Les Salmonelloses. Actualités 2003.
1.
Généralités
Les salmonelloses comprennent la fièvre
typhoïde et les salmonelloses non typhiques (ou non typhoïdiques). La fièvre
typhoïde est devenue rare dans les pays industrialisés du fait des progrès de
l’hygiène et de l’amélioration des conditions d’approvisionnement en eau
potable. Dans les PED, l’incidence est élevée, liée aux mauvaises conditions
d’hygiène et aux risques de transmission fécale. S. typhi ou bacille d’Eberth est le principal germe responsable de
la fièvre typhoïde. C’est une maladie de l’adolescent et de l’adulte, peu
fréquente chez le très jeune enfant, y compris en zone de très forte endémie.
Les salmonelloses non typhiques (improprement dites mineures) sont responsables d’infections sporadiques ou épidémiques, le plus souvent en raison de la contamination des aliments ou de portage asymptomatique. Elles entraînent des formes invasives chez les malades à risques, en particulier les malades immunodéprimés.
Les salmonelles font partie de la famille des entérobactéries, bacilles à Gram négatif. La détermination des nombreux sérotypes est antigénique. Chaque sérotype possède une mosaïque d’antigènes : somatique O, capsulaire Vi, flagellaire H.
L’antigène O de nature glucidolipidique, correspond à l’endotoxine. Il
est composé de plusieurs facteurs, désignés par des chiffres. Il provoque
l’apparition d’anticorps spécifiques dans le sérum des malades.
L’antigène Vi est un antigène de surface que possèdent S. typhi, S. paratyphi C et S. dublin.
L’antigène H de nature protéique, est formé de plusieurs facteurs
désignés soit par des lettres, soit par des chiffres. Le sérum des malades
possèdent des agglutinines H spécifiques.
L’identification précise de chaque sérotype s’effectue par séro-agglutination en présence de divers anti-sérums mono-spécifiques O et H.
Extrait de la classification de Kaufmann-White indiquant les formules antigéniques de quelques sérotypes.
Sérotype |
Antigène O |
Antigène H Phase
I Phase II |
S. paratyphi A |
Groupe A 1, 2, 12 |
a |
S. paratyphi B S. typhimurium |
Groupe B 1, 4, [5}, 12 1, 4, [5], 12 |
b 1, 2
i 1,
2 |
S. infantis S. virchow |
Groupe C1 6, 7 6, 7 |
r 1,
5
r e,
n, x |
S. typhi S. enteritidis S. dublin |
Groupe D 9, 12, [Vi] 1, 9, 12 1, 9, 12, [Vi] |
d
-
g, m
-
g, ,p
- |
S.
enteritidis a une formule antigénique proche de S. typhi, S. typhimurium
a une formule proche de S. paratyphi B. Or, ces 2 salmonelles non typhiques
sont celles qui sont le plus souvent isolées actuellement chez les sujets infectés par le VIH.
Les souches multirésistantes de
salmonelles, y compris aux fluoroquinolones, émergent un peu partout dans le
monde, ce qui pose le problème de leur prise en charge.
2. Epidémiologie
2.1. Epidémiologie de la fièvre typhoïde
Dans les pays en développement, la fièvre typhoïde est endémique et pose
un problème majeur de santé publique avec 12 500 000 de cas par an
(incidence : 540 cas / 100 000 vs 0,2 cas / 100 000 dans les pays
tempérés). L’homme est le seul réservoir de virus. La contamination se fait par
les eaux et les aliments à partir des selles (malades ou porteurs
asymptomatiques). Dans les régions les plus touchées, le pic d’incidence
survient parmi les enfants et les adolescents âgés de 4 à 19 ans. Par ailleurs,
l’incidence des souches de S.typhi plurirésistantes
aux antibiotiques augmente rapidement depuis 1990, en particulier dans le
sous-continent indien et en Asie du sud-est.
Dans les pays industrialisés, la plupart des fièvres typhoïdes sont
contractées lors d’un voyage à l’étranger.
2.2. Epidémiologie des salmonelles non typhiques
Les salmonelles non typhiques sont en
augmentation constante, en particulier dans les pays industrialisés. Les
animaux domestiques ou sauvages sont les réservoirs de virus. Les animaux
exotiques peuvent être en cause (reptiles, caméléons). La contamination est alimentaire
ou inter-humaine. Les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) sont dues
pour moitié aux salmonelles. La contamination inter-humaine est importante chez
l’enfant, favorisée par le portage asymptomatique (rôle des mains). Les
principales salmonelles en cause sont S.
enteritidis et S. typhimurium. La
résistance des salmonelles non typhiques risquent d’augmenter avec
l’utilisation incontrôlée des antibiotiques dans l’élevage industriel. Cette
pratique contribue à répandre des souches multirésistantes.
Dans les PED, la prévalence des
salmonelloses non typhiques à S.
enteritidis et à S. typhi murium
est élevée chez les sidéens. Les tableaux cliniques ne varient pas
significativement selon le statut sérologique, à l’exception de la plus grande
fréquence des bactériémies et des métastases septiques chez les VIH +.
3. Physiopathologie
3.1. La fièvre typhoïde
4. Aspects cliniques.
4.1. La fièvre typhoïde
La fréquence des différents signes est
très variable selon les séries. Le seul symptôme constant au début de la
maladie est la fièvre, plus ou moins associée à des signes
digestifs : diarrhée ou constipation et une obnubilation. Chez l’enfant,
la fièvre typhoïde peut se présenter comme une fièvre isolée ou associée à une
obnubilation. Les taches rosées sont rarement vues sur peau noire.
Si le malade est vu au 2ème septénaire, le diagnostic clinique reste difficile : il faut retenir une fièvre en plateau datant de plus de 7 jours, des douleurs abdominales diffuses ou localisées à la fosse iliaque droite, une diarrhée « jus de melon », une déshydratation, un pouls dissocié, une splénomégalie, une toux, des râles bronchiques, un tuphos.
Les complications apparaissent au 3ème septénaire, en particulier les péritonites par perforations du grêle, complication majeure de la fièvre typhoïde dans les PED, avec une mortalité et une morbidité élevées, les cholécystites, les hémorragies digestives, la myocardite, l’ostéite.
Les rechutes, chez le malade non traité, sont fréquentes : 10 à 20%, ainsi que le portage chronique ( 5%) favorisé par une lithiase vésiculaire.
Tableau : fréquence (en %) des
symptômes et signes de la fièvre typhoïde dans six séries.
Lieu |
Abidjan (A) |
Marseille (A) |
Antananarivo (E) |
Haïti (A) |
Libreville (A) Dakar (A+E)* |
Date Nombre de cas Fièvre Céphalées Diarrhée, Nausées, vomissements Constipation Splénomégalie Taches rosées Pouls dissocié Tuphos |
1976-1980 213 100 65 32 16 12 36 - 51 7 |
1978-1983 73 100 60 63 41 21 31 7 68 - |
1982-1984 97 100 44 35 33 21 10 - 9 10 |
1988-1991 217 100 41 64 45 12 0,9 - - 14,7 |
1992-1996 1995-2002 150 70 100 97 50 50 67 49 33
71 20 - 10 10 0,7 - 87 31 17 11 |
(A) : adultes, (E) : enfants.
* le tableau général est similaire entre adultes
et enfants
4.2. Les salmonelloses non typhiques
4.2.1. Les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) sont dues à des
salmonelles non typhiques dans la moitié des cas. La contamination des aliments
et de l’eau se fait par les animaux.
Les aliments en cause sont les viandes, volailles, œufs consommés peu ou
pas cuites, les fruits de mer, les fruits et les légumes, les crèmes glacées.
Les salmonelles les plus fréquemment en cause sont S. enteritidis (viandes peu cuites) et S. typhimurium (œufs). La durée d’incubation est de 12 à 24 heures
La clinique associe une diarrhée fébrile, des vomissements, des douleurs
abdominales et chez les sujets âgés ou immunodéficients des bactériémies, des
septicémies et des localisations extradigestives, en particulier vasculaires
(aortites, endocardites sue valves antérieurement lésées).
4.2.2. Les salmonelloses non typhiques sont fréquentes et
graves chez les enfants «à risques» :
- nouveau-nés et nourrissons de moins de 3 mois, avec fréquence des ostéites et
des méningites ; cependant, le rôle protecteur du lait maternel explique
leur rareté avant le sevrage dans les PED,
- drépanocytaires SS, mais aussi AS,
avec fréquence des ostéomyélites,
- enfants malades du sida, les salmonelles étant la première cause des bactériémies, la fièvre étant apparemment isolée et les rechutes fréquentes, d’où l’intérêt d’une prophylaxie au cotrimoxazole.
4.2.3. L’association schistosomoses-salmonelloses est à l’origine de
tableaux de fièvre typhoïde chez des enfants infectés par des salmonelles non
typhiques, les vers adultes des schistosomes fixant électivement les
salmonelles. Il faut traiter les 2 maladies pour obtenir la guérison.
5. Diagnostic biologique
5.1. Diagnostic de la fièvre typhoïde
5.1.1. Compte tenu des limites
des signes cliniques en zone tropicale, il
faut insister sur
la valeur de l’hémogramme dans la fièvre typhoïde caractérisé par : leucopénie,
anémie, thrombopénie. Une leucocytose inférieure à 5000/mm3 est un bon critère
diagnostique. Une cytolyse hépatique est fréquente ainsi que la positivité
du frottis sanguin et/ou la goutte
épaisse pour le paludisme.
5.1.2. Le diagnostic repose sur les cultures bactériennes et sur
la sérologie
- les hémocultures sont positives dans 90% des cas à la
première semaine, 75% à la deuxième semaine et seulement 40% à la troisième
semaine. Il faut ensemencer 10 ml de sang pour l’adulte, 5 ml pour l’enfant, le
nombre de bactéries dans le sang étant en règle faible. L’ensemencement se fait
sur flacon de Castaneda
- les coprocultures se positivent à la deuxième semaine (entre
40 et 80% des cas). Il faut ensemencer sur milieu sélectif type milieu
salmonelles-shigelles (milieu SS), compte tenu de la présence de
nombreuses autres bactéries dans les
selles.
- le principe du sérodiagnostic de Widal est la recherche des
agglutinines O et H. Les agglutinines O se positivent au 8ème jour,
les agglutinines H au 10ème - 12ème jour. Elles sont donc
présentes au 2ème septénaire à un taux > 1/200 pour les
agglutinines O et > 1/400 pour les agglutinines H. Plusieurs
sérodiagnostics sont nécessaires pour suivre l’évolution des agglutinines. Les
agglutinines O disparaissent en 2 à 3 mois. Les agglutinines H persistent
plusieurs années. Le sérodiagnostic de Widal est un excellent examen, à
condition de bien l’interpréter. Quelques exemples de résultats de
sérodiagnostics empruntés à Le Minor sont toujours d’actualité, bien que le
vaccin classique TAB ne soit plus utilisé.
Tableau : exemples de résultats de
sérodiagnostics
Exemples |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
TO TH AO AH BO BH CO
CH |
400
800 - -
200 - - - |
200 - - -
400
800 - - |
200 -
- - - - - - |
-
400 -
100 -
200 - - |
400
100 -
200 -
- |
1- Fièvre typhoïde à la phase d’état. Coagglutination BO due au facteur 12.
2- Fièvre paratyphoïde B à la période
d’état. Coagglutination TO
3- Trois hypothèses à envisager :
a- fièvre typhoïde au début
vers le 8ème jour : les agglutinines O sont apparues, les
agglutinines H ne le sont pas encore ;
b- infection due à un
sérotype de Salmonelle ayant l’antigène O commun avec S. typhi, mais un H différent : rechercher si la suspension H S. enteritidis n’est pas agglutinée,
c- infection due à un agent
pathogéne autre qu’une salmonelle : par exemple, Yersinia pseudotuberculosis.
4- Vacciné au TAB depuis plus de 3
mois : les agglutinines O ont disparu, les agglutinines H persistent
pendant de nombreuses années. Les agglutinines AH peuvent être absentes, le vaccin
contenant moins de A que de T ou B.
5- Vacciné au TAB faisant néanmoins une
fièvre typhoïde à la suite d’une absorption massive de bacilles typhiques
hautement virulents.
5.2. Diagnostic de salmonelloses non typhiques. Le diagnostic repose sur
la coproculture. Il faut cependant pratiquer des hémocultures, témoins des
formes invasives.
6. Traitement
6.1. Le traitement de la
fièvre typhoïde repose sur les antibiotiques à forte pénétration
intracellulaire, surtout intramacrophagique. Les souches de S. typhi multirésistantes conduisent
actuellement à employer les fluoroquinolones en pédiatrie.
6.1.1. Les antibiotiques supposés être actifs
- phénicolés (chloramphénicol et thiamphénicol) : 50 mg/kg/j par voie orale pendant 14 à 21 jours ; risque : myélotoxicité (1/10.000) ; rechutes : 10 à 20% ; intérêt : prix peu élevé.
- b-lactamines : aminopénicillines (ampicilline et
amoxicilline) : 60 à 100 mg/kg/j par voie orale pendant 14 à 21
jours ; céphalosporines de 3ème
génération (ceftriaxone) : dose : 60 mg/kg/j pendant 7 jours. Risque
d’échec clinique et de rechutes, la pénétration intracellulaire des b-lactamines étant
faible.
- cotrimoxazole : 50 mg/kg/j de SMX et 10 mg/kg/j de
triméthoprime pendant 14 à 21 jours.
- fluoroquinolones (ciprofloxacine, pefloxacine,
ofloxacine) à la dose de 20 mg/kg/j pendant 3 à 7 jours. Intérêt :
réduction de la durée du portage chronique.
- azithromycine : 1 g per os le premier jour, puis 500 mg X 6 jours (dose adulte), si souches résistantes aux fluoroquinolones.
6.1.2. Les médicaments de première intention. Ils diffèrent selon l’âge
et selon les pays :
- enfants : dans les PED,
chloramphénicol ; dans les pays industrialisés : b lactamines, si échec
clinique : traitement court par
fluoroquinolones (3 jours) ;
- adultes : dans les PED,
chloramphénicol ; dans les pays industrialisés, fluoroquinolones.
6.1.3. En
cas de portage chronique de rôle majeur
dans la transmission : fluroquinolones : ciprofloxacine, 1g/j pendant 4 semaines chez l’adulte et
cholécystectomie chez les sujets porteurs de lithiase biliaire en cas d’échec
de l’antibiothérapie.
Note : chez l’enfant, les fluoroquinolones sont
probablement utiles, mais des études complémentaires sont nécessaires dans
cette indication.
6.2. Le traitement des salmonelloses non typhiques
Un traitement antibiotique ne doit pas être prescrit dans les gastro-entérites. Une diarrhée glairo-sanglante avec fièvre élevée et risque de bactériémie est une bonne indication des fluoroquinolones, ainsi que les salmonelloses extra-intestinales de l’enfant : méningites, y compris celles du jeune enfant, et infections osseuses chez les drépanocytaires.
Une prophylaxie par cotrimoxazole est prescrite chez les sidéens.
7. Prévention
7.1. Prévention de la fièvre typhoïde
Elle repose essentiellement sur la
vaccination. Deux types de vaccins sont actuellement sur le marché :
- vaccin vivant atténué, oral, vaccin
suisse non commercialisé en France, chez l’enfant de plus de 6 ans et l’adulte,
- vaccin inerte fractionné : Typhim Vi Aventis
Pasteur et Typherix GlaxoSmithKline, efficace en une injection sous-cutanée ou
intramusculaire, chez l’enfant de plus de 2 ans et l’adulte ; il entraîne
une protection rapide et durable (3 ans), y compris dans les zones
hyperendémiques ; il est bien toléré ; il ne protège que contre S. typhi.
La vaccination contre la fièvre typhoïde est recommandée par l’OMS pour les personnes
voyageant dans les pays où les conditions d’hygiène sont précaires. Il
faudrait, en 2002 vacciner les enfants de plus de 2 ans dans les zones
d’endémie élevée (Asie du sud-est, Afrique, Amérique latine), où les systèmes
d’assainissement sont insuffisants.
Il faut y associer la lutte contre le
péril fécal.
7.2. Prévention ders salmonelloses non typhiques.
Elle repose essentiellement sur les règles d’hygiène
générale et le contrôle de la qualité de l’eau et des aliments.
Références
Gendrel D. Salmonelloses de l’enfant. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-018-A-10, 1997, 8p.
Malvy D., Djossou F., Le Bras M. Infections et toxi-infections d’origine
alimentaire et hydrique : orientation diagnostique et conduite à tenir. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses,
8-003-A-82, 2002, 15 p.
Gendrel D. Les fluoroquinolones chez l’enfant. Med. Trop., 2002 , 62, 185-192. Pennec Y.L., Garre M. Salmonelloses de l’adulte. Encycl. Med. Chir., Maladies infectieuses.
8-018-A-15, 2003, 9 p.
Debonne J.M., Ka S., Chevalier B. et coll.
La fièvre typhoïde chez l’enfant et l’adulte. Etude rétrospective de 70 cas. Med.
Trop., 2003, 63, 310.