SURVEILLANCE EN REANIMATION, MONITORING.
B-A Gaüzere
Octobre 2000
I - INTRODUCTION
I - 1 L'altération de l'état de conscience, de l'état général et de la vie de relation, avec ou sans perturbations végétatives justifient l’hospitalisation d’un patient en réanimation. Ces troubles entraînent une dépendance totale du patient de réanimation vis-à-vis de son entourage. Le personnel soignant est alors placé au premier plan.
Les moyens de communication dont dispose le patient de réanimation ne sont plus la parole et le geste, mais sont réduits à des moyens indirects tels les variations de température, de pouls, de tension artérielle, de rythme respiratoire, de saturation en oxygène (SpO²) etc.
La communication entre le soignant et le soigné s'apparente donc plus à celle de la mère et du nouveau-né, pour ne pas dire à celle du vétérinaire et de l'animal.
I - 2 La surveillance clinique et instrumentale dans un service de Réanimation
Elle est de la responsabilité de tous, y compris de l’infirmier. Le décret n° 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'Infirmier élargit les prérogatives de l'infirmier, notamment en ce qui concerne la vérification du fonctionnement des appareils.
II - La surveillance clinique du patient comateux
Elle est indissociable, anticipative et contemporaine des soins infirmiers. Elle joue un rôle préventif capital en s'attachant à éviter l'évolution vers un coma plus profond ou la survenue de complications liées au coma (infectieuse, respiratoire, neurologique, thromboembolique, trophique).
II - 1 Surveillance respiratoire
a) Le coma léger (obnubilation)
- Surveillance de la position du patient qui doit être semi-assis dans le lit ou en position latérale de sécurité si l'hypotension ne permet pas la position semi-assise. Le patient ne doit jamais être laissé en décubitus dorsal, en raison des risques de fausse route et d’asphyxie (chute de la langue en arrière).
- Humidification buccale : vaseline sur les lèvres, bains de bouche à l'HEXTRILÒ ou à la BETADINE (chez le comateux), et aérosols plusieurs fois par jour (rôle de l'aide-soignante). La bouche est une porte d'entrée privilégiée pour l'infection respiratoire qui est présente dès la 24ème heure et est à l'origine d'infection respiratoire haute puis basse, puis systémique.
- Stimulation de la déglutition active à horaires fixes afin de prévenir la stase laryngée, source de fausses routes et donc d'infections respiratoires.
- Stimulation du réflexe de toux par la parole ou en appuyant sur la partie basse de la trachée
· contrôle de l'hypotonie maxillaire, qui entraîne une chute de la langue en arrière avec risque d'asphyxie, nécessité d'une canule bucco-pharyngée
· surveillance de la survenue de sueurs qui reconnaissent trois causes : l'hypercapnie, l'hypoglycémie, l'hyperthermie.
· surveillance de la survenue d'une cyanose qui traduit une hypoxémie, sauf chez le sujet profondément anémique ou polyglobulique
· surveillance du rythme respiratoire, de son amplitude, de sa fréquence par minute
· les aérosols intempestifs peuvent être responsables d'encombrement respiratoire chez le patient qui ne tousse pas. A l'inverse, l'absence d'aérosol ou une oxygénothérapie sans humidificateur et à fort débit dessèchent les voies aériennes supérieures et sont cause de microatéléctasie, puis d’ atélectasie d'un poumon entier et donc de détresse respiratoire et d’infection respiratoire.
Cette simple surveillance des fonctions respiratoires suffit le plus souvent à éviter le passage à un stade de coma plus profond qui nécessiterait une réanimation plus lourde, et donc plus lourde de conséquence pour le patient et l'équipe soignante.
b) Le coma confirmé
L'exclusion - protection des voies respiratoires au moyen de l'intubation est ici formelle car l'inoculation pulmonaire par fausse route septique sur stase pharyngée ou par régurgitation d'aliment ou de l'acide gastrique, bien qu’inacceptable, survient encore trop souvent.
- Côté patient
Surveillance de l'état de la peau autour des orifices naturels : yeux, bouche, méat urétral, anus ou artificiels ; ponction veineuse ou artérielle, cathéters périphériques ou centraux. Ces orifices sont parfois le siège d’inflammation, d'écoulements purulents ou sanglants qui doivent être détectés précocement et signalés au médecin.
Surveillance des sondes, tuyaux et drains (intubation, gastrique, urinaire, entraînement électrosystolique, redons, drains thoraciques): propreté, perméabilité, étanchéité, datation, fixation à la peau.
Surveillance de la dynamique ventilatoire, c'est-à-dire de l'adaptation entre le patient et le respirateur dont les mouvements doivent être synchrones. Mobilisation des sécrétions de l'appareil respiratoire par kinésithérapie (effectués par le kinésithérapeutes ou le plus souvent par l'infirmier), recueil des liquides d'aspiration en notant leur couleur (sale, sanglant, couleur verdâtre du Bacille pyocyanique), leur odeur, leur volume et leur fréquence.
Plus d'une fois sur deux, une modification de l'état neurologique du patient est due à une perturbation acquise, iatrogène ou non de la fonction respiratoire. Cette constatation justifie l'importance capitale et la minutie que vous devez apporter à la surveillance et au nursing respiratoire.
On ne doit pas de son propre chef décider de "calmer" (somnifère ou sédatif) un patient agité et/ou désorienté sans avoir éliminé quatre circonstances et sans en référer au médecin :
· hypoxémie (saturomètrie de pouls)
· hypercapnie (sueurs, gazométrie artérielle)
· hypoglycémie (DextrostixÒ)
· rétention aiguë d'urines (recherche d'un globe vésical par la palpation et la percussion).
II - 2 Surveillance de l'appareil circulatoire
Le comateux léger
Surveillance minimale : prise horaire du pouls (régulier, irrégulier, bien frappé ou petit et filant), de la tension artérielle (variation des chiffres tensionnels depuis la dernière mesure?), monitorage, ECG.
Le comateux grave ou compliqué
L'optique de surveillance change alors car les thérapeutiques spécifiques ont des effets délétères propres sur l'état circulatoire. En effet, diurèse forcée, hémodialyse, neuroplégie, forte neurosédation, ventilation artificielle peuvent entraîner une hypotension artérielle, source d’aggravation du coma.
Surveillance des abords veineux centraux.
Des études montrent que seul le niveau de qualification, mais surtout de motivation de l'équipe soignante peut minimiser les complications iatrogènes ou infectieuses ou mécaniques liées à des abords veineux centraux : jugulaire interne, fémoral, sous-clavier ou dans l'artère pulmonaire.
Le pansement doit être transparent, (avec mention écrite de la date de pose du cathéter et de la date de réfection du pansement), de l'aspect de la peau au point de ponction, d'une infection (pincement de la peau autour de cathéter afin de faire sourdre une éventuelle goutte de pus), surveillance du reflux sanguin par mise en déclive du flacon de perfusion, surveillance de la pression veineuse centrale, maintien d'un boucle de sécurité de la tubulure de la perfusion au dessous du niveau du lit en cas d'abord jugulaire interne ou sous-clavier. Lavage des mains avant le changement quotidien des tubulures d’alimentation parentérale, et changement systématique de tubulure en cas de souillure.
Surveillance des abords veineux périphériques. Le pansement doit être transparent, avec mention écrite de la date de pose du cathéter et de la date de renouvellement du pansement, de l'aspect de la peau au point de ponction, d'une infection (pincement de la peau autour de cathéter afin de faire sourdre une éventuelle goutte de pus). Changement systématique de l'abord veineux toutes les 48 heures, en commençant par l’abord des veines les plus difficiles d’accès.
II - 3 Surveillance digestive
a) Surveillance de la sonde gastrique
La sonde gastrique a un double rôle :
- vidange de l'estomac et donc de protection des voies aériennes
- alimentation entérale. On recherche chez le patient de réanimation comateux ou non, le retour à une alimentation digestive précoce, plus physiologique (diminution des infections systémiques à point de départ digestif) et moins risquée que l'alimentation parentérale qui fait appel aux cathéters veineux centraux ou périphériques (risque d’infection).
La surveillance de la sonde gastrique est fondamentale. A chaque changement d'équipe, procéder à
· une surveillance stéthacoustique afin de déterminer la position correcte de la sonde (trop haute: fausse route alimentaire, trop basse: diarrhée),
· une surveillance de la fixation, le repère N°2 doit être visible à la narine du patient,
· un contrôle de la perméabilité (aspiration à la seringue, rinçage systématique toutes les deux heures avec 20 cc d'eau),
· un contrôle du résidu alimentaire qui doit être inférieur à 100 ml (risque de régurgitation ou de vomissements, en cas de poursuite des gavages).
Une sonde gastrique mal positionnée constitue un danger vital pour le patient avec risque d'asphyxie aiguë par pneumopathie d'inhalation (gavage au liquide gastrique dans les bronches). Le patient doit être maintenu en position semi-assise afin d’éviter le reflux.
b) Surveillance du transit digestif
Recherche des nausées, vomissements, régurgitations ou résidu supérieur à 100 ml qui contre-indiquent la poursuite de l'alimentation entérale.
Noter les diarrhées, constipation ou caractère normal ou anormal des selles (glaires, sang frais ou digéré, méléna).
II - 4 Surveillance neurologique
Selon les consignes écrites du médecin
n Etat de conscience : Détermination du score de Glasgow. Parole cohérente ou incohérente, confusion ? Réaction aux stimuli nociceptifs (pincement) ?Agitation spontanée ou provoquée ? (de nature plus péjorative).
n Convulsions localisées, généralisées ?
- Réflexes pupillaires par réaction à la lumière : mydriase, myosis (caractère très péjoratif d'une mydriase bilatérale aréactive souvent synonyme de mort cérébrale)
- Surveillance du tonus : hypotonie ou hypertonie à la mobilisation des membres
- Surveillance du pouls : la bradycardie traduit parfois la souffrance neurologique due à l’ hypertension intracrânienne.
II - 5 Surveillance du petit bassin
a) Sonde urinaire
Chez l'homme Il existe peu d'indication formelle au sondage urinaire systématique. Il faut préférer l'étui pénien car le sondage urinaire figure parmi les principales causes d'infections nosocomiales, de septicémie et donc de décès. La sonde urinaire doit être mise en place alors qu'elle est déjà assujettie à la poche. Le raccord poche-sonde doit être scotché et daté, la tubulure ne doit pas être coudée, la poche urinaire ne doit pas toucher le sol. La sonde urinaire est fixée chez l'homme aux environ du nombril et chez la femme sur la face interne de la cuisse.
- Vérifier toutes les six heures l'étanchéité du système collecteur et la connexion sonde-sac
- Procéder à chaque changement d'équipe à une toilette locale du périnée
- Disposer sur le méat de l'homme une compresse humide à l'HIBITANE
- Surveiller la diurèse (volume, coloration, odeur)
- En cas d'anurie, palper l'abdomen à la recherche d'un globe vésical
- Ne pas changer systématiquement la sonde urinaire (la même sonde peut rester en place 2 à 3 semaines). Tous les 2 jours tester les urines sans débrancher le dispositif de collection, avec une bandelette multistix ou néphur à la recherche d'une infection urinaire. Ne faire un ECBU qu’en cas de positivité de la bandelette).
- Ne jamais déconnecter la sonde urinaire pour faire un ECBU ou un test-bandelette, mais piquer à travers le site de ponction spécifique
b) Surveillance du périnée
Il doit être propre, sec et talqué.
Rechercher les ulcérations thermométriques au niveau de l'anus et éviter les prise de température anale trop fréquentes.
II - 6 Surveillance thermique
La consommation en oxygène du cerveau représente 20 à 30% de la consommation totale de l'organisme. Il importe donc de détecter toute hyperthermie qui majorerait la demande métabolique d'un cerveau déjà en situation précaire.
L'hyperthermie reconnaît 4 causes principales :
- infection sur cathéters veineux
- infection urinaire
- thrombophlébite
- infection respiratoire pulmonaire
L'hyperthermie est de mauvais pronostic. Elle peut être iatrogène. Le patient se défendant mal contre le froid : fenêtre ouverte, matelas à eau, patient découvert, perfusion ou gavage froid, transfusions multiples, interventions chirurgicales longues.
En cas de troubles thermique votre décision doit être immédiate : prélèvement systématique de trois hémocultures à 3-4 heures d'intervalle et bandelette urinaire, glaçage du patient fiévreux et réchauffement du patient hypotherme (nécessité d'un thermomètre spécial, si la température n’est pas mesurable).
II - 7 Surveillance oculaire
La protection naturelle des yeux (larmoiements, balayage palpébral) est amoindrie chez le patient comateux ou sous neurosédation. L'immobilité palpébrale en semi-ouverture expose globe et cornée à la dessiccation, à la surinfection, à l'ulcération cornéenne et à la perte de l'oeil par fonte purulente.
Il faut donc surveiller l'état des yeux : sécheresse, rougeur, sécrétions, oedème (chémosis) et procéder de votre propre initiative à l'instillation systématique 3 à 4 fois par jour, d'un collyre neutre et à l'occlusion palpébrale des patients comateux.
Surveillance du diamètre et de la réactivité pupillaires : mydriase, myosis unis ou bilatéraux.
II - 8 Surveillance et kinésithérapie
L'environnement de réanimation gêne considérablement la kinésithérapie (cathéter, électrodes, appareillages, positionnement particulier, dialyse) qui est pourtant primordiale à ce stade afin de prévenir de complications redoutables du coma, telles la thrombophlébite et l’infection pulmonaire.
L'infirmier doit donc surveiller la survenue de posture vicieuse (rétraction foetale), compression des membres avec paralysie, ainsi que la survenue d'escarres ou de troubles cutanés autres. Le positionnement, le massage des talons et des parties déclives lors des deux toilettes quotidiennes doivent être systématique et réalisés avec l’aide de l'aide-soignant, sous la conduite de l'infirmier.
II - 9 Surveillance biologique
La dépendance métabolique stricte vis-à-vis des apports exogènes implique un contrôle strict des paramètres biologiques du patient. La surveillance biologique se renforce donc lors des comas sévères et certains examens doivent être réalisés de votre propre initiative tels : contrôle de la glycémie, gazométrie artérielle, bandelette urinaire, prélèvement des écoulements purulents, hémocultures aérobies.
III - SURVEILLANCE DES APPAREILS DE MONITORAGE
La surveillance des fonctions vitales du patient est déléguée à certains appareillages électroniques. Il vous faut donc surveiller ceux qui surveillent le patient.
Ces appareillages sont munies d'alarme de valeurs hautes et basses qu'il convient de régler correctement. Il faut donc être familiarisé avec ces appareillages.
1 - Respirateur : Surveillance du couple patient-machine, des alarmes de volume, de fréquence, de pression, d'oxygénation
2 - Electrocardioscope : Dégraissage de la peau, pâte conductrice, électrodes correctement positionnées selon les couleurs, alarmes hautes et basses.
3 - Automates de surveillance tensionnelle : Alarmes, alterner le site de pose du brassard afin d'éviter les lésions.
4 - Pompes nutritives : Surveillance des débits
5 - Pousse-seringues électriques : Seringues correctement libellées avec le nom du produit, renouvelées régulièrement avant la fin de la perfusion, éviter les coudures sur les tubulures (adrénaline, noradrénaline dont dépend la tension du patient)
6 - Oxymètre de pouls : Alarmes, choix de l'orteil ou du doigt le plus approprié à une bonne surveillance oxymétrique, capteurs placés sur le membre qui ne supporte pas le brassard à tension. Maintien strict de la saturation au-dessus de 90%, ce qui correspond à une pression artérielle en oxygène égale à 55 mmHg et non à 90 mmHg !
7 - Aspiration thoracique : Surveillance de la dépression murale, du bullage, de l'étanchéité du drainage. Noter les volumes du liquide aspiré.
8 - Appareils d'hémodialyse : Alarmes, etc.
Les éléments cliniques de la surveillance d'un patient de réanimation sont le mêmes quels que soient les patients et quels que soient les services dans lesquels ils sont traités.
En cas de monitorage, l'infirmier doit surveiller ce qui surveille le patient.
Toute initiative en matière de surveillance clinique ou biologique est possible, souhaitable et vivement recommandée, afin d'éviter la dégradation parfois très rapide du patient de réanimation.