LE TETANOS
B-A Gaüzère. Juillet 1998
1- Le tétanos est toujours une maladie grave.
2- La prévention est très facile : vaccination antitétanique, sérothérapie par immunoglobulines antitétaniques.
3- Le tétanos en France est une maladie du 3e âge.
4- Les plaies accidentelles sont les portes d’entrée les plus fréquentes.
5- Le diagnostic est clinique.
6- Le trismus est le premier signe.
7- L’extension de la contracture en dehors de la face définit le tétanos généralisé.
8- Le facteur pronostique essentiel est représenté par l’âge associé au terrain
9- Le traitement est symptomatique : ventilation assistée, relaxation musculaire médicamenteuse.
10- Une politique vaccinale bien conduite doit éradiquer le tétanos.
1 - INTRODUCTION
Le tétanos est une grave toxi-infection non immunisante à déclaration obligatoire (N° 20), due au Bacille de NICOLAIER, caractérisée par la fixation d’une exotoxine au niveau du système nerveux central à l’origine de contractures et de spasmes musculaires intenses. En l’absence de traitement, elle est constamment mortelle. L’exotoxine protéique sécrétée par le Bacille comporte trois facteurs :
* la tétanospasmine responsable du tableau clinique, fixée électivement sur les tissus nerveux surtout médullaires.
* la tétanolysine, hémosylante, antiphagocytaire.
* la neurotoxine, non tétanisante.
Soumise à l’action du formol et de la chaleur, la toxine brute perdra son pouvoir toxique tout en conservant son pouvoir antigénique, c’est l’anatoxine, base de la vaccination antitétanique, seule mesure préventive parfaitement efficace.
2 - EPIDEMIOLOGIE
21) Prévalence
* MONDE : 1 million de décès annuels (O.M.S), surtout dans le Tiers Monde (10% de la mortalité néonatale).
* REUNION : 1 à 2 cas par an.
* FRANCE : 200 à 400 cas/an. Moyenne d’âge = 70 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes.
La répartition est essentiellement rurale, prédominant dans des région à sol tétanigène où le sol calcaire affleure. Touchant les enfants des deux sexes ayant échappé à la vaccination (Tiers-Monde), le tétanos concerne également les femmes de 30 à 50 ans du fait de leur absence de vaccination au service militaire, puis les hommes après 50 ans.
Dans le Tiers-Monde, le tétanos est du à la persistance de coutumes archaïques (scarifications rituelles, pansements de terre et de boue), la pratique de gestes médicaux sans asepsie (injections intraveineuses ou intramusculaires, section du cordon ombilical, manoeuvres abortives) et surtout à l’insuffisance de couverture vaccinale.
Dans les pays développés et notamment en France, le tétanos est de plus en plus souvent une maladie des personnes âgées. On observe une fréquence croissante des tétanos « médicaux » secondaires, en particulier aux ulcères variqueux, aux gangrènes artéritiques ou diabétiques, notamment chez le vieillard.
22)Porte d’entrée du bacille tétanique
Le tétanos succède toujours à une plaie cutanée ou muqueuse, post-traumatique ou post-chirurgicale. Lorsqu’on ne retrouve pas la porte d’entrée, , c’est que la plaie d’inoculation minime est passée inaperçue, ou est déjà cicatrisée au moment de l’apparition de la maladie. Dans 5% des cas, la porte d’entrée est inconnue.
Toute plaie souillée, surtout si elle est minime car fréquemment négligée peut constituer la porte d’entrée du tétanos.
3 - CLINIQUE
La forme généralisée de l’adulte non immunisé est la plus fréquente.
3.1 L’incubation (période qui sépare l’inoculation du bacille de l’apparition du trismus). Elle varie de 7 à 15 jours. plus elle est courte, plus la forme de tétanos est sévère.
3.2 Le début (période séparant l’apparition du trismus et la généralisation des contractures). Il est marqué par l’apparition du signe majeur qu’est le trismus qui est une contracture permanente, douloureuse, invincible des muscles de la mâchoire débutant par une gêne à l’ouverture de la bouche, entravant l’élocution et la mastication. La conscience est normale, il n’y a pas de fièvre. il importe alors :
· de s’enquérir d’une éventuelle vaccination antérieure
· de rechercher une porte d’entrée (blessure, piqûre, injection ...)
· d’éliminer les autres causes de trismus : dent de sagesse, phlegmon de l’amygdale, luxation de la mâchoire, l’arthrite temporo-maxillaire post-sérique (qui apparaît 9 jours après l’injection de sérum), les neuroleptiques à fortes doses, l’hystérie.
Au moindre doute, il faut cesser toute alimentation par la bouche (risque majeur de fausse route alimentaire ou d’arrêt cardiaque réflexe), hospitaliser le patient en service de Réanimation où il sera surveillé et alimenté par voie veineuse.
3.3 Stade généralisé : dès que le tétanos détermine une contracture qui intéresse la nuque, puis le tronc, il est généralisé et devient évident.
- la face est figée, front plissé, sourcils relevés, mâchoires serrées, le faciès est dit sardonique
- les yeux mobiles expriment la souffrance et l’angoisse chez un patient dont la conscience est parfaitement normale.
- le rachis se fixe en hyper-extension (opisthotonos)
- l’abdomen est tendu
- ces contractures intenses, douloureuses et permanentes s’exagèrent au moment des paroxysmes déclenchés par la moindre excitation et exposent à des risques de fractures osseuses (vertébrales), mais surtout à des troubles respiratoires mortels (blocage thoracique par atteinte des muscles respiratoires, ou apnée par spasme laryngé).
3.4 Formes cliniques
- le tétanos néonatal qui n’est plus observé en France (absence de vaccination de la mère avant ou pendant la grossesse, section du cordon ombilical avec de vieux couteaux ou des éclats de bambou, pansement ombilical de terre ou d’excrément animal).
- le tétanos post-abortum a mauvais pronostic en raison du terrain
- le tétanos céphalique succède à une plaie de la face, il a mauvais pronostic.
4 - TRAITEMENT CURATIF
Dès le diagnostic posé, ou seulement suspecté, le patient doit être hospitalisé en milieu de réanimation respiratoire où il sera mis à l’abri des stimuli nociceptifs (lumière, bruits, manipulations diverses) qui sont cause des paroxysmes. Le traitement associe un traitement étiologique et symptomatologique.
4.1Traitement des troubles respiratoires
- L’intubation trachéale est réalisée dans un premier temps, elle prévient des risques d’inhalation de liquide digestif, de salive, mais surtout prévient l’asphyxie par spasmes glottiques et permet la ventilation contrôlée.
- La ventilation contrôlée s’avère nécessaire dès l’apparition des premières contractures ou bien dès que les drogues sédatives (Diazépam, Morphiniques, Curares), dépriment la ventilation spontanée. La sonde d’intubation permet aussi d’assurer des aspirations trachéo-bronchiques régulières.
4.2 Médicaments myorelaxants : ils ont pour but de supprimer les contractures musculaires et les paroxysmes. On utilise par ordre de gravité croissante de la maladie:
*Diazépam (VALIUMÒ) : il est le médicament de choix qui a révolutionné le pronostic du tétanos. Prescrit d’emblée à de fortes posologies (5, 10, 20 mg/heure IV puis per os en relais à la dose de 250 à 300 mg/jour), dégressives au bout de 3 à 3 semaines en raison des risques d’accumulation à l’origine de troubles psychiques, de dépression respiratoire prolongée, notamment chez les sujets âgés, obèses, insuffisants hépatiques.
* Analgésiques centraux morphiniques (FENTANYLÒ) : ils agissent sur les paroxysmes et potentialisent l’effet du Diazépam.
* Les curares, d’action longue paralysent totalement les muscles du patient, s’opposant ainsi à la survenue du paroxysmes (bromure de Pancuronium = PAVULONÒ ; bromure de vécuronium = NORCURONÒ).
Ces trois classes de médicaments réalisent donc une anesthésie générale complète, profonde, qui durera pendant 3 semaines environ et rendra donc le patient totalement dépendant de l’entourage médicale en particulier au plan respiratoire.
4.3 La sérothérapie : son efficacité n’a jamais été formellement démontrée en cas de tétanos déclaré, mais elle est toujours prescrite :
- par voie générale à la dose de 10 UI/Kg par voie intramusculaire
- par voie intra-rachidienne sous occipitale de préférence, à la dose de 250 à 1 000 unités chez l’adulte.
seules doivent être utilisées les gammaglobulines spécifiques antitétaniques humaines et non plus le sérum hétérologue de cheval, responsable d’accidents allergiques.
4.4 La vaccination : elle doit être commencée en cours d’hospitalisation avec une injection d’anatoxine, suivie de deux autres injections à un mois d’intervalle. En effet, le tétanos n’est pas une maladie immunisante.
4.5 Traitement de la porte d’entrée : nettoyage, désinfection de la plaie, parage chirurgical d’une plaie anfractueuse, ablation de corps étranger, révision utérine en cas d’avortement septique.
L’antibiothérapie par voie générale reste controversée (Pénicilline - Ampicilline), elle ne peut en aucun cas se substituer au traitement de la porte d’entrée.
4.6 Maintien de l’équilibre hydro-électrolytique et nutritionnel : l’apport d’eau et d’électrolytes doit compenser les pertes (1500 à 2000 ml/jour pour un adulte). il en est de même pour les apports caloriques (2500 à 3000 calories/jour) et protidiques (150 à 200 g/jour chez l’adulte), apportés par voie veineuse (alimentation parentérale) puis très rapidement par la sonde gastrique (alimentation entérale), malgré la curarisation.
4.7Prévention des complications de décubitus
- Héparinothérapie systématique : le tétanos est une maladie qui favorise les thromboses et les embolies.
- Etui pénien chez l’homme et sonde urinaire chez la femme
- Prévention des escarres et des raideurs ostéo-articulaires et kinésithérapie.
Grâce à ces soins médicaux et infirmiers intensifs, la guérison est obtenue chez 90 des patients, au prix de 3 à 6 semaines d’hospitalisation en milieu de réanimation (complications nosocomiales fréquentes), puis de rééducation fonctionnelle. Une telle débauche de soins aurait pu être facilement évitée par une prophylaxie simple.
5 - LA PROPHYLAXIE DU TETANOS
Elle repose sur la vaccination, seule arme dont l’efficacité et l’innocuité ont été largement démontrées et qui peut être associée à d’autres vaccinations notamment dans la petite enfance : contre la coqueluche, la poliomyélite, la diphtérie etc. Il faut vacciner la femme enceinte.
51) Modalités de vaccination
L’utilisation d’anatoxine purifiée et absorbée est préférable, en 3 injections sous-cutanées de 0,5 ml espacées de 2 à 3 mois avec rappel au bout d’un an puis tous les 10 ans.
Cette vaccination est de caractère obligatoire au cours de la première année chez l’enfant.
5.2 Incidents : rares et habituellement sans gravité, ils consistent en des réactions douloureuses locales.
5.3 Contre-indications : elles sont rares : glomérulopathie évolutive et hémopathie maligne sont les contre-indications absolues. D’autres pathologies telles les terrains allergiques, l’asthme, le diabète, les cardiopathies, une protéinurie isolée ne sont pas des contre-indications.
5.4 Résultats : la protection est obtenue une semaine après la deuxième injection et dure plus de 10 ans. l’efficacité est absolue, aucun cas de tétanos n’a été observé chez les sujets correctement vaccinés.
5.5 Conduite à tenir devant une plaie tétanigène (toute plaie même buccale doit être considérée comme potentiellement tétanigène).
5.5.1 Traitement à base d’antitoxines : le but impératif est l’obtention rapide d’anticorps dans la circulation du blessé à titre suffisant pour couvrir la période d’incubation du patient.
Sur le plan médical, le caractère obligatoire de la prophylaxie du tétanos engage la responsabilité du médecin qui doit exiger la preuve écrite des vaccinations antérieures à défaut de laquelle, le sujet doit être considéré comme non vacciné : l’attitude dépend de l’état d’immunisation antérieure :
1) le sujet a été vacciné et le dernier rappel date de moins de un an = le titre d’anticorps est suffisamment élevé, on peut s’abstenir ou faire un rappel de vaccination.
2) le sujet a été vacciné, et si le dernier rappel date de plus d’un an et de moins de 10 ans, il faut faire un rappel par injection d’anatoxine (vaccin), ce qui entraîne une élévation rapide du taux d’anticorps.
3) le sujet n’a jamais été vacciné ou bien l’a été il y a plus de 10 ans. Une double mesure doit être prise, sérothérapie et vaccination.
5.5.2 Sérothérapie (antitoxine) :
- Soit utilisation d’un sérum hétérologue d’origine équine (1500 unités) dont les inconvénients sont la faible durée de protection (15 jours) et surtout le risque d’accidents allergiques avec possible choc anaphylactique, ou bien inactivation du sérum et donc survenue du tétanos. Ce sérum doit être injecté selon la méthode Besredka.
- Soit sérum homologue (gamma globulines humaines de sujets immunisés) : 250 unités. ce sérum est coûteux mais protège plus longtemps (25 jours), n’est pas allergisant et est donc plus particulièrement indiqué chez les sujets allergiques.
5.5.3 Vaccination :
- un rappel chez le sujet vacciné depuis moins de 10 ans et plus de 1 an
- cycle complet de vaccination chez le sujet vacciné depuis plus de 10 ans ou jamais vacciné.
5.5.4. Traitement anti-infectieux :
- local : traitement de la porte d’entrée
- général : antibiothérapie éventuelle en cas d’infection surajoutée.
6 - CONCLUSION
En dépit des progrès considérables apportés par la réanimation dans le traitement du tétanos, sa survenue à un âge souvent avancé, grève lourdement le pronostic du fait de tares viscérales ou métaboliques inhérentes à la vieillesse.
La fréquence et la part persistante de cette affection sont d’autant plus regrettables qu’existent une vaccination et une sérothérapie efficaces.
Pascal Artru (1), Nicolas Schleinitz (1), Bernard-Alex Gaüzère (1), Matthieu Carton (2), Philippe Blanc (1), et Fabrice Paganin (1).
Le tétanos est une affection neurologique caractérisée par une hypertonie et des spasmes musculaires causés par la toxine sécrétée par Clostridium tétani, germe sporulé anaérobie. Resônsable d'un grand nombre de décès dans les pays en voie de développement (fréquence des formes néonatales), il est en constante régression dans les pays bénéficiant d'un programme de vaccination efficace. Nous rapportons ici l'expérience de notre service sur une série de 94 cas hospitalisés de 1977 à 1995.
Matériels et méthodes
Il s'agit d'une étude rétrospective à partir des dossiers du service de Réanimation de l'hôpital Félix Guyon à Saint-Denis de la Réunion (Ile de la Réunion, France). Les données ont été recueillies par un seul opérateur sur Epiinfo 5. Les 54 dossiers de malades hospitalisés depuis 1980 ont permis un recueil de donnés exhaustif. Sur les 40 dossiers antérieurs, 20 n'ont pu fournir que des informations concernant l'identité, le sexe, l'âge et la survie du malade; les archives ayant été partiellement détruites (cyclone).
Résultats
94 cas de tétanos ont été hospitalisés dans le service de 1977 à 1995. Le nombre de cas annuels diminue régulièrement (diagramme 1).
L'âge moyen des malades était 51.36 +/- 13.18 avec des extrêmes de 3 à 77 ans. Le sex-ratio était de 2.2 avec 65 hommes (âge moyen: 50.2 ans) et 29 femmes (âge moyen: 55.6 ans).
Le taux de décès global est de 20.2% (19 sur 94), mais le dernier décès remontant à 1983. Parmi les décédés, l'âge moyen était de 53.92 ans (+/-13.1) avec 10 hommes (âge moyen: 50.9) et 9 femmes (âge moyen: 58.8)
L'origine géographique était répartie selon la carte 1. Sur les 17 malades analysables pour cette donnée, on comptait 52.9% de malades sans profession, 23.5% de retraités, 17.7% d'agriculteurs.
Le score de Dakar du tétanos, établi sur 74 malades, était de 2.61 +/- 1.39 (extrêmes 0 et 5). L'Indice de Gravité Simplifié (IGS) était de 8.64 +/-3.91.
La porte d'entrée a été identifiée dans 49 malades sur 54 (91%). Il s'agissait avant tout du pied (38.8%) et du membre inférieur (18.4%) devant la main et le membre supérieur (10.2% chacun); le détail figurant sur le tableau 2. Un malade a présenté un tétanos céphalique de Rose suite à une plaie de la face. Le délai moyen entre la survenue de la plaie et l'hospitalisation dans le service était de 10.34 +/- 5.13 jours. Seuls 6 malades avaient un antécédent vaccinal certain.
La durée moyenne de séjour a été de 30.76 +/-17.63 jours avec des extrêmes de 3 à 92.
Cinquante-huit malades sur 73 ont été ventilés soit 79.6 %. La durée moyenne de ventilation était de 28.02 +/-15.84 jours (extrêmes: 3-87).
Le traitement médicamenteux a été analysé sur 74 malades: Trente-trois malades ont été curarisés avec une durée moyenne de curarisation de 18.6 +/-8.4 jours (extrêmes 4-39). Vingt-cinq ont reçu des morphiniques, en moyenne 57 ampoules de Fentanyl (+/-50.5) sur ---- de jours (+/- --). Des benzodiazépines ont été administrées à tous les 74 malades analysés, en moyenne 4777 mg de Valium (+/-3439) sur 22.24 jours (+/-11.99). Vingt-huit ont reçu des barbituriques, en moyenne 528 cg de phénobarbital par jour (+/-327) sur 15.12 jours (+/-8.3).
La sérothérathérapie anti-tétanique a été pratiqué chez 57 malades sur 58, 44 sur 55 l'ont reçu par voie intra-thécale sous-occipitale. Un protocole de vaccination accélérée a été appliqué chez 98% des malades. Vingt-et-un malades ont bénéficié d'un traitement par immunoglobulines polyvalentes (veinoglobulines).
Quarante-cinq malades sur 55 (82%) ont bénéficié d'une antibiothérapie, 43 sur 55 (78%) d'anticoagulants.
Une voie veineuse centrale a été mise en place chez 29 malades sur 54 (54%); une sonde urinaire chez 41 malades sur 53 (77%).
Quarante-sept pour cent des malades présentèrent une pneumopathie durant leur hospitalisation, Les autres complications rencontrées sont données dans le tableau 3.
Les principales causes de décès figurent dans le tableau 4 avec en premier lieu, le choc septique (25%), ...
Des séquelles étaient présentes chez 47% des malades, essentiellement locomotrices d'où le mode principal de sortie des malades: en rééducation (59%, tableau 5).