 jours)

 

5.1.2. Phase pré-ictérique : c’est la période d’invasion ou leptospirémique.

De début brutal, elle dure de 3 à 5 jours avec présence de leptospires dans le sang et le LCR. Elle est caractérisée par de la fièvre à 39°C et plus, des frissons, des céphalées, des myalgies (mollets, cuisses ), des arthralgies, une asthénie. Elle réalise un syndrome grippal plus ou moins sévère.

Une suffusion conjonctivale bilatérale, une hémorragie conjonctivale au 3ème 4ème jour, un herpès, une éruption maculaire, maculo-papuleuse ou pétéchiale fugace au niveau du tronc ou en position prétibiale, un syndrome méningé, une oligurie avec protéinurie attirent l’attention.

 

5.1.3. Phase ictérique : c’est la période d’état ou immune.

Elle est corrélée à l’apparition des IgM circulants. Le syndrome infectieux persiste, mais s’atténue. Les manifestations viscérales sont au premier plan, plus ou moins sévères :

- atteinte hépatique : ictère de coloration orangée, dit flamboyant, au 4ème 6ème jour,

- atteinte rénale : insuffisance rénale aiguë,

- atteinte  neuroméningée : méningite lymphocytaire,

- atteinte pulmonaire : toux, dyspnée, nodules floconneux centrimètriques, à limites floues à la radiographie,

- syndrome hémorragique généralement discret : épistaxis, quelques pétéchies.

Cette phase ictérique, qui apparaît au 4ème jour en moyenne, a une durée moyenne de 5 jours. Au 10ème jour débute la phase d’apyrexie ou phase intermédiaire : chute de la température, en lysis, régression de l’ictère et des signes neurologiques. Suit au 15ème jour la recrudescence fébrile, puis la chute de la température au 20ème jour avec une crise urinaire. La convalescence est longue, marquée par une asthénie prolongée, mais la guérison survient sans séquelles.

Au total, la maladie évolue classiquement en quatre phases d’environ 5 jours chacune.

 

5.2.     Formes cliniques 

A  partir de ce schéma classique, des formes cliniques sont décrites :

5.2.1.        Formes inapparentes, mises en évidence au cours des enquêtes épidémiologiques,

5.2.2.        Formes fébriles pures, réalisant des formes grippales très fréquentes

5.2.3.        Formes graves, atteinte multiviscérale mettent en jeu le pronostic vital.

Fréquence d’autant élevée que le traitement antibiotique est retardé et/ou que le malade est porteur d’une tare viscérale, en particulier l’alcoolisme. La mortalité est de 5 à 15%. 

Elles réalisent :

- un ictère grave,

- une insuffisance rénale aggravée par une rhabdomyolyse,

- une atteinte cardiaque : myocardite, choc cardiogénique,

- un syndrome hémorragique diffus : purpura, hémorragies viscérales, en particulier digestives engageant le pronostic vital.

- une atteinte pulmonaire (Syndrome de détresse respiratoire aigu de l’adulte : SDRAA) avec 2 types de lésions : syndrome hémorragique cause d’hémoptysies consécutives à une alvéolite hémorragique et œdème pulmonaire lésionnel évoluant vers un SDRA, avec à la radiographie des images d’infiltrat interstitiel en verre dépoli et des condensations pulmonaires étendues,

-  des troubles de la conscience : de l’obnubilation jusqu’au coma

-  une atteinte oculaire : uvéite (2 à 10% des cas),  d’apparition retardée

 

Pour l’OMS : suffusion conjonctivale bilatérale, myalgies et signes méningés dans un contexte épidémiologique ont une valeur prédictive (1987). La valeur évocatrice supérieure du contexte épidémiologique sur la présentation clinique dont le polymorphisme «infini» est bien établi doit être soulignée. La description de la forme classique avec son rythme solennel est obsolète : la forme pseudo-grippale est plus fréquemment observée que l’ictère fébrile à rechute. Il y a en zones tropicales une fréquente confusion diagnostique avec la dengue.

 

6. Diagnostic

 

6.1. Clinique : Vu l’extrême polymorphisme, de la fièvre pseudo-palustre à l’hépatonéphrite, de  nombreuses affections peuvent réaliser des tableaux cliniques proches. En zone d’endémie palustre, il faut toujours craindre une forme grave de paludisme à P. falciparum (manifestations encéphalitiques, insuffisance rénale, purpura, SDRA,...) ;  dans les zones où coexistent leptospirose et dengue, c’est le retard au diagnostic de la leptospirose, plus que la coexistence des 2 infections qui est préjudiciable.

 

6.2. Biologique

 

6.2.1. Diagnostic non spécifique

- sang : hyperleucocytose  à polynucléaires ( jusqu’à 50.000 mm3), thrombopénie(pouvant être < 30 000/mm3), avec taux de prothrombine peu perturbé ; élévation des transaminases (mais, la cytolyse est modérée), de la bilirubinémie à prédominance  conjuguée, des phosphatases alcalines ; élévation de la créatininémie, des CPK ;

- urines : protéinurie, leucocyturie, hématurie microscopique

- LCR (la PL est systématique) : pléiocytose panachée, hyperprotéinorachine, glycorachie et chlorurachie normales

 

6.2.2. Diagnostic spécifique : le diagnostic biologique avec des tests de référence n’est disponible que dans peu de laboratoires.

 

6.2.2.1. diagnostic bactériologique 

- examen direct du sang et du LCR, les 5 premiers jours ; des urines, à partir du 12ème jour (inconstant), présence de fins spirochètes à l’examen au microscope à fond noir ;

- culture : sang, LCR sur  milieu Tween 80-albumine ou sur milieu EMJH (Ellinghausen, Mc Cullough, Jonhson et Harris), culture lente et difficile : délai d’observation de 2 mois avant de conclure à la négativité. 

 

6.2.2.2. diagnostic sérologique : permet un diagnostic  à partir du 8ème jour

- Test de dépistage : test de macro agglutination sur lame avec l’antigène thermorésistant TR, remplacé actuellement par une technique ELISA qui utilise un antigène de Leptospira biflexa souche patoc, souche pathos (non pathogène), seuil de positivité : 1/400

- puis test de confirmation : test de microagglutination [MAT] (ex-réaction d’agglutination de Martin et Pettit) à partir du 10ème jour qui utilise la gamme des antigènes pour détermination du sérogroupe, seuil de positivité 1/100.

Il faut renouveler les prélèvements.

Le Lepto-dipstick test est un test rapide de diagnostic sur bandelette : la fixation sur la bandelette d’un antigène de L. biflexa permet de capter les IgM antileptospires présents dans le sérum des patients, IgM mises ensuite en évidence par une réaction colorée.

La sérologie des leptospiroses est d’interprétation difficile :

- positivité souvent tardive (15ème jour et plus) : répéter les prélèvements, surtout si formes sévères et antibiothérapie précoce,

- erreurs par excès, mais absence d’évolution significative des taux (maladies hépatiques) ou par défaut (ELISA et Dipstick test sont mis en défaut pour L. grippotyphosa : 45% de faux négatifs, ce sérogroupe est fréquent en France métropolitaine)

- phénomènes de co-agglutination.

 

6.2.2.3. amplification génique (gène rrs codant l’ARN ribosomial 16S) :

Vu la longueur des délais des cultures, l‘apparition tardive des anticorps spécifiques, l’intérêt de la PCR est évident. Elle permet un diagnostic direct en 48 heures (plasma, LCR ou urines) dès le premier jour de la maladie. Elle se négative rapidement, vers le 10ème jour.

 

6.       Traitement

 

6.1. Traitement étiologique 

L’antibiothérapie précoce réduit la durée et la sévérité des symptômes (en particulier, l’atteinte rénale). En pratique : Pénicilline G  6.000.000 UI (2 000 000 X 3) par 24 heures par voie I.V. (flash) pendant 7 à 8 jours.

Autres antibiotiques actifs : autres béta-lactamines (ampicilline : 0,5-1g x 3fois/jour, amoxicilline 0,5g x 3/j), tétracyclines (doxycycline : 100 mgx2/j) pendant 7 jours.

 

6.2. Traitement symptomatique spécifique à chaque complication :

- épuration extra-rénale : insuffisance rénale, rhabdomyolyse sévère,

- ventilation mécanique : défaillance ventilatoire, SDRAA,

- transfusion de plasma frais congelé et concentrés globulaires : hémorragies massives,

- drogues vasoactives après prise des pressions : choc cardio-vasculaire.

 

8. Prophylaxie

8.1. collective : éviter les zones humides où pullulent les rongeurs, éviter les baignades en eaux mal connues ;

8.2. individuelle : protection  par bottes, lunettes ; vaccin spécifiquement dirigé contre L. ictérohaemorrhagiae (SPIROLEPTâ) efficace mais peu utilisé (égoutiers, éboueurs) ; information des voyageurs.

En cas de risque d’exposition à des eaux polluées, une antibioprophylaxie par doxycycline 200 mg par semaine est efficace à 95%

 

 

Références 

 

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